La cocotte et le couturier : la demi-mondaine comme lanceuse de mode

Les demi-mondaines qui apparaissent dans les albums Reutlinger sont souvent des femmes de spectacle. Pourtant, au fil des pages, elles posent plus souvent dans leur toilette de ville ou de soirée que parées de leur costume de scène. Rivalisant d’audace pour être toujours au centre de l’attention, les demi-mondaines ont été pour les maisons de coutures des ambassadrices de choix et de très efficaces lanceuses de tendances. Qu’il s’agisse de diffuser la beauté de ces femmes ou des tenues qu’elles portaient, la photographie a été le plus efficace outil que l’on puisse imaginer.

Gipsy,  album Reutlinger, tome 61, vue 38, Gallica
Gipsy, album Reutlinger, tome 61, vue 38, Gallica

La courtisane, femme du monde, doit, pour exister attirer constamment les regards : sa réputation et son prestige doivent autant à sa beauté qu’à son esprit, à ses toilettes qu’aux rangs et aux nombres de ses conquêtes. La vie d’une demi-mondaine est un éternel spectacle : à chaque apparition, sa tenue est détaillée, jugée, appréciée. Les revues de théâtre comme les magazines « féminins » consacrent de pleines pages aux toilettes des actrices les plus en vue, sans un mot ou presque sur les rôles qu’elles interprètent. Les femmes « comme il faut » s’empressent d’adopter les tenues et les coiffures grâce auxquelles telle ou telle courtisane a fait sensation.

Dans ce jeu de prestige et de représentation, la photographie s’impose rapidement comme un outil indispensable : elle fixe l’image de ces belles et permet leur diffusion à grande échelle. Les clichés de Reutlinger sont reproduits dans les revues, en cartes albums puis en cartes postales. Les demi-mondaines tirent évidement un grand profit de cette multiplication infinie de leur image, qui participe de leur notoriété.

Vix, album Reutlinger, tome 61, vue 47, Gallica
Vix, album Reutlinger, tome 61, vue 47, Gallica

De ce système, les couturiers vont savoir user. Puisque la presse et le tout Paris détaillent avec attention chaque tenue des cocottes pour pouvoir les imiter et que la photographie diffuse en masse leur image, il suffit au couturier de bien « placer » ses produits. C’est ainsi que vont se nouer entre les plus célèbres courtisanes et les couturiers les plus en vue de fructueuses collaborations.

A la fin du XIXe siècle, le monde de la confection parisienne est marqué par d’importantes transformations. De grandes maisons de haute-couture s’établissent, telles celles de Worth, Rouff, Callot sœurs, ou encore de Doucet. La maison Worth, la plus célèbre d’entre toutes comptera à ses heures les plus fastes jusqu’à 600 employés ! En 1868, la création de la Chambre syndicale de couture, présidée par le même Worth participe de la structuration du marché, dont le cœur bat alors autour de La Madeleine, de la rue Aubert et du boulevard Malesherbes. Mais surtout, il faut retenir l’émergence de la figure du « couturier-artiste » dont Doucet sera l’un des plus extravagants représentants. Le couturier n’est plus un subalterne : créateur, il ambitionne d’être reconnu à l’égal de ceux qu’il habille.

Cléo de Mérode, album Reutlinger, tome 2, vue 39, Gallica
Cléo de Mérode, album Reutlinger, tome 2, vue 39, Gallica

Les clientes chics se rendent dans les grandes maisons où les divers modèles de la saison leur sont présentés. La coupe et le tissu choisi, le vêtement est taillé et assemblé de façon à s’ajuster parfaitement aux mensurations de la cliente. Souvent, les prix ne sont pas fixés à l’avance et variaient en fonction du luxe des matériaux choisis … mais aussi de la position de la cliente ! C’est ainsi que les déboires de certaines coquettes de la fin de siècle sont bien connus : impayés, factures falsifiées adressées au mari (et à l’amant !)… Certaines demi-mondaines bénéficiaient d’arrangements particuliers avec les couturiers. Chargées de lancer des tendances parfois audacieuses, elles bénéficient en retour de ristournes non négligeables. L’exemple le plus célèbre est certainement celui de Doucet qui habillait avec virtuosité Régane et Cléo de Mérode.

Au fil des pages des albums Reutlinger, se dessine le reflet de la mode parisienne entre 1875 et 1917. On y découvre la fin des faux-culs, les élans sculpturaux des créations de Doucet, les lignes sinueuse de la Belle Epoque, les premiers développements de l’art-déco… La sélection qui suit regroupe les plus fabuleuse toilettes que j’ai pu admirer parmi ces 15360 photographies.

7 réflexions sur “ La cocotte et le couturier : la demi-mondaine comme lanceuse de mode ”

  • 23 octobre 2013 à 17 h 58 min
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    Cléo de Mérode était surnommée par ses rivales ”ventre affamé”
    à cause de sa coiffure lui couvrant les oreilles,
    car “ventre affamé..n’a pas d’oreilles”. 🙂

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    • 24 octobre 2013 à 6 h 24 min
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      « Ventre affamé » était quand même une méchante insulte car cette expression désignait à la même époque les prostituées. Ce n’était pas tout à faitĺimage que Cléo cherchait à véhiculer…
      Les caricatures et jeux de mots sur Cléo sont assez riche, j’espère avoir le temps d’y consacrer un billet après ma série sur les Albums Reutlinger.

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  • 23 mai 2014 à 22 h 17 min
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    trés interressant!!! merci c’est tellement passionnant!!!!

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