C’est comme une faille spatiale dans le plan de Paris : vous êtes à la fois ici, et un petit peu ailleurs. Dans quelque chose qui garde le souvenir de l’atelier de Brancusi sans tout à fait être l’atelier de Brancusi.
À la bordure de la piazza, un bâtiment bas, à l’ombre du Centre Pompidou, toujours noyé sous les pigeons. L’entrée de cette annexe (gratuite) du musée d’art moderne est très discrète : rien ou presque n’indique ce que l’on trouve derrière les murs. Un espace blanc, une lumière diffuse et, au centre du bâtiment, une cage de verre. Dans la cage de verre, l’atelier de Brancusi.

Constantin Brancusi, un des plus célèbres artistes roumains, est arrivé à Paris en 1904. L’histoire de l’art retiendra ses colonnes sans fin, ses délicates têtes de femmes et ses oiseaux aux silhouettes élancées.
En 1916, il s’installe au 8 impasse Ronsin dans le XVe arrondissement. Au fil des décennies, l’atelier s’agrandit, colonisant progressivement les baraques adjacentes. Dans le processus créatif de l’artiste, l’espace joue un grand rôle : c’est là qu’il sculpte les formes, mais plus encore c’est là qu’il fait vivre ses œuvres, les plaçant les unes par rapport aux autres de façon à créer des ensembles.
De fil en aiguille, l’atelier devient donc un lieu de présentation où mieux que nulle part ailleurs se révèle l’essence de ses sculptures : dans le dialogue des formes, elles se répondent, se font écho. La chose prend de telles proportions que Brancusi, à chaque vente d’une œuvre, lui substitue une copie en plâtre, double fantôme qui préserve l’équilibre de l’ensemble.

En 1956, pour préserver l’atelier, devenu œuvre totale, Brancusi décide de léguer à l’État l’intégralité de son fonds, mais à une condition, quelque peu incongrue : que les pouvoirs publics s’engagent à reconstituer l’atelier au sein d’un musée, exactement dans la disposition qu’on le trouverait le jour de son décès. Un an plus tard, l’artiste s’éteint, chez lui, à Paris.
Une première reconstitution de l’atelier est installée en 1962 dans le Palais de Tokyo. Elle déménage sur la piazza en 1977, au moment de la construction du Centre Pompidou. Quinze ans plus tard, la dégradation du bâti menace l’intégralité du fonds Brancusi : la construction d’un nouveau pavillon est confiée à Renzo Piano.
« L’atelier de Brancusi » conçu par Renzo Piano n’est plus tout à fait celui de Brancusi : nous ne sommes plus dans les calmes ruelles du XVe, mais dans le cœur battant de la ville, nous ne circulons pas dans l’antre du créateur, au sein de la forêt de sculptures, mais tournons autour, contemplant, mis à distance, derrière de grandes baies vitrées.

Renzo Piano n’a donc pas bâti un fac-similé des barraques de l’impasse Ronsin, mais un espace muséographique qui évoque l’atelier et restitue son essence, c’est-à-dire le sentiment d’unité qui se dégage de l’ensemble exposé, œuvre comme objet. L’architecte a beaucoup travaillé à restituer l’ambiance lumineuse de l’atelier ; car la lumière occupe elle aussi un rôle central dans le travail de Brancusi – comme dans le travail de tout sculpteur. Ce souci de la lumière et de l’espace transparaît dans les étonnantes archives photographiques que Brancusi a constituées avec l’aide de Man Ray. Plus qu’un simple inventaire de ses œuvres, elles forment un outil de réflexion sur sa démarche artistique : 1700 négatifs capturent le mouvement des œuvres dans l’atelier, le jeu de la lumière sur les sculptures. Au fil des heures du jour et du rythme des saisons, le soleil caresse les sculptures, jusqu’à l’instant crucial, parfois unique, où la forme vibre parfaitement sous l’effet de la lumière. Les photographies témoignent de cette longue attente du rayon de soleil juste, note éphémère qui sublime l’œuvre.
Dans l’atelier muséifié, le moule et l’outil dialoguent avec les sculptures achevées, devenant à leur tour à l’égal de l’œuvre d’art, un élément indissociable du tout.

Pénétrer ici s’apparente parfois à la visite d’une église : on quitte l’agitation de la rue pour la quiétude et la fraîcheur de ce lieu coupé de l’extérieur. Le visiteur tourne autour de la cage de verre comme il déambulerait autour d’une relique : à chaque pas, à travers la vitre, l’œuvre totale révèle une nouvelle facette.
Informations pratiques : l’atelier est ouvert tous les jours sauf le mardi, de 14h à 18h. L’entrée est gratuite. Accès sur la piazza Pompidou.