La rue Tailleferre prend des couleurs avec l’association Cultures Pas Sages

Samedi 6 juillet, ce sont les premières vraies grosses chaleurs estivales sur la région parisienne. Le soleil de plomb n’a pourtant pas découragé les six graffeurs venus mettre quelques couleurs sur l’immense mur gris de la rue Germaine Tailleferre. Le rendez-vous était immanquable puisqu’il s’agissait du premier événement organisé par une toute nouvelle association, Culture Pas Sages.  

Rasty (détail)

Une nouvelle association dans le paysage parisien : Cultures Pas Sages

L’association Cultures Pas Sages, qui souhaite « promouvoir, diffuser, organiser et réaliser des actions mettant en valeur la diversité culturelle », est née de la rencontre de Da Cruz, Zelmar et Teresa.  Amateurs de cultures urbaines, les trois amis ambitionnent d’organiser des événements autour du street-art, du hip-hop et des musiques de rue, afin de rassembler les gens, susciter les rencontres et les échanges.

Da Cruz graffe depuis dix ans dans le XIXe arrondissement de Paris. Très engagé sur la question de la rénovation urbaine du quartier de l’Ourcq dans lequel il a grandi, Da Cruz voit en cette association un moyen de continuer son action. En effet, alors que le chantier de rénovation du XIXe arrondissement est bien avancé, la plupart des lieux où il peignait a disparu. Pour poursuivre son dialogue avec l’histoire du quartier et avec ses habitants, il avait besoin d’une structure : une association forme à ses yeux l’outil indispensable pour rentrer dans le jeu administratif. Les relations de l’association Culture Pas Sages avec la municipalité ont évidemment été facilitées par l’enthousiasme des riverains qui se sont appropriés les oeuvres de Da Cruz comme patrimoine local.

Rue Germaine Tailleferre, juillet 2013, photographie Anne-Marie Richard
Rue Germaine Tailleferre, juillet 2013, photographie Anne-Marie Richard

Six artistes pour transformer la rue Germaine Tailleferre

Le premier mur que l’association Cultures Pas Sages a obtenu est une immense surface à l’angle de la rue Germaine Tailleferre et de la rue des Ardennes, qui jouxte des locaux municipaux. Des mètres carrés grisâtres, une surface très ambitieuse pour une première opération. Cela nécessitait la collaboration de plusieurs artistes, que l’association, en accord avec son objectif de mettre en valeur la diversité, voulait issus d’horizons très variés. A la faveur de l’été, des artistes du monde entier séjournent à Paris : c’est donc sans difficulté qu’un péruvien, Berns, un sud-africain, Rasty, et un sénégalais, Docta ont pu se joindre à l’aventure. Le milieu du street-art est un petit univers, où l’on voyage et échange beaucoup.

Da Cruz rue TailleferreCette diversité d’artistes invités est extrêmement valorisante pour les habitants du quartier, qui voient ainsi leur rue devenir une scène internationale. Des amateurs se déplaceront par la suite pour admirer une pièce de tel graffeur dont les œuvres sont par ailleurs rares en Europe. Ce mariage entre des figures ultra-locales (DaCruz, Marko93, Lazoo) et des graffeurs internationaux est, aux yeux de Da Cruz, une bonne réponse à la mondialisation.

« C’est comme planter une graine dans un terreau fertile entretenu par les habitants ».

Côte à côte, les artistes ont peint chacun dans leur style propre, tout en veillant à créer une continuité visuelle entre les pièces. Les oeuvres s’enchaînent avec fluidité pour former un tout très unitaire. Rasty a inscrit son blaze avec une grand visage féminin en guise de « A ». DaCruz a offert une variation monumentale de ses masques colorés inspirés des arts d’Afrique et d’Amérique du Sud. Marko93 a réalisé à la bombe une création abstraite en lien avec le light painting, un moyen d’expression qu’il explore depuis quelques années. Les deux grands poulets mélomanes sont signés Berns, l’artiste péruvien en séjour à Paris. Docta et Curio ont préféré le lettrage tandis que Lazoo a posé plusieurs de ses femmes en divers endroits du mur.

Docta peignant rue Tailleferre

Le résultat est bufflant, tant la technique des artistes est aboutie et maîtrisée. L’opération de samedi était très instructive pour toute personne qui s’intéresse au Street-Art : voir les oeuvres se créer est toujours un privilège plaisant et fascinant.

Le street art comme outil de lien social

Rasty (1)Durant toute l’après-midi qu’a duré la création de la murale, un monde fou s’est arrêté : quelques instants pour certains, une dizaine de minutes, deux heures pour d’autres… Une photo pour le souvenir. Les riverains sont ravis « C’est vachement beau ce que vous faites, il était moche ce mur » commente un passant. Une voisine renchérit : « Et après y’a le mur là bas à faire ! » en désignant le bout de la rue. On commente le travail. Là bas, le dialogue se noue entre deux inconnus, ravis du spectacle. « Ah, c’est mieux que les tags, vos peintures ! C’est de l’art ça ! Ca nous change du vandalisme ». Depuis la maison de retraite, située juste en face du mur, des regards intrigués se devinent derrière les fenêtres. A l’heure de la promenade, l’événement est au cœur de toutes les discussions. Une aide-soignante demande à une vieille dame ce qu’elle pense des jeunes qui peignent. « Oh, je trouve que c’est beau, ça change du mur gris. Ils font ça pour faire bouger les gens ».

Toutes les générations, différents milieux sociaux se retrouvent, le temps d’un après-midi, par hasard, sur un coin de trottoir. Ce lien social créé entre des riverains qui se croisent chaque jour sans avoir de motif de discussion, ce stationnement d’une petite foule sur le trottoir, autour d’un centre de curiosité commun et imprévu, c’est ce que l’association cherche à susciter. La rue, espace commun, est réappropriée, dépassant sa simple fonction de passage. On s’y arrête, on regarde le mur, on commente, on engage la discussion. Et en filigrane, resurgit souvent la constatation de l’évolution sociale et urbanistique du quartier.

Da Cruz rue Tailleferre

Le dialogue se noue aussi sur la définition du street-art. Les riverains ont l’habitude de voir des blazes, des pochoirs, des collages, des autocollants, des tags au marqueur, sans toujours comprendre les motivations de ceux qui les tracent. Pour une fois, les gens qui peignent habituellement si discrètement sont visibles, accessibles. Ouverts à la discussion, prêts à partager leur expérience, à parler de leur pratique du graff. Comme le dit bien Da Cruz : « ici, on assure aussi le service après-vente. On ne prend pas seulement possession de l’espace, on est aussi capable d’expliquer aux gens notre démarche. »

La diversité des modes d’expression (lettrages, figuratif) permet d’accrocher plus facilement le public, qui d’un premier abord oppose les « graffiti » (lettrage) aux plus grandes pièces figuratives, puis progressivement, au fil du dialogue, affine sa vision du street-art, comme un monde de diversité et d’échanges.

L’association Culture Pas Sages ne dispose pas encore d’un site web ni d’une page facebook. En attendant, je relayerai leurs prochains événements sur la page d’Orion en aéroplane. 

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