Belles impressions : le salon de l’estampe 2015

Le dernier week-end d’avril avait lieu au Grand Palais le salon international du livre rare, de l’autographe, de l’estampe et du dessin. Devant l’enthousiasme qu’ont suscité les photos que j’ai postées sur les réseaux sociaux, j’ai rédigé un compte-rendu de ma visite au salon.

Salon international de l'estampe, Grand Palais, 2015
Salon international de l’estampe, Grand Palais, 2015

Il ne s’agit en fait pas d’un, mais de deux salons qui ont lieu concomitamment sous la nef du Grand Palais : le salon du livre et de l’autographe d’une part, et le salon de l’estampe et du dessin d’autre part. Le premier, organisé par le syndicat national de la librairie ancienne et moderne, rassemblait 160 exposants, tandis que le second, organisé par la chambre syndicale de l’estampe, du dessin et du tableau, était plus modeste, avec seulement une trentaine de stands. Plus petit, certes, mais avec beaucoup à voir : j’ai passé deux après-midi à arpenter les allées et à contempler de belles pièces.

Les galeristes réservent pour le salon leurs plus prestigieuses prises de l’année et certaines estampes atteignent plusieurs dizaines de milliers d’euros. Ce qui n’empêche pas l’amateur peu fortuné de dénicher son bonheur dans les nombreux portefeuilles, et ce dès quatre-vingts euros.

M’y rendant non pas en cliente potentielle mais simplement pour me délecter, ce sont essentiellement les pièces exceptionnelles ou célèbres qui ont retenu mon attention.

Je crois bien que l’image la plus impressionnante que je garderai du salon est la colonne Antonine, accrochée sur le stand de Christian Collin. Piranèse, fameux graveur italien du XVIIIe siècle est surtout connu pour ses prisons monumentales et imaginaires, mais le gros de sa production est consacré aux monuments antiques, relevés avec une étonnante précision. La colonne Antonine est gravée en six grandes planches, qui, mises bout à bout, atteignent trois mètres de haut. L’exemplaire présenté par Christian Collin est dans un état de conservation impeccable, avec de grandes marges, ce qui l’a autorisé à cette mise en scène monumentale et très remarquée des visiteurs. Le galeriste vendait également un pendant, la colonne Trajane, tout aussi belle, mais qu’il n’avait pas mise sous cadre (c’est bien dommage d’ailleurs, l’effet aurait été épatant !).

Colonne Antonine estampe
Piranèse, Colonne Antonine, eau-forte, vers 1775, galerie Christian Collin

Face au stand de Christian Collin, celui de Sarah Sauvin a également retenu l’attention des visiteurs par la préciosité et la qualité des pièces exposées : une cinquantaine d’estampes seulement, mais toutes plus remarquables les unes que les autres. Sarah Sauvin est une jeune galeriste d’une trentaine d’années qui a fait un choix original : une galerie entièrement en ligne (qui était d’ailleurs lancée à l’occasion du salon) et un catalogue restreint – que des œuvres exceptionnelles.

lithographie du Bon Samaritain, Bresdin
Bresdin, Le Bon Samaritain, lithographie, 1861, Galerie Sarah Sauvin

C’est ainsi que l’on découvrait sur son stand Le Bon Samaritain (1861), une lithographie ultra-connue mais rare de Rodolphe Bresdin, artiste graveur singulier et marginal du milieu du XIXe siècle. L’œuvre impressionne par ses dimensions monumentales (56 x 45 cm)  et par la méticulosité du dessin. Le prix vertigineux de l’épreuve (55 000 euros) est dû à la rareté des exemplaires connus de ce premier état, et à l’exceptionnelle conservation de cette feuille, pourvue de très grandes marges.

Autre rareté, ici présentée, un bois de Gauguin, le Porteur de Feï (1898-1899). Gauguin s’est beaucoup adonné à la xylographie, mais les tirages effectués de sa main sont peu nombreux, et donc recherchés. C’est le cas de cet exemplaire : le Porteur de Feï a été gravé pendant le second séjour tahitien, en même temps de 14 autres bois. Espérant en obtenir de quoi vivre, Gauguin passe plusieurs semaines à imprimer de chaque matrice 25 à 30 exemplaires numérotés, qu’il fait expédier à Vollard. Malheureusement, la vente de ces 450 estampes sera un échec, le marchand les jugeant sans valeur. Aujourd’hui, ces feuilles sont très recherchées, car au plus près du rendu voulu par l’artiste : on perçoit bien le caractère novateur du travail du bois à la fois frustre et délicat, la recherche d’un primitivisme dans le traitement des formes. Des quinze bois de la série, onze seront retrouvés après la mort de Gauguin, réutilisés comme décoration dans une clôture de jardin. Ils feront l’objet de réimpressions, avant de rejoindre les collections du musée de Prague. La matrice du Porteur de Feï, elle, n’a jamais été retrouvée, ce qui accentue la valeur des trente tirages, dont beaucoup sont conservés dans des musées.

Avant de quitter le stand de Sarah Sauvin, il faut que j’avoue un regret : la galeriste présentait un ensemble d’un graveur que j’adore, Félix Buhot. Aquafortiste de talent, artisan de la belle épreuve, Buhot variait ses tirages en sélectionnant de beaux papiers, en jouant sur les encrages. Il poussait le raffinement à imprimer certaines estampes à l’essence, et à dorer les marges au pinceau ! Sarah Sauvin vendait précisément un de ces tirages exceptionnels de la fête nationale au boulevard Clichy (1878). Malheureusement, un collectionneur américain a emporté l’œuvre quelques minutes avant mon passage ! Heureusement, elle avait un autre Buhot à admirer, La Falaise, baie de Saint-Malo.

Autre stand où j’ai passé un long moment, celui du très sympathique galeriste barcelonais, Palau Antiguitats dont c’était la première participation au salon. Jouant la carte espagnole, il présentait un bel ensemble de gravures de Goya. Il n’était certes pas le seul à avoir parié sur ce géant de l’estampe, mais son accrochage, par sa profusion et sa qualité, était le plus convaincant. En effet, il présentait à la fois des exemplaires en feuille du premier tirage des Caprices – les plus délicats et les plus recherchés – et une édition reliée des mêmes pièces, certes plus tardive (1885) mais également très rare : les cahiers d’estampes de ce type ont souvent été cassés pour écouler plus facilement (et plus cher) les images.

Ce stand présentait également un ensemble impressionnant de délicates estampes du XVIe siècle :  Ghisi, Bonasone, et surtout une œuvre de Bellange, graveur lorrain connu pour ses élégantes figures maniéristes. J’ai eu grand plaisir à me délecter du délicat jeu de burin de la figure de Saint Barthélemy. Il est rare d’approcher de si près de si belles pièces !

La galerie Martinez présentait elle aussi une feuille de Bellange : La résurrection de Lazare (1595). Ce tirage-là cachait un secret indétectable si on ne vous le révélait pas : au dos de l’épreuve est imprimé un paysage d’un autre graveur de la même époque, témoignage de la valeur du papier, que l’on réemployait volontiers. J’ai eu la chance d’être sur le stand au moment où le galeriste a décadré l’œuvre pour la montrer à une amatrice.

La galerie Martinez présentait une accumulation de belles choses, si bien qu’il était impossible de savoir où donner de la tête. En vrac, citons deux Rivières, plusieurs Dürer et la série des prophètes et des sibylles de la Chapelle Sixtine gravée par Ghisi d’après Michel-Ange.

Stand de la galerie Martinez, Salon de l'estampe 2015
Stand de la galerie Martinez, Salon de l’estampe 2015

Non loin se tenait le stand de la Galerie Paul Prouté, qui présentait une sélection d’une grande qualité, qu’il sera difficile d’énumérer, d’autant que, prise dans la contemplation, j’ai oublié de faire des photographies. Il y avait un tirage du Faust de Rembrandt – un des premiers états, ce qui est extrêmement rare -, plusieurs burins de Dürer et un beau Buhot.

La galerie Documents 15, en face, a retenu mon attention pour sa très belle sélection d’affiches fin de siècle, mettant en scène d’élégantes dames admirant des estampes. L’accrochage évoquait la vie artistique à la fin du XIXe siècle, faisant ainsi écho au stand de la BNF, dont le fil conducteur était « la vie d’artiste ». J’ai particulièrement aimé, sur le stand de Documents 15, une affiche signée Hermann-Paul, dont la hardiesse du cadrage, les coloris vifs sont la marque d’une étonnante modernité et d’une certaine fraîcheur.

A gauche, J. Peské, L'estampe et l'affiche, lithographie en couleurs, vers 1900. A droite, Paul Hermann, affiche pour le Salon des cents, lithographie en couleurs, 1895, galerie Documents
A gauche, J. Peské, L’estampe et l’affiche, lithographie en couleurs, vers 1900. A droite, Paul Hermann, affiche pour le Salon des cents, lithographie en couleurs, 1895, galerie Documents

Comme tous les ans, le département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France participait au salon en exposant ses fleurons, sélectionnés par les responsables des collections autour d’un thème commun. En 2013, l’accrochage « animal » avait rencontré un tel succès qu’il a donné naissance à un livre, dont je vous parlais ici. Pour illustrer la vie d’artiste, avaient été choisis des oeuvres d’Abraham Bosse, Chagall, Daubigny, Alberola… Un bel ensemble dont je vous reparlerai dans un billet ultérieur !

Côté estampe contemporaine, l’accrochage du salon était moins diversifié : beaucoup de grandes estampes en couleurs, souvent abstraites – ce qui se vend le mieux, mais comme me le faisait remarquer un connaisseur, qui tient plus de l’affiche de luxe que de la gravure. Néanmoins, quelques propositions se détachaient : celles de la galerie Documents 15, par exemple, qui exposait les xylographies de Christine Baumgartner. Cette artiste, qui a reçu le prix de gravure Mario Avati 2015 est habituellement exclusivement représentée par une galerie londonienne : la présence de ses œuvres était donc exceptionnelle – et très remarquée.

Baumgartner, xylographie, galerie Documents 15
Baumgartner, xylographie, galerie Documents 15

Était également présent l’URDLA, dont je vous ai parlé dans un précédent billet. Son beau stand présentait les créations des artistes reçus en résidence en 2014. L’occasion pour moi de revoir les œuvres admirées à l’exposition Extraction et de découvrir celles de Daniel Nadaud.

Avant de terminer mon tour du Salon 2015, il faut que je cite le stand de Xavier Seydoux qui se distinguait par son accrochage singulier, sur le thème du paysage hollandais et flamand, essentiellement au XVIIe siècle : pas de couleurs ici, simplement la silencieuse délectation du noir et du blanc. J’y ai remarqué un tirage de Soleil couchant sur le port d’Anvers, gravé par Jongkind en 1868, une œuvre que j’affectionne et qui annonce Impression, soleil levant de Monet.

Jongkind, Soleil couchant, port d'Anvers, eau-forte, 1868, galerie Xavier Seydoux
Jongkind, Soleil couchant, port d’Anvers, eau-forte, 1868, galerie Xavier Seydoux

Enfin, j’ai découvert à l’occasion du salon la galerie bruxelloise Le tout venant, qui présentait de nombreuses œuvres d’artistes belges des XIXe et XXe siècles, dont une fabuleuse sélection de bois gravés, parmi lesquels de beaux Maasereel. Une partie de l’accrochage était consacré Charles Bernier, un graveur fin de siècle proche du poète Émile Verhaeren, dont la galerie publiait un catalogue.

Salon de l'estampe, Grand Palais, 2015
Salon de l’estampe, Grand Palais, 2015

Ce récit ne brosse qu’une infime partie des merveilles proposées au salon. Coté librairie rare, il y avait aussi de superbes choses à admirer, y compris pour les amateurs d’estampes, puisque l’on sait l’importance de l’image au sein du livre… mais cela mériterait un autre billet !

4 réflexions sur “ Belles impressions : le salon de l’estampe 2015 ”

  • 7 mai 2015 à 10 h 25 min
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    Belle promenade dans cette exposition. Mais on pourrait se demander si le portrait de Saint Barthélémy n’est pas une caricature, au vu de la coiffure et du regard du saint personnage.

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  • 3 août 2017 à 17 h 39 min
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    Bonjour,
    Je souhaite vendre ma collection de gravures anciennes, du XV° au XIX° siècle ainsi que des séries de figures des XVII° et XVIII° siècles et avoir la possibilité de toucher de vrais amateurs.
    Comment faire?
    Cordialement,
    G. Benhamou

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    • 3 août 2017 à 17 h 42 min
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      Bonjour,

      Je dois avouer ma méconnaissance du marché de l’art – au delà des billets que je produis sur mes visites en amateur des salons.

      Peut-être pourriez vous vous adresser à Daniel Martinez ou à Christian Collin, deux marchands d’estampes parisiens ?

      En vous souhaitant bonne chance dans cette aventure.

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