Une fois par an, je vais au Havre, pour voir l’exposition estivale du MuMa. Je retrouve toujours avec le même plaisir ce musée calme et baigné de lumière, qui abrite une fabuleuse collection de paysages impressionnistes. J’aime le rythme des immeubles du centre reconstruit, les reflets roses du béton, si subtils. Côté mer, je ne me lasse pas du ballet lent des cargos, monuments de ferraille qui glissent dans le port, tels des géants entrant dans un chas d’aiguille.

Certains détestent le Havre, trop gris : ils n’ont pas su voir les reflets rosés du béton sous un rayon de soleil. Quant à moi, je tiens le Havre dans mon cœur, fascinée par le rythme si singulier de son port. Difficile certes, en regardant les silos industriels, d’imaginer que c’est ici que Monet a posé les bases de l’impressionnisme. Il suffit pourtant de se plonger dans Gallica pour découvrir ce Havre d’hier, le port du XIXe siècle. Les images des bassins, bondés de bateaux, ces incroyables forêts de mâts que l’on entendrait presque s’entrechoquer, voici quelque chose d’inoubliable. Au Havre, en se tournant vers le port pour peindre Impression soleil levant, Monet ne se contentait pas de peindre d’une façon novatrice un effet atmosphérique, il choisissait aussi de figurer un paysage de la vie moderne, industrielle.
Des tableaux impressionnistes, on en admirera de nombreux au MuMa, le Musée d’art moderne André Malraux, qui contrairement à ce que son nom indique, conserve aussi une jolie section d’art ancien. Le Havre, fort de ses riches armateurs, a compté parmi ses habitants des amateurs éclairés, qui ont donné au musée des pièces majeures, et aujourd’hui le MuMa peut s’enorgueillir de posséder l’une des plus belles collections impressionnistes hors de Paris. Parmi les toiles, on trouvera quelques vues du Havre, signées Pissarro ou Dufy, car la ville a attiré bien des peintres modernes.
Fleuron du commerce français, le port du Havre a disparu dans les fracas de la guerre. En 1944, 82 % de la ville est rasée par les bombardements alliés. Au milieu de ce champ de désolation, quelques vestiges chancelants : la maison de l’armateur, bâtie au XVIIIe siècle, l’église Notre Dame, remontant au XVIe siècle.
Au lendemain du conflit, Le Havre sera le plus ambitieux chantier de la reconstruction des villes françaises : l’architecte Perret, un des pionniers du béton armé, se voit confier l’urbanisme d’une grande partie du centre-ville. Il faut faire vite : en quelques années, des milliers de nouveaux logements sortent de terre. Vite, certes, mais bien. Loin des barres HLM qui fleuriront dans les années 60 et 70, les immeubles du Havre sont soignés. Au décor ornemental, on préfère le dynamisme du rythme et l’élégance discrète des effets de matière. L’œil attentif discernera sur les façade une gamme de subtiles variations : ici, le béton est mêlé de poudre de marbre, qui lui confère une teinte rosée ; là, le béton a été poli, alors qu’ailleurs il est bouchardé, rugueux. Ailleurs encore, on l’a moulé dans de belles planches de bois, dont il a gardé le dessin des cernes.
Il fait bon vivre chez Perret : ceux qui en doutent visiteront l’appartement-témoin reconstitué. Au sortir de la guerre, posséder une salle de bain et bénéficier d’un logement sain et aéré, voilà le vrai luxe ! L’habitation a été remeublée par des passionnés avec des meubles d’époque et le guide éclaire le public sur les enjeux de la reconstruction, tant sur le plan de l’urbanisme que des « arts ménagers » : en un mot, c’est passionnant. Soixante ans après, les immeubles Perret n’ont pas perdu leur qualité et on se les arrache.
Si je garde du centre-ville du Havre une certaine tendresse, c’est que j’avais consacré une partie de mon dossier de bac à cet ensemble monumental, qui venait d’être classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous étions début 2007 et je m’imaginais déjà vivre ici : j’avais été admise à l’IUT “métiers du livre” du Havre. Finalement, c’est à Paris que j’ai étudié. Chaque année, je passe une journée au Havre, comme un petit pèlerinage. En près de dix ans, comme la ville a évolué ! L’offre touristique a explosé, tout comme les publications consacrées au patrimoine du XXe siècle. Il n’y a pas de quoi s’ennuyer pour le visiteur de passage. Récemment, la maison de l’Armateur a ouvert au public : dans cet hôtel particulier au surprenant puits de lumière, on entre dans la vie quotidienne des riches armateurs des XVIIIe et XIXe siècle.
A deux pas de l’hôtel de ville, un centre d’interprétation a ouvert : on y présente la reconstruction du Havre. C’est aussi le point de départ des nombreuses visites guidées. Pour ceux qui préfèrent visiter seuls, la ville s’est équipée de panneaux de médiation qui délivrent autant d’informations sur la reconstruction que sur le patrimoine ancien et les impressionnistes. Quant à moi, j’ai testé les applications mobiles « Le Havre impressionniste et fauve » (parcours urbain autour de l’impressionnisme) et « MuMA » (audioguide du musée), toutes deux gratuites. Ces dispositifs délivrent toutes les clés pour apprécier à sa juste valeur une ville trop longtemps mal aimée. Il ne vous reste donc plus qu’une chose à faire : aller visiter Le Havre !
Votre jolie photo sans bateau m’a fait penser à « Winter’s day by the deserted church, Hven » de Emil Johansson-Thor ,1953
http://media.mutualart.com/Images/2012_07/12/07/075640264/09c9e7c0-c93a-4f4e-9f4c-bcd164640210_338.Jpeg
Hven, certes pas Havre, bien qu’au Scrabble, ça doit faire pareil.
Par contre, en vélo…
Superbe billet !! Merci de faire partager votre vision de cette ville charmante
Merci pour ce joli billet, décidément cette ville m’appelle… 🙂
moi je pélerine aussi au Havre, pas pour les mêmes raisons… mais avec la même étincelle
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