De Picasso à Jasper Johns, l’atelier d’Aldo Crommelynck

Pablo Picasso, Francis Bacon, Antoni Tapiès, Joàn Miro : voici quelques grands noms qui suffisent à évoquer toute la vitalité de l’estampe d’après-guerre. Mais les maîtres qui ont façonné et façonnent encore l’estampe contemporaine ne sont pas seulement les artistes-graveurs : les imprimeurs d’art et les éditeurs jouent également un rôle majeur dans ce domaine. Jusqu’au 13 juillet 2014, la BnF rend hommage à l’un des plus brillants artisans de l’estampe contemporaine, Aldo Crommelynck, imprimeur d’art. 

Red Grooms, Portrait of AC, 1994, Eau-forte et aquatinte, BNF. Red Grooms portraiture Aldo Crommelynck entrain de travailler sur une de ses matrices
Red Grooms, Portrait of AC, 1994, Eau-forte et aquatinte, BNF. Red Grooms portraiture Aldo Crommelynck entrain de travailler sur une de ses matrices

Adlo Crommelynck, une vie dédiée à la gravure

Formé dès la fin de l’adolescence à la gravure dans l’atelier de Lacourière, Aldo Crommelynck (1931-2008) abandonne rapidement la gravure originale pour mettre son savoir-faire au service des autres. D’abord graveur d’interprétation, il travaille d’après les oeuvres de Léger, Picasso, Braque et Matisse, qu’il transcrit en taille-douce. Cette expérience, qui demande de s’adapter à des styles et des manières très différentes, va permettre à Aldo Crommelynck de développer une technique aussi riche que virtuose. Dans l’atelier de Lacourière, il assiste également les artistes lors de la préparation, du travail et du tirages des matrices.

Red Grooms, Grand Central Terminal 1, 1994, eau-forte, vernis mou et aquatinte en couleurs, BnF
Red Grooms, Grand Central Terminal 1, 1994, eau-forte, vernis mou et aquatinte en couleurs, BnF

En 1956, Aldo Crommelynck fonde son propre atelier au coeur du quartier Montparnasse, où le rejoignent ses frères Milan et Piero. S’y cottoient Joan Miro, Hans Hartung, Alberto Giacommetti, André Masson, Georges Braque. Mais c’est surtout de la collaboration avec Picasso que l’atelier Crommelynck va gagner une réputation internationale.

En 1963, Picasso revient à la taille-douce après une parenthèse de quatre ans pendant laquelle il a préféré manier la gouge et la terre. L’installation auprès de lui, dans le sud de la France, d’Aldo et Piero n’est pas étrangère à ce retour au cuivre. Les deux frères Crommelynck se mettent à l’entière disposition de Picasso pour préparer et tirer ses matrices : quelques 750 estampes naissent de cette collaboration, qui va durer dix ans. Dix ans pendant lesquels l’artiste façonne une sorte de testament artistique gravé, à la technique foisonnante, où il cite abondamment les grands maîtres de l’histoire de l’art (Degas, Rembrandt, Goya) mais aussi sa propre oeuvre.

Pablo Picasso, Ecce Homo d'après Rembrandt ou Le théâtre de Picasso, 1970, eau-forte, pointe sèche et aquatinte, BNF
Pablo Picasso, Ecce Homo d’après Rembrandt ou Le théâtre de Picasso, 1970, eau-forte, pointe sèche et aquatinte, BNF

La mort de Picasso, en 1973, vient mettre un terme à ce moment particulier de la carrière des frères Crommelynck, qui rentrent à Paris, où leur atelier n’a cessé de fonctionner. L’aura de Picasso et la virtuosité de ses imprimeurs attirent à Paris des artistes du monde entier, parmi lesquels de nombreux américains, si bien qu’en 1986, Aldo Crommelynck, séparé de son frère Piero, décide d’ouvrir un atelier à New-York. Dès lors et jusqu’en 1997, date à laquelle il cesse son activité, il voyage sans cesse entre l’Europe et l’Amérique.

Ce qu’est travailler avec Aldo Crommelynck

Dès les années 1950, Aldo Crommelynck met son savoir-faire au service des autres. Il n’est pas seulement question d’interpréter sur le cuivre la peinture d’un tiers, ni de tirer sur le papier une matrice gravée par un artiste : il s’agit véritablement de collaborer à l’élaboration de l’oeuvre en assistant l’artiste.

Auprès d’Aldo Crommelynck, les artistes viennent chercher tout autant les conseils du graveur que la virtuosité de l’imprimeur. Pour certains, il s’agit de s’essayer pour la toute première fois à la taille-douce, alors que d’autres viennent chercher en Aldo un compagnon pour des expérimentations audacieuses aux confins de la technique. L’extraordinaire maîtrise de l’aquatinte d’Aldo Crommelynck est plébiscitée par les artistes : l’artisan prépare les plaques, surveille les morsures, guide les artistes pour des rendus d’une délicatesse virtuose que l’on ne cesse d’admirer dans l’exposition.

Donald Sultan, Black Freesios, 1988, série de 10 gravure à l'aquatinte, BNF
Donald Sultan, Black Freesios, 1988, série de 10 gravure à l’aquatinte, BNF

La figure tutélaire de Picasso, le charme de Paris

Si l’aura de Picasso a attiré des artistes du monde entier dans l’atelier d’Aldo, l’influence du maître du XXe siècle se ressent jusque dans les estampes qui sortent des presses Crommelynck. Les estampes de Richard Hammilton, Red Grooms, David Salle et David Hockney rendent hommage à Picasso graveur, lui empruntant ici un sujet chéri (l’artiste dans son atelier, une référence à Velázquez ou à Raphaël), là une technique propre au maître, ailleurs encore une référence plastique. L’accrochage met habilement en regard les épreuves, restituant ce dialogue artistique au sommet.

 Richard Hamilton, Picasso’s meninas, 1973, Eau-forte, aquatinte, roulette, brunissoir, BnF, déptartement des Estampes et de la photographie
Richard Hamilton, Picasso’s meninas, 1973, Eau-forte, aquatinte, roulette, brunissoir, BnF, déptartement des Estampes et de la photographie
David Hockney, Artist and Model, 1974, Eau-forte, aquatinte, vernis mou, collection particulière.
David Hockney, Artist and Model, 1974, Eau-forte, aquatinte, vernis mou, collection particulière.

Paris est un autre thème qui traverse les oeuvres créées dans l’atelier Crommelynck : c’est un savoir-faire tout français de la gravure que les artistes étrangers viennent chercher ici. Charmés par le cadre de la rue de Grenelle, où Crommelyck a installé son dernier atelier parisien, ils gravent la Tour Eiffel, Saint-Germain-des-Prés et le Paris littéraire.

Fleurons contemporains du département des Estampes

Tout au long de sa carrière, Aldo Crommelynck a demandé aux artistes avec lesquels il collaborait de réserver des épreuves pour la Bibliothèque nationale de France, y compris lorsqu’il se trouvait en Amérique, enrichissant ainsi les collections du département des estampes d’oeuvres que la France n’aurait pu obtenir par le dépôt légal, celui-ci ne s’appliquant pas à des estampes créées à l’étranger.

Tout logiquement, l’exposition de la BnF met l’accent sur ces collaborations américaines, qui permettent d’admirer l’oeuvre gravé de quelques grands artistes américains habituellement peu montrés en France: Jasper Johns, Red Grooms, Claes Oldenburg, Jime Dine…

Scénographie de l'exposition Aldo Crommelynck, BNF

La centaine d’oeuvres exposées permet de mesurer la diversité des styles et des artistes avec lesquels Aldro Crommelynck a collaboré. Le prestige des signatures et l’époustouflante qualité des tirages ne trompent pas : nous sommes devant les fleurons de l’estampe contemporaine.

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Infos pratiques : De Picasso à Jasper Johns. L’atelier d’Aldo Crommelynckdu 8 avril 2014 au 13 juillet 2014, Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand. Horaires et tarifs sur le site de la BNF. Le dossier de presse de l’exposition forme un très bon support à la visite. 

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