Ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux le savent : je suis pro-vélo et cycliste urbaine convaincue. Mais cela n’est rien par rapport à la passion que mon frère, Théo, voue au vélo : il roule dès qu’il a cinq minutes, pratique la randonnée autant que le vélo de descente et n’hésite pas à faire Rouen-Athènes via Barcelone et Rome pendant ses vacances d’été (avec un peu de bateau, quand même !). Bref, mon frère, c’est un mordu authentique (faut dire que toute la famille est affiliée à la FFCT). Cet été, son objectif, c’était le Paris-Brest-Paris, une randonnée de 1230 km à réaliser en moins de 90 heures. Pari réussi puisqu’il l’a bouclé en 74h38. Ils sont environ 5000 randonneurs à s’élancer ainsi, tous les quatre ans, sur les routes bretonnes.

Mais pourquoi vous parlé-je du Paris-Brest-Paris alors qu’Orion en aéroplane est un blog culturel ? Parce que le Paris-Brest-Paris est un morceau d’histoire, un petit bout du patrimoine français. D’ailleurs, les étrangers ne s’y trompent pas : chaque année, ils sont plus nombreux à venir se confronter au mythe.
Le Paris-Brest-Paris, une des plus anciennes épreuves cyclistes françaises.
Le Paris-Brest-Paris est l’une des plus anciennes courses de vélo françaises : elle est née en 1891 sous l’impulsion de Pierre Giffard, rédacteur en chef du Petit Journal. Pierre Giffard est un passionné de bicyclette (et de nouvelles technologies en général) : cette année-là, il vient de publier un ouvrage, La Reine bicyclette, qui donnera au vélo son surnom de Petite Reine. En créant une course Paris-Brest-Paris, il veut démontrer le caractère pratique de la bicyclette : si l’on peut parcourir 1200 kilomètres en pédalant, on doit bien pouvoir utiliser ce mode de transport au quotidien pour de petites distances !

En cette fin de siècle, la bicyclette n’est plus une incongruité bizarre : elle est devenue banale dans le paysage français, bien que son usage demeure réservé à une certaine caste. En effet, par son prix, le vélo est inaccessible à la masse des ouvriers et reste un loisir bourgeois.
Depuis peu, la bicyclette est équipée de pneus, qui apportent un certain confort, et de vitesses, qui limitent les efforts à fournir pour parcourir de longues distances. Ces innovations permettent le développement d’un cyclisme sportif, et, avec lui, des compétitions. La décennie 1890 voit la création de nombreuses courses : le Paris-Bordeaux (600 km, créé en 1891), le Paris à Brest et retour (1200 km, créé en 1891), le Paris-Roubaix (280 km, créé en 1896), le Tour de France (créé en 1901). Ces premières courses sont souvent organisées par des journaux sportifs (alors florissants) et visent à prouver la supériorité de telle ou telle machine dans un contexte d’essor du marché européen de la bicyclette. L’importance des courses sur les ventes est telle que les marques salarient des cyclistes professionnels et utilisent leur image sur les réclames publicitaires ! « Charles Terront a terminé le Paris-Brest et retour premier sur une bicyclette Clément », ça, c’est un argument de vente !

Les journaux étant en concurrence les uns avec les autres, chacun cherche à créer une course « mieux » que celles des autres titres. « Mieux » c’est-à-dire… toujours plus dure et impressionnante ! Puisque la course organisée par le Véloce-sport en mai 1891 entre Paris et Bordeaux compte 600 km, celle de Pierre Giffard fera le double : ce sera donc Paris-Brest (600 km)… et retour ! Soit 1200 km. Et comme les Anglais sont meilleurs que les Français sur route (leur matériel est aussi plus performant car leur industrie est plus avancée), il interdit aux étrangers de concourir !
Le 6 septembre 1891, 206 cyclistes sont sur la ligne de départ. Leurs vélos sont chargés d’un peu de plomb pour les singulariser et s’assurer qu’aucun des concurrents n’en changera en cours de route ! Parmi les machines, deux tandems et… un grand-bi, complètement obsolète ! À l’arrivée, ils ne sont plus que cent cyclistes ! Le gagnant boucle ses 1200 km en 71h22 sans s’accorder une minute de sommeil ! Rappelons qu’à l’époque, les routes ne sont pas encore asphaltées ! Ce vainqueur, Charles Terront, monte une bicyclette Clément : il est salarié par les frères Michelin qui espèrent ainsi lancer leur dernière invention, le pneu démontable. Pari réussi !
En 1901 a lieu la seconde édition de la course, dont les règles changent un peu : elle est désormais ouverte aux coureurs étrangers et divisée en deux catégories, les coureurs professionnels et les touristes routiers (ancêtres des randonneurs cyclotouristes). Chaque édition, espacée de dix ans, est l’occasion de nouveaux records : 50h14 minutes en 1911, 49h23 minutes en 1931 !). À partir de 1931, les femmes sont admises sur la course : elles sont six, dont quatre passeront la ligne d’arrivée !
Avant-guerre, le Paris-Brest-Paris est un événement très suivi, comme en témoignent les photos de presse que l’on trouve dans Gallica. Le départ et l’arrivée sont l’occasion de fêtes populaires à une époque où le vélo est un sport de spectacle et où le vélodrome de Buffalo fait régulièrement le plein.
La fin de la course, le renouveau de la randonnée
Au lendemain de la guerre, l’Équipe prend la suite de l’Auto-vélo, qui a disparu, pour l’organisation de la course. Mais en 1956, stupeur, l’Équipe annule la course. L’Audax Club Parisien et l’Union des Audax parisiens poursuivent l’organisation des épreuves de randonnées : l’une est à allure libre (il faut finir les 1200 km en moins d’un temps donné — 96 puis 90 heures), l’autre est à allure contrôlée (le groupe « part ensemble, arrive ensemble », l’exploit étant de finir l’épreuve en roulant à allure régulière, à savoir 22,5 km/heure). À partir de 1971 et après que des randonneurs aient enchaîné les deux épreuves (allure libre et allure contrôlée) qui se succédaient dans la même semaine, il est décidé que les deux randonnées n’auront plus lieu les mêmes années : le Paris-Brest-Paris randonneurs a lieu tous les quatre ans, tandis que le Paris-Brest-Paris Audax se déroule tous les cinq ans. Si le Paris-Brest-Paris randonneurs attire des milliers de cyclistes (plus de 6000 inscrits en 2015), le Paris-Brest-Audax demeure confidentiels (143 participants en 2011). C’est au premier que mon petit frère participait.

Paris-Brest, un fameux gâteau
En 1999, mon grand-père, alors âgé de 64 ans, bouclait son Paris-Brest-Paris randonneur (la passion de mon frère ne vient pas de nulle part !). Quelques jours plus tard, c’était sa fête, et pour marquer le coup, nous avions commandé à la pâtisserie la plus proche un Paris-Brest géant. Le souvenir de ce gâteau (et de l’exploit !) m’est resté très vif. Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que son nom n’est pas une coïncidence : le Paris-Brest a spécifiquement été créé pour la course de 1200 kilomètres. À la demande de Pierre Giffard, un pâtissier de Maisons-Laffitte crée en 1910 un gâteau en forme de roue de vélo, à base de pâte à choux et de crème pralinée. À l’époque, le Paris-Brest n’est pas cette petite pâtisserie individuelle : la couronne présente un diamètre de 30 à 50 centimètres et doté de rayons en pâte à pain !
Le Paris-Brest-Paris aujourd’hui
Mon petit frère a donc bouclé son premier Paris-Brest-Paris ce mercredi, seize ans après celui de notre grand-père. Si je n’ai pas pu assister à l’arrivée (j’aurais raté le dernier Transilien !), je l’ai accompagné à la cérémonie de clôture : comme c’est impressionnant ! Des milliers de vélos accrochés côte à côte, des gens qui dorment dans le moindre recoin calme, des machines bizarres, des accents des quatre coins du monde, des larmes de joie ou de fatigues, des amis et des familles fiers, des anecdotes à tout va. J’ai assisté aux dernières arrivées, encouragé des cyclistes hébétés de fatigue, tombant du vélo à peine la ligne franchie, d’autres le sourire de la victoire aux lèvres car ils l’avaient fini, qu’importe qu’on soit hors délais !
On imagine le surpassement de soi que cette épreuve représente, et la présence de la protection civile et des pompiers à l’arrivée nous le rappelle : certains finissent sur un brancard une fois la ligne d’arrivée passée.
Mon petit frère — qui m’a raconté sa course en long en large et en travers — a parcouru ses 1230 km en 74h38. Sur ce temps, il n’a dormi que 2h50 (dont une heure malgré lui, car il s’était assoupi en mangeant) : « si tu dors trop longtemps, tu sens les courbatures, c’est trop dur de repartir, surtout si tu as eu froid ». Il a failli abandonner, s’est demandé ce qu’il foutait là, s’est dit que c’était bien la dernière fois (« la Bretagne, c’est horrible, y’a des côtes partout »), avant de déclarer, après une bonne nuit de sommeil réparateur « Bon, maintenant je ferais bien la Trans AM Bike Race (5000 km d’une côte à l’autre des États-Unis).
Ce Paris-Brest-Paris 2015 était celui de tous les records : plus de 6000 inscrits, 5841 partants, 4590 arrivés mercredi à 17h (chiffre provisoire). À l’arrivée, pas de médaille ni de classement : l’important est d’avoir fini dans le temps que l’on s’était fixé (80, 84 ou 90 heures selon la catégorie). Parmi les participants, 334 femmes (rappelons que la course était, en 1891 interdite aux femmes… une belle revanche !). Le randonneur le plus âgé avait 84 ans, il a malheureusement été contraint d’abandonner après 1000 km de route, la palme du randonneur le plus âgé à avoir été homologué revenant par conséquent à un homme de 80 ans. Chez les femmes, la plus âgée des randonneuses avait 69 ans : c’était son huitième Paris-Brest-Paris. Huitième et dernier : celui du passage de relais car elle l’avait couru uniquement pour accompagner son fils qui y participait pour la première fois. Côté record, il y avait aussi celui du nombre de participations : un des randonneurs en était à son douzième Paris-Brest-Paris (dont 11 homologués !) soit 48 ans de participation ininterrompue.
Être sur les routes du Paris-Brest-Paris pour voir passer les randonneurs, ce doit être mille fois mieux que d’attendre le Tour de France : ils sont plus nombreux, ils vont moins vite, on peut donc vraiment les admirer et les encourager ! Rien à voir avec la furie colorée qui vous passe devant à toute allure !
D’ailleurs, sur le bord de la route, nombreux sont ceux qui installent un point ravitaillement : eau, fruit, soda, crêpes gratuites ! Ici, c’est un garage qu’un riverain a ouvert : il y a disposé des matelas pour que les cyclistes y fassent un somme… Certains aident les cyclistes qui ont une panne mécanique ou un gros bobo, comme mon frère qui a fait quelques kilomètres avec un pied nu sanglé sur la pédale car son pied, gonflé et irrité, n’entrait plus dans la chaussure ! Un monsieur rencontré sur le bord de la route lui a offert une tong qu’il n’utilisait plus, de quoi finir l’étape un peu moins douloureusement.
En échange de ces petits services, encouragements, en-cas, les riverains donnent parfois un petit papier avec leur adresse : nulle doute qu’ils reçoivent ensuite des cartes postales des quatre coins du monde ! D’ailleurs certains cyclos étrangers transportent dans leurs sacoches pourtant légères des petits souvenirs de leur pays, comme ces taïwanais qui m’ont offert deux cartes postales de Taïpei parce que je les ‘avais complimenté sur leur maillot !

Pour finir ce compte-rendu enthousiaste par une note patrimoniale, mes félicitations aux deux randonneurs italiens qui ont roulé le Paris-Brest-Paris sur l’authentique vélo 1900… jantes en bois et lumière d’époque !!
Ce billet vous a intéressé, vous souhaitez en apprendre plus sur le cyclotourisme et le Paris Brest Paris ? Je vous recommande les pages Facebook suivantes :
- La page de la Fédération française de cyclotourisme
- La page du GTR, le groupe de (cyclo)touristes rouennais (notre club et, accessoirement, le plus ancien club affilé à la FFCT !)
- La page du Paris-Brest-Paris randonneurs
- … et un documentaire sur le Paris-Brest-Paris « Paris Brest Paris, jusqu’au bout de la nuit«
Paris Brest ! c’est pas du gateau ?
J’aime po le vélo….
Bonjour
Je connais bien Maisons-Laffitte : j’y suis née et mes ancêtres y sont enterrés.
A chaque fois qu’on allait au cimetière, mes parents rapportaient un « Paris-Brest », un bon gros gâteau crêmeux
(que je n’aimais pas trop) ! Ma mère connait les petits-enfants du créateur de ce gâteau.
On lui a montré votre article, ça lui a rappelé un tas de souvenirs.
Merci pour tout vos écrits, bien documentés et passionnants. Bon dimanche.
Merci pour cet article intéressant ! =) Une vraie page d’histoire parce que cette course y est belle et bien inscrite !
J’y ai participé aussi cette année, pour la 3ème fois, en vélo couché… Un grand chapeau effectivement à ces 2 italiens en vélos d’époque : une approche vraie de cette épreuve !