Gallica s’est récemment enrichi de 15 « coffrets à estampe », précieux trésors de la Réserve du département des Estampes et de la photographie. Caractérisées par la présence d’une image imprimée au revers de leur couvercle, ces boîtes datées de la fin du XVe siècle ont fait couler beaucoup d’encre, tant leur usages demeurent mystérieux.

Les chercheurs désignent sous le terme « coffrets à estampe » un ensemble de petites boîtes en bois de hêtre, gainées de cuir et cerclées de métal dont le couvercle est orné au revers d’une xylographie coloriées.

Cent trente pièces de ce type sont connues : la Bibliothèque nationale de France en possède seize, ce qui fait de son ensemble le plus important au monde. Huit autres artefacts semblables sont conservés au Musée de Cluny et à l’Ecole des Beaux-Arts (donation Masson).
Par leur forme, leurs matériaux, leurs dimensions et leur mise en œuvre, ces coffrets sont relativement homogènes et plusieurs indices laissent à penser qu’ils étaient fabriqués en semi-série. On distingue cependant deux types de boîtes selon la forme de leur couvercle : certains coffrets présentent des couvercles bombés tandis que d’autres, plats, dissimulent une logette sous leurs ferronneries. Toutes les boîtes sont closes par des serrures ouvragées, présentant souvent des motifs végétaux.


Les coffrets sont ornés d’images imprimées (xylographie) coloriées au pochoir présentant dans la grande majorité des cas une iconographie religieuse : vie du Christ, Vierge à l’enfant, saints… Dans quelques rares cas, l’iconographie peut être profane, comme sur ce coffret orné d’un portrait d’Hercule.
Alors que la facture des coffrets est assez homogène, les images se révèlent plus hétérogènes par leur style. Un peu plus de la moitié du corpus se rattache néanmoins au « style d’Ypres » qui marque le milieu parisien autour de 1500. Originaire de Tournai, le peintre Jean d’Ypres anime un atelier à l’activité foisonnante et polymorphe : il y produit des enluminures, des dessins pour le livre imprimé, des cartons de vitraux ou de tapisseries. Le canon qu’il impose séduit et ses compositions seront copiées, adaptées, déclinées, avec plus ou moins de succès par divers artistes et artisans.

Mystérieux usages : coffret de messagers, coffrets de pèlerinage ou retable ?
Retables portatifs, boîtes pour messager, coffrets de pèlerinage, les hypothèses sur les usages de ces artéfacts ont fait l’objet de nombreuses spéculations. Ces dernières années, une approche renouvelée du problème, qui s’appuie en grande partie sur l’analyse de la relation entre l’estampe et son support, a permis d’écarter certaines hypothèses et de déduire des usages probables.
Longtemps, les coffrets à estampe ont été désignés sous le nom de « coffrets de messager », et c’est sous cette dénomination qu’ils apparaissent encore dans certains catalogues. L’image du Christ, de la Vierge ou d’un saint y aurait eu une fonction apotropaïque, protégeant le contenu – ou le porteur – des dangers durant le voyage. Cette théorie est aujourd’hui considérée comme totalement obsolète car les boîtes sont incontestablement trop fragiles et inadaptées à de tels usages : elles se seraient désagrégées sous les coups du transport et n’auraient offert aucune protection à leurs contenus, exposés aux chocs et à l’humidité. Les historiens de l’art pensent même au contraire que ces coffrets revêtaient un usage domestique, confiné dans l’espace urbain.

Quel pouvait être cet usage ? Un faisceau d’indices invite à penser que ces objets étaient liés aux pratiques de dévotion. Tout d’abord, les dimensions des coffrets, modestes, sont à peu près similaires à celles des livres. Auraient-ils servis à ranger ou à transporter des ouvrages ? Le volet droit d’un retable attribué à Barthélémy d’Eyck, conservé à Bruxelles, montre le prophète Jérémie sous une étagère chargée de livres. On distingue parmi eux une boîte probablement destinée à en contenir… Cette boîte d’un style différent des coffrets à estampe, se rapproche des productions du XIIIe siècle.

Les sujets religieux des estampes qui ornent les coffrets accréditent cette théorie. Leur style est très proche des images qui illustrent les livres imprimés contemporains et les citations gravées qui les accompagnent sont tirées des livres d’heures à l’usage de Rome. Or, l’ouvrage le plus fréquemment possédé dans la sphère privée est alors le Livre d’heures, qui regroupe les prières que le fidèle doit observer. En cela, l’estampe semble faire le lien entre le contenant et son contenu.
La présence de caches secrètes dans le couvercle de certains coffrets laisse en outre à penser que ces cavités pouvaient contenir des reliques mineures ou des objets ayant été en contact avec des reliques, conférant à l’objet une forte charge dévotionnelle. Malheureusement, aucun coffret n’a conservé le contenu originel de sa logette.

La production de ces coffrets à estampe coïncide avec le développement de nouvelles pratiques religieuses, plus individuelles et intimes, la devotio moderna. Le fidèle est invité à méditer sur les souffrances du Christ, à prier seul, ce qui engendre un besoin nouveau d’images et d’objets (comme le livre d’heures), destinés à être les supports de cette piété. Ainsi, nos coffrets à estampe appartenaient très probablement à ces objets de dévotion : contenant un texte religieux et parfois une relique, ils revêtaient en outre la fonction de petit retable privé.

La présence d’une image à l’intérieur de ces coffrets n’a donc rien à voir avec l’accident. Contrairement aux autres boîtes produites à l’époque, les coffrets à estampes s’ouvrent sur le petit coté, c’est-à-dire dans le sens idéal pour observer l’estampe. On ne sait cependant pas à qui revenait le choix de l’image : était-ce le fabricant ou le marchand qui garnissait le coffret d’une estampe ou l’acheteur qui associait librement deux produits achetés séparément?
De bien précieuses images
Rarissimes, ces coffrets doivent l’essentiel de leur valeur aux images qu’ils contiennent. D’un aspect qui peut paraitre à l’œil moderne un peu fruste et naïf, ces images sont d’une valeur immense car elles témoignent des débuts de l’estampe : on les désigne sous le nom d’incunables. Du XVe siècle, nous ne conservons plus que 5200 xylographies, pour la plupart en un exemplaire unique : pour seules 7% d’entre elles, plusieurs tirages sont connus. Pourtant, ces images étaient, à l’époque, extrêmement courantes : on estime qu’une matrice de bois, bien gravée et bien entretenue, pouvaient donner des dizaines de milliers de tirages. Destinées à être jetées et remplacées une fois trop abimées par les usages, ces feuilles ont pour la plupart disparues, d’où leur extrême valeur aujourd’hui.

Une valeur qui a incité certains collectionneurs et marchands du XIXe siècle à détacher de leurs coffrets ces estampes. Nous le devinons aux traces de clous que certaines feuilles conservées portent au dos. Des faussaires ont même trompé des amateurs (et des institutions) en leur vendant d’authentiques coffrets collés de « fausses » estampes « primitives » !
Pour en savoir plus:
- Lepape, Severine, Huynh, Michel, « De la rencontre d’une image et d’une boîte : les coffrets à estampe », dans Revue des Musées de France/Revue du Louvre, 2011-4, p. 37-50
- Les origines de l’estampe en Europe du Nord (1400-1470), Paris, Éditions du Louvre/Éditions Le Passage, 2013 et le billet consacré à cette exposition
Découvrir les coffrets à estampes
- 15 coffrets à estampe du département des Estampes et de la Photographie (BnF) à admirer sur Gallica
- Le coffret au Saint Sébastien du musée de Cluny (fiche oeuvre)
- Les coffrets à estampe du musée de Cluny sur la base photo de la RMN
- Les coffrets à estampe de l’Ecole des Beaux-Arts sur la base Cat’z’Arts
Trés interressant ! J’ai tout de suite pensé au transport des reliques, en plus peut-être transportait-on le saint sacrement et les saintes huiles pour les malades ?Ces coffrets étaient peut-être confiés par leurs propriétaires à des membres du clergé ou d’ordres religieux qui faisaient peut-être, moyennant finances, office de « facteurs » ?
Cet article est vraiment passionnant! Merci de nos faire découvrir ces coffrets.
Ping : Les coffrets à estampe | Infos artistiqu...
J’en veux un ! ! ! Ils sont tous plus beaux les uns que les autres, un côté mystérieux en plus avec sa fonction encore peu claire et la trappe secrète… Si la RMN veux faire des répliques à vendre, il y a déjà un acheteur ici 🙂
Merci pour la découverte (comme comme ça sert d’exhumer les vieux articles au fil des nouveautés).
Très bel article. Un petit post d’il y a presque 10 ans : http://blog.pecia.fr/post/2007/10/27/Coffrets-de-messagers-et-images-du-Moyen-Age