Parmi les milliers de photographies que contiennent les albums Reutlinger, une dizaine figurent l’écrivaine Colette. Ces clichés renvoient à la période la plus sulfureuse de sa carrière, celle où la jeune femme, tout juste séparée de Willy, se produisait comme pantomime dans les music-halls parisiens, non sans déclencher quelques scandales.
Note: toutes les photographies qui illustrent cet article sont tirées des volumes 53 et 55 des albums Reutlinger conservés par la BnF
Colette mime
De 1907 à 1913, Colette pratique la pantomime, cet art d’expression dramatique qui illustre les sentiments, les situations et les idées par le geste et l’attitude, sans recours à la parole. Depuis son mariage avec Willy, Colette a pénétré les cercles mondains et intellectuels de Paris : c’est par ce biais qu’elle rencontre Georges Wague, illustre promoteur de la pantomime moderne. Dès 1903, ce dernier lui enseigne les rudiments de son art. Deux ans plus tard, Colette commence à se produire en amateur lors de réceptions. En 1907, elle lance sa carrière professionnelle au théâtre des Mathurins avec son interprétation dans Le Désir, la Chimère et l’Amour. Par la suite, c’est essentiellement dans les revues de Music-Hall qu’elle se produira, le format court du mimodrame s’y prêtant plus.
De 1907 à 1913, elle apparait dans sept mimodrames. Les rôles qu’elle interprète illustrent différentes variations du sentiment amoureux, entre sensualité, séduction, haine et violence. Elle est tour à tour faune, momie, romanichelle, chatte… Les revenus de ces prestations sont indispensables à Colette, qui, séparée de Willy depuis 1907 et malgré l’aide de son amante, doit elle-même subvenir à ses besoins.
De la carrière de pantomime de Colette, plus que la performance de mime, réelle selon certains, la postérité a retenu le parfum de scandale. Les photographies des albums Reutlinger renvoient précisément aux deux pièces qui ont causé le plus de remous dans l’opinion : le Rêve d’Egypte et La Chair.
Rêve d’Egypte, le scandale du Moulin Rouge
En 1907, Colette se produit au Moulin Rouge avec son amante de l’époque, Mathilde de Morny, plus connue sous le pseudonyme de « Missy ». L’argument de la pièce a été écrit par cette dernière : il met en scène un égyptologue qui tombe amoureux d’une momie revenue à la vie. Missy, dont la bonne société moque son port du pantalon et colporte à qui veut l’entendre qu’elle se fait appeler « oncle Max » interprète l’égyptologue tandis que la momie est jouée par Colette. Le sujet exotique offre à la jeune femme le prétexte pour arborer un costume très minimal et hautement érotique.
Pourtant, le scandale ne vient pas de la quasi nudité de Colette : plus encore, c’est la présence de Missy sur scène qui choque l’opinion. Car Mathilde de Morny n’est pas n’importe qui, elle est marquise de Belbeuf. Et, en 1907, on ne saurait tolérer qu’une femme de rang aristocratique se produise dans une vulgaire revue de music-hall.
La première de la pièce est très chahutée : sifflement, hurlements, jets d’objets divers et variés sur la scène. On moque les mœurs très libérées du couple Colette-Willy, les penchants saphiques de Missy… Dès le lendemain, le Figaro titre « Le scandale du Moulin Rouge » et le préfet de police interdit à Missy de remonter sur les planches. Une seconde représentation a cependant lieu le soir même, sous le titre Songe d’Orient avec Wague dans le rôle de l’égyptologue. Cela ne suffit à endiguer le scandale et, à la troisième représentation, le préfet interdit tout bonnement la pièce.
La chair ou « cachez ce sein… »
A la fin de l’année 1907, Colette renouvelle le scandale avec un nouveau mimodrame intitulé La Chair. Il s’agit encore une fois d’une intrigue amoureuse : la belle Yulka trompe son amant, un contrebandier nommé Hokaitz avec un jeune sous-officier roumain. Lorsqu’il les surprend, Hokaitz tente d’assassiner Yulka, mais, dans la bagarre, la robe de la jeune femme se déchire, dévoilant son sein. Subjugué devant tant de beauté, Hokaitz retourne son poignard contre lui et se transperce la main.
Avec ce rôle Colette ose toutes les audaces et dévoile au public son propre corps. La nudité et la suggestion érotique sont depuis une quinzaine d’années de plus en plus répandues dans le music-hall. Cependant, le plus souvent, les actrices et danseuses ne font que feindre le dévoilement de la chair, masquant leur réelle nudité sous un « maillot rédempteur ».
Ce collant couleur chair, Colette le refuse. Et ce n’est pas seulement pour provoquer le scandale, dont elle sait qu’il attirera le chaland : c’est aussi et avant tout un acte de libération de son corps. Colette, très sportive, pratique avec assiduité la culture physique et la gymnastique. Elle tire une grande fierté de son corps, beau et bien bâti. Le maillot est à ses yeux un tissu disgracieux qui contraint les mouvements et interdit la perfection du geste, annihilant tout son travail de mime. « Je veux danser nue si le maillot me gêne et humilie ma plastique » fera-t-elle dire à la maîtresse de Toby-chien dans Douze dialogues de bêtes.
Colette n’envisage pas sa nudité comme dégradante ou vicieuse, bien au contraire. Dans sa conception du music-hall, le corps de l’actrice, s’il est certes sensuel, devient asexué : il est avant tout un corps sculpté par la pratique sportive. D’ailleurs, plus tard, elle se défendra d’avoir véritablement été « toute nue » : il est vrai que seul son sein fut offert à la vue.
Le second groupe de photographies réalisées chez Reutlinger se rattache très nettement à la performance de Colette lors de la création de La Chair. On devine l’actrice nue sous le drap qui masque autant qu’il dévoile seins, ventre et cuisses…
Actrice et femme de lettres
De Colette pantomime, la postérité a surtout retenu le caractère sulfureux. Doit-on pour autant réduire cette activité à une exhibition « dégradante », forcée par la nécessité de gagner sa vie? Ce serait nier la dimension artistique et physique de ces performances.
Colette cesse sa carrière de pantomime en 1913 : nouvellement remariée et enceinte, elle a retrouvé la stabilité financière et la respectabilité. Ses textes connaissent un premier véritable succès littéraire et Colette se consacre de plus en plus à l’écriture. Loin d’oublier son expérience du music-hall, elle puisera toute sa vie dans ses souvenirs pour alimenter ses écrits : L’envers du music-hall, La vagabonde, L’entrave sont autant de récits où sa propre expérience d’actrice, romancée, transparaît au fil des pages.
Bibliographie: LAVIROTTE, Lucie Joséphine, Colette et le mimodrame, une incursion de la romancière dans la pantomime (1905-1913), Ecole du Louvre, mémoire d’étude, 2012. Merci à l’auteur qui m’a transmis son travail pour ce billet.
Pour aller plus loin : les photographies de Colette dans le volume 53 et le volume 55 des albums Reutlinger. D’autres billets sur les albums Reutlinger: la présentation du corpus ; Cléo de Mérode, icône de la Belle Epoque ; Beautés raturées.
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Voilà un article comme je les aimes !
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