Il y a quelques jours, la Cité de l’architecture et du Patrimoine a lancé une campagne de crowdfunding (financement participatif) pour la restauration d’une exceptionnelle (et monumentale !) maquette du Mont-Saint-Michel : un colosse de plus de deux mètres et de 1500 kg !
En juillet, je m’étais rendue dans les réserves du musée, en Bourgogne, pour suivre le tournage de la vidéo promotionnelle qui accompagne la campagne de mécénat. Ce voyage m’a fourni l’occasion de réaliser de nombreuses photographies de l’œuvre et un entretien avec la conservatrice à l’origine de ce projet, dont voici le compte-rendu.

Restaurer le Mont-Saint-Michel dans le dernier tiers du XIXe siècle
Au milieu du XIXe siècle, le Mont-Saint-Michel est dans un état déplorable : transformé en prison, plusieurs fois victime d’incendie, ce joyau architectural médiéval menace de tomber en ruines. Consciente de cette situation catastrophique, l’administration envoie en 1872 un architecte pour évaluer l’état du Mont. Il s’agit d’Édouard Jules Corroyer (1835-1904), élève de Viollet-Le-Duc et architecte à la Commission des Monuments historiques. Pendant plusieurs mois, il réalise des relevés architecturaux et étudie le monument dans son ensemble. Suite à ses observations, le Mont-Saint-Michel est classé monument historique en 1874 : il faut alors le sauver, le restaurer. Tout logiquement, Corroyer reçoit la charge des travaux, qui commencent en 1878. L’architecte a eu le temps de murir son projet, s’appuyant sur l’importante documentation qu’il a rassemblée durant son étude, parmi laquelle des clichés commandés au photographe Durandelle (dont nous avons déjà parlé dans un précédent billet).
![Durandelle, Vue générale du Mont Saint-Michel prise depuis la baie, face sud, [entre 1873 et 1878]. Papier albuminé © Suzanne Nagy](http://peccadille.net/wp-content/uploads/2014/03/durandelle_mont_saint_michel.jpg)

Une maquette exceptionnelle
En 1884, une maquette du Mont-Saint-Michel est présentée à l’exposition de l’Union des arts décoratifs. Elle ne figure pas tout le Mont, mais seulement la partie la plus remarquable de son architecture, ce qu’on appelle « La Merveille » (premier tiers du XIIIe siècle) et le châtelet (fin XIVe /début XVe siècle), qui s’élèvent sur la face orientale de l’île. Cette maquette a été réalisée par le fils de Théodore Fouché, l’entrepreneur en travaux avec lequel Edouard Corroyer collabore. Il s’agit d’une pièce exceptionnelle par son matériau, de la pierre (du calcaire de l’Oise et non du plâtre), par ses dimensions, 2 m 68 de haut pour près de 1500 kg (sans le socle !) et par son parti-pris, celui de présenter à la fois les façades et une coupe des trois pièces que forment l’aumônerie, la salle des hôtes et le réfectoire des moines.

À plusieurs titres, cette maquette forme un manifeste. Tout d’abord, elle démontre le savoir-faire de l’entrepreneur Fouché en matière de taille de pierre : la réalisation au 1/20e est d’une grande finesse et aucun détail, aussi infime soit-il n’est négligé. Par ailleurs, elle expose les choix de Corroyer pour la restauration du monument, alors même que le chantier rencontre d’importantes difficultés. En effet, en 1878, alors qu’il commence les travaux, Corroyer s’attaque d’abord aux urgences : étayer et renforcer la structure basse pour éviter que les parties hautes ne s’effondrent. Il concentre donc ses efforts sur les remparts et les murs de soutènement. Au début des années 1880, il est prêt à s’attaquer au chef-d’œuvre, la Merveille, mais les financements commencent à manquer. Or, Corroyer est ambitieux : il veut, outre les travaux d’entretien nécessaires, restituer la charpente d’origine du bâtiment, recréer des combles, reconstruire le grand escalier nord et redonner à l’entrée de l’abbaye (châtelet) son aspect primitif, tout en sauvegardant certains éléments, représentatifs de l’art militaire du début du XVe siècle. La maquette ne représente donc pas l’état du Mont en 1880, mais matérialise les restaurations projetées par Corroyer.
Au même moment, l’architecte entre en conflit avec les habitants du Mont, qui n’apprécient guère qu’il ait imposé son entrepreneur, Fouché, au détriment d’un Montois, Sébastien Fèvre. De plus, certains de ses confrères contestent des choix de restauration, à l’instar de Sagot, qui est probablement l’auteur du petit fascicule publié anonymement et intitulé Les vandales au Mont-Saint-Michel, cri d’alarme poussé par un architecte. Sagot juge que les interprétations de Corroyer sont erronées et s’oppose aux restitutions des créneaux et du mur pignon.
Dans un tel contexte, la présence de la maquette à l’exposition de l’Union des arts décoratifs offre au projet une visibilité sur la scène parisienne et permet d’asseoir les choix de restauration de Corroyer, et de rassurer sur la dextérité et le talent de son entrepreneur. La maquette est en partie démontable, ce qui permet de réaliser des démonstrations explicatives quant aux travaux envisagés. Marque d’une consécration, la maquette remporte la médaille d’argent et la commission se montre favorable à son acquisition par l’administration. Corroyer et Fouché décident d’en faire don au musée de sculpture comparée, où la pièce se trouve exposée dès l’année suivante.

La situation ne s’arrange cependant pas pour Corroyer : les travaux demeurent au point mort jusqu’en 1887 et l’architecte est révoqué en 1888, après que les conflits avec les notables locaux se soient envenimés. Le chantier est alors confié à l’architecte Victor Petitgrand qui poursuit les travaux de façon beaucoup plus discrète et économe.
Une restauration nécessaire
Jusqu’à la fin du XXe siècle, la maquette de la Merveille ne quitte pas les salles du musée, où elle est plusieurs fois déplacée. Avec le temps, elle se détériore et les deux chantiers de restauration qu’elle subit, en 1941 et 1981 ne suffisent pas à lui rendre sa beauté. Si les cassures qu’elle a subies au gré des montages et démontages ont dans l’ensemble été réparées, les joints n’ont pas toujours été refaits de façon propre et les manques ont été grossièrement bouchés au plâtre… Suite à la fermeture du Musée des monuments français en 1997, la maquette est placée en réserve, où elle se trouve encore : son état actuel ne permet pas une exposition dans les salles de la Cité de l’architecture. Pourtant, la maquette aurait toute sa place dans le parcours permanent, où elle témoignerait d’un des plus magnifiques exemples d’architecture médiévale et formerait une illustration remarquable des travaux de restauration menés au XIXe siècle. C’est pourquoi les responsables scientifiques de la collection appellent de leurs vœux une restauration depuis 2010.
Une étude préalable, très soigneuse, a permis de comprendre comment la maquette était construite et d’éclairer sur son état sanitaire. Cette étude a mis en évidence la nécessité de renforcer structurellement le support, ancien et fragile. Il s’agit d’une étape indispensable pour envisager de déplacer la maquette. En 2011, une seconde phase d’étude a permis de concevoir un protocole précis de restauration. En 2014, en se basant sur ce projet, le musée a cherché un prestataire : six dossiers ont été mis en concurrence, et trois ont été retenus pour proposer un devis. C’est finalement une équipe comprenant sept restaurateurs et un socleur qui a été sélectionnée. Ils vont intervenir sur l’œuvre pendant 130 jours, suivis de très près par une commission scientifique chargée de la validation des choix de restauration. Dans un premier temps, ils travailleront dans les réserves du musée : il s’agira de démonter en grande partie la maquette afin d’accéder à la structure sous le massif de la Merveille pour refaire les calages manquants. Pour cela, on utilisera du Siporex, un béton cellulaire très léger mais très résistant. L’ensemble des blocs de pierre pourra alors être nettoyé et remonté. Dans un second temps, les restaurateurs nettoieront les pierres par microsablage et élimineront les joints débordants (il y en a plus de 60 mètres linéaires !). Ils s’attacheront également à reconstituer le rochage, dont un tiers manque. A ce stade, la maquette sera enfin transportable et pourra rejoindre le palais de Chaillot.
La phase finale du chantier, en février, se déroulera sous les yeux du public : la maquette, revenue à la Cité de l’Architecture, sera complétée : les parties hautes (dont la charpente, actuellement présentée dans le hall de la Cité) seront remises en place. S’en suivra une exposition dossier, présentant de façon pédagogique le chantier, documenté à toutes les étapes.

Cependant, un tel chantier de restauration, estimé à 130 jours de travail et mobilisant de nombreux intervenants, se révèle très cher, trop cher pour le musée : il exige une enveloppe de 100 000 euros ! C’est pourquoi, en sus des subventions de l’état et du mécénat d’entreprise, la Cité de l’Architecture a décidé de faire appel à la générosité de son public, en lançant une campagne de crowdfunding.

Comment participer ?
C’est très simple ! Il suffit de se rendre sur la plateforme de financement participatif Ulule. Après avoir créé un compte, vous pourrez effectuer un don du montant de votre choix (et déductible des impôts à partir de 25 euros de contribution). Votre compte ne sera débité que si le projet atteint son objectif de collecte (15 000 euros sur un budget total de 100 000 euros). En échange de votre don, outre une déduction d’impôt (à hauteur de 66 % du montant du don), vous recevrez un petit cadeau (badge, carte postale, visite guidée avec les conservateurs…). Bien sûr, il est aussi possible d’envoyer plus classiquement un chèque à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine via ce formulaire.
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Restaurons la Merveille, une maquette du Mont… par Cite-architecture
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