Alors qu’une exposition au musée de la Marine relate l’incroyable voyage de l’obélisque qui orne la perspective du Louvre aux Champs-Elysées, je me suis plongée dans Gallica à la recherche d’images de la place avant l’érection du monument… Des marécages à la Révolution, voici une petite histoire illustrée de la place Louis XV avant la Concorde et l’obélisque.

En 1748, pour fêter la guérison récente du roi Louis XV, les représentants de la Ville de Paris émettent le vœu de bâtir une place en l’honneur du souverain. Dispositif urbain dont la tradition a été élaborée au siècle précédent et dont la place des Vosges constitue le prototype, les places royales, avec leurs proportions harmonieuses et leurs façades ordonnancées forment de précieux écrins aux statues des souverains qu’on y érige.
Si les échevins et le prévot des marchands souhaitent établir dans la ville une nouvelle place en l’honneur du souverain, ils n’ont aucune idée de l’emplacement où l’aménager. C’est pourquoi ils lancent un concours auquel les meilleurs architectes du temps vont participer. Ces derniers doivent donc proposer l’aménagement d’un espace de leur choix.
Parmi les nombreuses propositions, celles de Jacques-Ange Gabriel, premier architecte du roi, va retenir l’attention : il a choisi un espace libre, un ancien marécage jusqu’alors sans fonction, aux marges de la ville, tout au bout du jardin des Tuileries. L’emplacement présente de nombreux avantages : il est à proximité immédiate du faubourg Saint Honoré, un quartier en plein essor, qui marque le développement de la ville vers l’ouest. Plus encore, le roi est propriétaire de la plupart des terrains, ce qui évitera les douloureuses et impopulaires expropriations…
L’espace est vide et forme une grande esplanade qui fait la transition entre le jardin des Tuileries et les Champs-Elysées. A l’ouest, elle est bordée de deux grands égouts et à l’est d’un fossé où l’on entrepose le marbre.

En 1753, a lieu un nouveau concours pour aménager la place : les membres de l’Académie royale d’architecture sont tous invités à formuler des propositions auprès de Ange-Jacques Gabriel, afin que celui-ci retienne les meilleures idées et en fournisse une synthèse.
Cinq ans plus tard, les travaux peuvent enfin commencer. La Ville a dû négocier avec les héritiers Law pour récupérer les terrains qui n’appartenaient pas au roi.
Au nord de la place, Gabriel érige deux hôtels aux façades identiques : l’hôtel du Garde-Meuble (aujourd’hui appelé hôtel de la Marine), destiné à recevoir, comme son nom l’indiquait, le Garde-Meuble royal, et un hôtel destiné aux héritiers Law, pour les dédommager de la perte de leurs terrains. Aucune autre construction monumentale ne doit encadrer la place, pensée comme le croisement de deux perspectives : celle qui relie les Tuileries aux verdoyants Champs-Elysées et celle de la nouvelle rue Royale, percée vers le nord. La place est simplement bordée d’une balustrade et de fossés.

Le point d’orgue du décor est bien sûr la statue de Louis XV, sculptée par Bouchardon et achevée par Pigalle en 1763. De cette statue que la Révolution a détruite, il nous reste quelques dessins et gravures, des descriptions et une petite chanson populaire raillant un roi alors devenu impopulaire :
« Ah ! la belle statue, ah ! le beau piédestal,
Les vertus sont à pied et le vice à cheval. »
Le vice ? Le roi, à cheval, figuré en empereur romain. Les vertus ? Les quatre statues du piédestal : la Force, la Justice, la Prudence et la Paix, censées symboliser les qualités du roi…
En 1772, la place Louis XV est achevée, mais amputée d’une partie du programme dessiné par Gabriel : il manque les sculptures de trophées qui auraient dû couronner les guérites et les deux fontaines autour de la statue.


Au sud, la place offre un beau promontoire sur la Seine. Il n’y a alors aucun pont qui relie la nouvelle place à la rive gauche. L’idée d’un pont à cet emplacement est en germe depuis 1725, mais il faut attendre 1787 pour que les travaux démarrent, sous la direction de Jean-Rodolphe Perronet et Daniel-Charles Trudaine. La Révolution n’interrompt pas les travaux bien au contraire : le démantèlement de la Bastille fournit au chantier des pierres en quantité et le pont est achevé en 1791.


L’année suivante, la statue de Louis XV est envoyée à la fonte, remplacée par une statue de la Liberté… et la guillotine y élit domicile : 1119 têtes tomberont place de la Révolution, parmi lesquelles celles de Louis XVI et de Marie-Antoinette.

Vingt-trois ans plus tôt, en 1770, la place avait été le théâtre d’un drame lors du feu d’artifice célébrant leur mariage : la chute d’une fusée avait causé la mort de 133 personnes, piétinées par une foule paniquée.

À la fin de la Terreur, la place est rebaptisée place de la Concorde. C’est le début d’une autre histoire qui verra plusieurs réaménagements, dont l’extraordinaire érection de l’obélisque…
Pour aller plus loin :
- Quelques anecdotes insolites (et scatologiques) à propos du jardin des Tuileries
- Le drame de 1770 sur la place Louis XV, sur le blog Raconte-moi l’histoire
- La démolition de la Bastille
- L’histoire de Paris par ses plans sur la boîte verte
- Les vues de la place Louis XV sur Gallica
Très belle synthèse !
Merci! Vous êtes toujours mon plus rapide lecteur!
Et votre blog un des plus intéressants que je connaisse !
C’est le premier article que je découvre de ton blog, et il est vraiment très plaisant ; toute cette documentation donne une meilleure idée de l’aspect de cette place et de son histoire (qu’on connaît finalement peu avant la période de la Révolution). Merci donc pour cet article de qualité 🙂
Merci de ce compliment!
C’est en fait l’ambition de mon blog que de mettre en regard images et histoire! Soit je pars d’une anecdote ou d’un fait qui m’interpelle et j’en cherche des images sur Gallica soit je fais des recherches documentaires sur une image qui a piqué ma curiosité…
Je prépare un second billet qui fera suite à celui ci et qui parlera de l’extraordinaire histoire de l’Obélisque (qui fait d’ailleurs l’objet d’une expo au musée de la Marine).
En attendant, si cet article t’as plu, je te conseille de faire un tour dans les rubriques « Gallica » et « Paris au passé », où tu trouveras d’autres billets de ce type.
et pour une rétrospective en 160 documents de l’histoire de la place : http://placedelaconcorde.jimdo.com/la-place
Il me semble qu’une ancienne plaque de cette place est d’ailleurs toujours présente non loin de l’Hotel Crillion, à moins que ce soit celle de la « Place Louis XVI ».
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