Parfois même les lieux familiers vous réservent bien des surprises. Derrière un escalier du Palais des Etudes de l’Ecole des Beaux-Arts, que j’ai tant fréquenté, une porte, une courette où j’aimais venir voir les pierres lithographiques entreposées. Et, au-delà de cette courette, un atelier que je n’avais jamais pénétré, l’atelier de fresque de Philippe Bennequin. Un endroit merveilleux, lumineux, aux murs d’un chromatisme chatoyant et au bazar rassurant, avec ses tables entières couvertes de petits pots remplis de poudres colorées.
Égarées dans les entrailles de l’Ecole, mon amie Chloé et moi avons chaleureusement été accueillies par le maître des lieux, Philippe Bennequin.
L’Ecole des Beaux-Arts, comme autrefois, s’organise en ateliers: on distingue les ateliers de pratiques artistiques et les ateliers de technicité, où les élèves peuvent acquérir la maîtrise des techniques de création aussi diverses que la céramique, la mosaïque, la forge ou encore la lithographie.
L’atelier de fresque de Philippe Bennequin est de ces derniers. Ici, on apprend la technique de la fresque et plus largement des murales.
La peinture à fresque traditionnelle exige une maîtrise d’un savoir-faire très spécifique et une rapidité d’exécution : l’artiste travaillant sur un enduit frais (a fresco), il doit achever la pose des couleurs avant que son support ne sèche. Ainsi, le pigment cristallise avec la chaux, ce qui assure une plus longue conservation des chromatismes. Au-delà de la technique a fresco, d’autres pratiques de la murale sont enseignées, telle les techniques à sec et le travail sur toile monumentale. Car la murale, c’est avant tout se confronter au grand format, aux contraintes techniques qu’imposent la monumentalité.
L’atelier de fresque de Philippe Bennequin attire beaucoup d’artistes étrangers, qui trouvent ainsi à l’Ecole la possibilité de se former où de se perfectionner dans une technique singulière, exigeante et rarement enseignée.
J’ai non seulement été frappée par la beauté de cet atelier mais aussi par le nombre de copies d’œuvres d’art célèbres présentées sur ses murs. En entrant, le visiteur est accueilli par le monumental Christ de Taüll, vestige du professorat de l’ancien chef d’atelier et de quelques de ses étudiants les plus expérimentés. Ici, un Klimt, là, la citation des dames bleues minoennes, qui côtoient un fragment du Saint Georges terrassant le dragon d’Uccello. La copie n’est pas une pratique imposée, l’exercice vient de lui-même aux élèves, et est, aux yeux du professeur, un bon moyen de comprendre « comment la fresque est faite ».
Les styles se juxtaposent et se mélangent : bribes de la peinture pompéienne, icône orthodoxe, évanescence renaissante, monumentalité et synthétisme roman. Et puis, les créations des élèves.
Sur un pan de mur, une immense toile se déploie. Il s’y esquisse une marine. Il n’est plus question de peinture à fresque ici : mais pour autant, on ne s’éloigne pas du domaine de l’habillage du mur, tant le format est imposant. C’est le dernier projet en cours de l’atelier, une commande d’Ubisoft en prévision de la sortie d’Assassin’s Creed IV. Les étudiants ont effectué au musée de la marine des heures d’études et de croquis pour mettre au point une composition sur le thème de la piraterie. Deux cent personnages dans le fracas d’un combat naval, auxquels seront donnés les visages des fans du jeu. Une opération promotionnelle artistique pour Ubisoft et un véritable défi pour le groupe d’étudiants : retrouver les méthodes d’ateliers anciennes, où toutes les mains se confondent pour former une œuvre unitaire et collective. En raison des clauses qui engagent l’atelier au commanditaire, il m’est impossible de vous monter des photos de cette toile en cours de réalisation, mais j’espère pouvoir, dans un prochain billet, revenir sur cette belle expérience.
L’Ecole des Beaux-Arts ouvre ses portes au public ce week-end! L’occasion de visiter cet atelier. Toutes les infos ici!
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