Le long de la rivière du Cailly, à quelques kilomètres du centre-ville de Rouen, une vieille bâtisse du début du XIXe siècle abrite une ancienne manufacture transformée en musée industriel : la corderie Vallois. Un lieu vivant, où se raconte le passé industriel Seinomarin, dans le bruit assourdissant de quelques vaillantes tresseuses mécaniques encore en état de fonctionnement.

On se rend à Rouen, ville d’art et d’Histoire, pour admirer ses maisons à pans de bois, ses musées foisonnants de trésors, ses églises gothiques et la plus grande surface de vitraux de France. Mais l’agglomération regorge d’un autre patrimoine, méconnu mais néanmoins passionnant : celui de l’industrie. Les traces du passé manufacturier se dévoilent aux yeux avertis au coeur même de la ville, mais il faut marcher aux delà du boulevard circulaire pour apercevoir les premiers vestiges d’une usine ou la silhouette d’une cheminée de briques.
A Notre-Dame-de-Bondeville, ce patrimoine est encore bien vivant à travers un musée ouvert au début des années 1990 : la Corderie Vallois, exemple préservé d’une manufacture familiale du tournant du XIXe siècle.

Mémoire de l’industrie textile rouennaise
Alors que la demande en cotonnade explose au début du XVIIIe siècle, Rouen, qui bénéficie d’une situation portuaire stratégique sur les routes commerciales, reçoit d’importantes cargaisons de coton directement importé des colonies esclavagistes d’Amérique. La matière première est transformée dans la région : les marchands confient le filage et le tissage à des ruraux des villages des environs, une activité qui fait vivre 20 000 personnes en 1730. A la fin du XVIIIe siècle, la mécanisation, venue d’Angleterre, bouleverse les circuits de production. Aux structures pré-industrielles succèdent de plus importantes manufactures, qui se concentrent au bord des cours d’eau des faubourgs. La force hydraulique est en effet indispensable pour muer les « machines anglaises » et les confins de l’agglomération offrent des surfaces confortables pour y installer des usines. Autour de 1800, 100 000 personnes de Rouen et de ses environs travaillent dans la transformation du coton. La Seine-Inférieure est alors la région française la plus active dans le secteur textile.

Un des pôles de cette industrie est la vallée du Cailly. Sa proximité avec le port de Rouen lui assure un approvisionnement aisé en coton, tandis que le cours d’eau offre un débit régulier, dont profitent déjà depuis plusieurs siècles de nombreux moulins à papier. Les manufactures vont les chasser : dans la première moitié du XIXe siècle, les 41 km du Cailly sont bordés d’une centaine d’usines (51 filatures, 4 manufactures de tissages, 22 indienneries et 17 teintureries) ! Si beaucoup des bâtiments qui abritaient ces manufactures ont aujourd’hui disparu, leur présence passée marque encore profondément le paysage.

Un musée industriel en état de marche
Le cas de la Corderie Vallois est représentatif des mutations successives de la vallée du Cailly au cours de l’histoire. Une activité est attestée sur le site depuis le XVIe siècle : jusqu’au début du XIXe siècle, un moulin y produit du papier. Autour 1820, s’y installe un teinturier blanchisseur, qui abat l’ancien moulin et y fait construire le bâtiment actuel, dont l’architecture à pan de bois est héritée de la tradition régionale. D’abord teinturerie, la manufacture devient filature de coton puis de laine. En 1880, Jules Vallois, cordier, loue puis achète le bâtiment qu’il transforme en corderie mécanique. Au rez-de-chaussée, il installe de grosses machines anglaises pour produire d’épaisses cordes. A l’étage, plusieurs centaines de tresseuses mécaniques produisent lacets et cordelettes.

Malgré leur grand âge (150 à 90 ans), toutes ces machines fonctionnent encore parfaitement, entretenues et actionnées par le personnel du musée lors des visites guidées (4 par jour). La démonstration appuie le discours, et l’on comprend mieux comment, à partir de bobines de fil de coton produites à proximité, on obtenait d’épaisses cordes câblées et des cordelettes tressées ou moulinées. Le ballet effréné des bobines sur les tresseuses mécaniques est aussi fascinant que difficile à suivre des yeux. Au rez-de-chaussée, le contraste est saisissant entre l’ampleur du métier à câbler et la lente progression de la corde, qui vient s’enrouler autour d’une bobine.

Une manufacture sauvée des eaux
Après avoir connu son âge d’or au tournant du siècle, la corderie Vallois est touchée de plein fouet par la crise de 1929. L’activité est néanmoins maintenue, avec des difficultés grandissantes : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’entreprise diversifie son activité pour survivre. En 1978, alors qu’elle n’emploie plus que deux ouvrières, la maison est contrainte de déposer bilan.
Mais pour le propriétaire, le petit fils de Jules Vallois, hors de question de laisser la corderie disparaître! Au delà de l’attachement sentimental, il a conscience de la valeur patrimoniale de son bien : un témoin unique et menacé du passage de l’artisanat à l’industrie.

La famille Vallois, soutenue par l’association du Musée de l’homme et de l’industrie et les collectivités locales parvient à faire classer monument historique la roue puis le bâtiment dès 1975. Les machines seront classées à leur tour en 1984.
Passé à la propriété de la région, le bâtiment, en très mauvais état et rongé par l’humidité est mis hors d’eau et restauré. En 1994, il réouvre en tant que musée d’archéologie industrielle, un des premiers du genre en France. Depuis, sa muséographie, discrète, moderne et respectueuse de l’esprit du lieu n’a pas pris une ride.

Travailler à l’usine à la fin du XIXe siècle
Au delà de la démonstration technique, c’est la mémoire ouvrière qui se conserve ici. Au musée de la Corderie, on raconte la vie des milliers d’âmes qui ont peuplé la vallée du Cailly et sué dans ses usines. Une vie difficile, au rythme d’un labeur pénible. Au plus fort de son activité, la corderie employait 45 personnes, essentiellement des femmes. Elles travaillaient douze heures par jour, mais étaient payées au rendement. Comme ailleurs, les accidents y étaient nombreux, notamment chez les enfants, ces « petites mains » précisément chargées de passer leurs doigts dans les machines, là où ceux des adultes ne pouvaient passer. Et si on y perdait pas un doigt, la santé, irrémédiablement, était condamnée : les boucans des machines rendait sourd en moins de trois mois ; les poussières de coton bouchaient les poumons.

La mise en route simultanée de dix tresseuses mécaniques (pendant la visite guidée) ne suffisent pas à représenter l’enfer que devait être de travailler ici, des journées entières, sans répit au milieu de centaines de machines inépuisables.
Des conditions effroyables, et pourtant, à l’époque, Jules Vallois comptait parmi les « bons patrons » humanistes. Paternaliste, pétri des théories du catholicisme social, il offrait à ses employés certains avantages, comme la mise à disposition de jardins ouvriers, un « confort » rare à l’époque.

Informations pratiques : musée ouvert tous les jours de 13h30 à 18h sauf certains jours feriés. Entrée plein tarif : 3,5 euros. Ajoutez 3 euros pour la visite conférence (fortement recommandée si vous voulez voir les machines fonctionner). Idéal pour une sortie en famille.
Un élégant hommage à la laideur industrielle !
Oh, ce lieu là est loin d’être laid!
J’aime beaucoup le patrimoine industriel, à vrai dire. J’adore traverser en voiture et de nuit les quais du port de Rouen : quel spectacle que de voir le vaisseau des raffineries, leurs tuyaux luisants à la lumière des flammes… J’ai quelques souvenirs sublimes (au sens romantique du terme) de ce type, dont je n’arrive pas bien à me rappeler si je les ai réellement vécu ou simplement rêvé…
Parce que votre sens esthétique arrive à créer de la beauté à partir de cette laideur réelle !
Cet endroit n’est pas laid ! Cet endroit de la vallée du Cailly, par ailleurs pas très attrayante, est très agréable. Mieux encore est la route des Moulins, sur l’autre vallée industrielle de Rouen, la vallée du Robec
La vallée du Robec, c’est une de mes prochaines excursions à programmer : je l’ai parcourue à vélo avec le GTR, et j’ai très envie d’y revenir à pied pour photographier toutes les traces du passé et faire un joli billet !
Le cadre est agréable, la promenade historique !