Picasso céramiste et la Méditerranée

Picasso n’a pas seulement été un peintre : sculpteur, graveur, céramiste, il a été la figure même de l’artiste multidisciplinaire et touche à tout. L’exposition « Picasso céramiste et la Méditerranée », actuellement présentée à la cité de la Céramique met en lumière une facette de son œuvre qui, malgré sa richesse, demeure inconnue du grand public.

Picasso peignant le grand plat chouette, Cannes, 1957, succession Picasso
Picasso peignant le grand plat chouette, Cannes, 1957, succession Picasso

En 1946, alors qu’il séjourne dans le sud de la France, Picasso visite à Vallauris l’atelier Madoura, fondé par Georges et Suzanne Ramié. Le couple, installé depuis dix ans dans cette ville à forte tradition potière, cherche à renouveler les formes de la céramique populaire. Avec un bout de terre qu’on lui confie lorsqu’il pénètre dans l’atelier, Picasso modèle un petit faune encadré de deux taureaux, qui sera le point de départ d’une longue série de créations.

Un an plus tard, Picasso revient à Vallauris pour explorer plus en avant les techniques de la céramique. Il s’installe à l’atelier Madoura, où il observe les tourneurs travailler avant de s’y essayer. Picasso se jette à corps perdu dans l’exploration du matériau: entre juillet 1947 et octobre 1948, il crée près de 2000 pièces! Une production si prolixe peut surprendre: comment parvient-il, en si peu de temps, à s’approprier une technique qu’il ne connait a priori pas, si ce n’est qu’il s’y est brièvement essayé dans sa jeunesse, en 1905?

Picasso, corrida, scène de pique, 1951, terre cuite, collection particulière, succession Picasso
Picasso, corrida, scène de pique, 1951, terre cuite, collection particulière, succession Picasso

On touche là à l’un des aspects les plus fascinants de la personnalité de Picasso : sa capacité à s’approprier une nouvelle technique, à en saisir l’essence et à y insuffler un peu de son génie créateur. C’est souvent une rencontre marquante qui pousse Picasso à explorer un nouveau médium. Ainsi, dans le domaine de l’estampe, il expérimente les techniques au gré de ses collaborations avec des quelques imprimeurs parmi les plus doués de leur temps : la lithographie avec Mourlot à partir de 1945, la linogravure avec Arnéra à partir de 1946. De même, en 1963, sa rencontre avec les jeunes frères Crommelynck sera déterminante dans son retour à la taille douce.

Picasso, Corrida et personnages, 1950, terre cuite, Paris, collection privée
Picasso, Corrida et personnages, 1950, terre cuite, Paris, collection privée

Ses œuvres naissent de la collaboration étroite et stimulante avec des artisans parfaitement formés : en peu de temps Picasso parvient à s’approprier les spécificités d’un matériau et à en tirer les meilleurs partis plastiques. Le savoir-faire de l’imprimeur ou du céramiste lui assure une justesse technique, un support auquel il greffe son génie créatif.

A l’atelier Madoura, Picasso a essentiellement travaillé avec le tourneur Jules Agard. Picasso l’observer monter des pots, auxquels il « tord ensuite le cou »; exprime ses désirs de formes.

Parce qu’il n’a jamais été formé à la céramique, Picasso ose tout, ne s’interdisant aucune expérimentation, outrepassant les règles établies de la tradition manuelle : il emploie les outils qui lui tombent sous la main, attaquant par exemple la terre avec ses instruments de graveurs. C’est là un des secrets de son immense inventivité.

L’exposition dresse un large panorama de la production céramique de Picasso. En 20 ans, il aura créé quelques 4000 pièces. Certaines sont uniques, d’autres ont été éditées en série par l’atelier, plusieurs artisans étant chargés de reproduire les modèles imaginés par le maître : c’était un moyen pour Picasso de démocratiser son art.

Picasso, Vase aux danseuses, 1950, terre cuite et son moule, succession Picasso
Picasso, Vase aux danseuses, 1950, terre cuite et son moule, succession Picasso

Le visiteur ne peut qu’être frappé par la diversité des formes, des styles et des iconographies : assiettes, vases, figurines ; modelages, formes tournées, jeux d’engobes ou décors émaillés ; animaux, personnages, symboles… On regrette cependant que les commissaires n’aient pas mis en regard de ces céramiques les très nombreuses estampes que l’artiste produit à la même période. Les liens entre les céramiques et les linogravures sont pourtant souvent évoquées dans les textes qui accompagnent l’exposition. Que ce soit dans l’esthétique ou dans les sujets figurés par Picasso, les influences réciproques sont évidentes. Sans cesse, Picasso navigue entre les aplats purs d’encres colorés que produisent la linogravure et les jeux d’émaux et d’engobe sur la terre.

Picasso, Françoise au chignon fleuri, 1950, terre cuite, collection particulière
Picasso, Françoise au chignon fleuri, 1950, terre cuite, collection particulière

L’exposition s’attache à explorer quelques-uns des thèmes majeurs de l’œuvre de Picasso dans les décennies 1950 et 1960 : la tauromachie, la mythologie antique, la figure féminine. Elle montre aussi, avec brio, les riches influences de l’histoire de l’art sur l’œuvre de cet artiste. Picasso, fin connaisseur, a beaucoup fréquenté les musées, se confrontant aux productions des civilisations anciennes et aux œuvres des plus grands maîtres. On découvre ainsi (dans une salle à part, ce qui est un peu dommage), certaines des sources qui l’on marqué: la céramique antique, les statuettes de Tanagra, les moulages de Bernard Palissy et les modelages de Gauguin.

La scénographie sobre et épurée,  met en lumière les œuvres dans de subtils jeux de perspectives qui invitent au dialogue entre les œuvres. Je ne doute pas que cette exposition séduira même les plus réfractaires à l’art moderne! A voir entre esthètes ou en famille!

Picasso, Canard pique-fleurs, 1951, terre cuite, collection particulière, succession Picasso
Picasso, Canard pique-fleurs, 1951, terre cuite, collection particulière, succession Picasso

Picasso céramiste et la Méditerranée, Cité de la Céramique (Sèvres), jusqu’au 19 mai 2014. Informations complémentaires

8 réflexions sur “ Picasso céramiste et la Méditerranée ”

  • 4 décembre 2013 à 15 h 16 min
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    Je ne suis jamais allé visiter cette Cité de la Céramique qui pourtant, m’a-t-on dit, mérite un crochet !
    L’expo que vous relatez joliment incite (même si rien ne presse, vu la date de fermeture) à combler ce manque.

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    • 4 décembre 2013 à 18 h 40 min
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      Oui, je recommande chaudement la visite de la cité toute entière! Un conseil: pendant les vacances scolaires, il est également possible de pénétrer dans les ateliers et de rencontrer les artisans.

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  • 9 décembre 2013 à 16 h 12 min
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    Cette exposition était présentée aux Pénitents noirs à Aubagne,dans le cadre de Marseille-Provence 2013 d’avril à octobre. Le commissariat était assuré par Joséphine Matamoros et Bruno Gaudichon, et la scénographie était signée par Cédric Guerlus. Est-ce la même équipe qui intervient à la Cité de la Céramique ?

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    • 9 décembre 2013 à 16 h 58 min
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      Je me rappelle en effet avoir lu votre critique!
      A Sèvres, la scénographie est également de Cédric Guerlus.
      Eric Moinet et Frédéric Bodet se sont associés aux commissaires scientifiques de l’exposition d’Aubagne.

      Je n’ai pas insisté sur ce point dans mon billet, mais le parcours s’est enrichi d’une section consacrée aux matrices en plâtre servant à l’édition des céramiques de Picasso. Elles ont fait l’objet d’un don à la Cité de la Céramique suite à la fermeture de l’atelier Madoura. Elles viennent enrichir les « archives de la céramique du XXe siècle »…

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      • 9 décembre 2013 à 17 h 22 min
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        Merci pour ces précisions ! À la lecture de votre billet, je n’avais pas le souvenir d’avoir vu des moules… mais cela remonte au mois d’avril, et parfois ma mémoire me joue des tours…

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        • 9 décembre 2013 à 17 h 24 min
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          Si j’ai le temps, je consacrerai un billet complet à cette donation, très intéressante, qui interroge le statut des matrices: document ou œuvre? Patrimoine ou pas?

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          • 9 décembre 2013 à 19 h 35 min
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            En effet, une question particulièrement intéressante… Merci pour vos billets toujours passionnants !

  • 1 janvier 2014 à 20 h 56 min
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    Picasso ou l’artiste polymathe. Miles Davis était aussi comme cela.

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