Peu de chance de tomber par hasard sur l’hélice terrestre, étrange architecture sculpture perdue dans la campagne entre Angers et Saumur. Une œuvre tapie dans la terre, au creux des cavités d’un ancien village troglodyte, l’Orbière, auquel on accède par de petites routes.

L’hélice terrestre, je l’ai découverte par hasard à l’adolescence, à l’occasion d’une colonie de vacances : un mercredi, nous y avions passé l’après-midi. Nous avions 15 ans et cette œuvre immersive, simple et utopiste, avait tout pour nous séduire. L’année suivante, en option histoire de l’art au lycée, j’étudiais la relation entre les artistes et l’architecture. Je n’ai jamais oublié l’impression que procure la déambulation dans hélice terrestre. Dix ans plus tard, j’y suis revenue pour retrouver ces sensations et quelques souvenirs.
L’hélice terrestre est l’œuvre de Jacques Warminiski (1946-1996), un sculpteur d’origine polonaise. De sa carrière, je n’ai pas grand chose à vous raconter : internet lui-même ne possède que peu d’informations factuelles. L’hélice terrestre semble être l’œuvre de sa vie. Pourtant, cette sculpture monumentale est née dans les dernières années de son existence : commencée en 1990, l’hélice terrestre sera achevée quatre ans plus tard, soit deux ans à peine avant le décès de Warminski. Du reste de la carrière de l’artiste, internet ne dit rien. Tout au plus sait-on qu’il a fréquenté l’Ecole Boulle d’où il sort avec un diplôme d’architecte d’intérieur et qu’il était fasciné par l’habitat troglodytique.
Enfant, Jacques Warminski passait ses vacances à proximité de l’Orbière, l’un des derniers villages troglodytiques alors encore habités. Le Saumurois compte la plus importante concentration de troglodytes de France (14000 cavités) : jusqu’au XIXe siècle, il s’agissait d’un mode de vie traditionnel. Les historiens estiment qu’à la fin du XVIIIe siècle, près de la moitié de la population du sud saumurois vivait en troglodyte. Avec l’industrialisation de la seconde moitié du XIXe siècle, ce mode d’habitat souterrain a disparu des mœurs. Les dernières maisons troglodytiques ont été abandonnées au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. C’est ainsi qu’au cours des années 1950, l’Orbière devient une décharge sauvage…

Nostalgique des lieux de son enfance, Jacques Warminski forme le projet de racheter le village et d’y créer une œuvre d’art, qu’il conçoit d’abord dans des carnets. Pendant une décennie, il recherche les propriétaires des différentes cavités – qui souvent ignoraient jusqu’à leur existence ! Une fois chaque habitation troglodytique achetée, il lui faudra encore des mois pour dégager l’Orbière des monceaux d’immondices qui s’y étaient accumulés. En 1990, Jacques Warminski peut enfin entamer son œuvre.
Dans la cave la plus reculée, il sculpte les parois de formes géométriques et de figures abstraites. Même si le tuffeau est une pierre aisée à tailler, le travail est titanesque : en quelques mois il dégage 1000 tonnes de gravats.

Aux formes creusées dans la cavité répondent les reliefs des extérieurs. Après avoir évidé des formes pendant des mois, l’artiste relève méticuleusement l’empreinte de chaque signe.

Les moules qu’il obtient lui permettent de couler des formes de béton, exact positif des formes creusées dans le tuffeau. Ainsi naît dans la cour une étrange cascade de formes de béton, écho direct des reliefs des caves.
Depuis le fond de la grotte jusqu’au sommet de la plate-forme de béton, qui surplombe les champs dorés, l’œuvre tournoie dessinant une spirale : une hélice, l’hélice terrestre. Qu’il s’élève vers le sommet ou qu’il s’enfonce dans les entrailles de la terre, le visiteur, invariablement, passe de l’ombre à la lumière, du convexe au concave.

Ce visiteur qui parcours ce chemin hélicoïdal, ne fait-il pas lui même partie de l’œuvre ? Ne l’active-t-il pas de ses pas et de ses sensations ? En déambulant, il lie le plein et le creux, donne à l’hélice un mouvement, fait naître des bruits qui résonnent sur les parois. Car les troglodytiques ont une sonorité particulière, qui leur est propre : jouer avec l’écho fait sans aucun doute partie de l’expérience de l’hélice terrestre. Une cavité y invite particulièrement : c’est la seule à n’avoir reçu aucune forme sculptée ; elle présente simplement un volume ovoïde, dépouillé et parfaitement lisse. Selon l’endroit où l’on se place, les sons résonnent différemment. Cette cavité a paradoxalement quelque chose de rassurant et d’inquiétant, à la fois cocon et prison. Une évocation de la matrice maternelle, comme l’oeuf de Dali ? A l’instar de toutes les autres formes, cette cavité trouve son écho à l’extérieur : un ovoïde creux, coulé dans le béton, répond à l’ovoïde évidé dans le tuffeau. Il dessine un cadre dans le paysage, et, si l’on pénètre dans le petit abri qu’il offre et que l’on joue avec sa voix, on découvre une sonorité particulière, des résonances et des échos qui vibrent sur les parois.
Que dire de plus de l’hélice terrestre au-delà de cette expérience personnelle ? Aucun écrit de consistance ne semble retracer sa création et éclairer sa signification. Jacques Warminski est mort deux ans après l’achèvement de cette architecture-sculpture. Si nous avons encore la chance d’en faire encore aujourd’hui l’expérience, nous le devons à une poignée d’amis et de bénévoles qui maintiennent ouverte contre vents et marées l’hélice terrestre. L’Orbière demeure aussi un lieu de création vivant puisque l’ancien village accueille désormais des artistes en résidence.
Informations pratiques : l’hélice terrestre se situe à proximité de Saint-Georges-des-Sept-Voies (Longitude : 00° 18′ 35 » O Latitude : 47° 20′ 43 » N). Pour les horaires d’ouverture et les événements, consultez le site de l’hélice terrestre.
Très curieux : cela fait penser au palais du facteur Cheval.
Très agréable découverte d’un artiste que l’on peut (?) relier à l’Art Brut, un de ces oiseaux magnifiques qui ne participaient pas à la FIAC et autres marchés de l’art contemporain. Sans doute allait-il boire un petit verre avec René Fallet et Jean Carmet (entre autres), dont les grottes servaient de cave à vin, sur les bords de Loire… Gais lurons !
Bravo!
Moi, j’aurais été mort de trouille !
Pour information, Warminski ne pratiquait pas spécifiquement l’art brut, c’était un plasticien compétent.
Il a tout le temps concerné un grand nombre de gens, il était assez connu en Anjou plus particulièrement dans le saumurois. Il formait des élèves au travail de la tuffe et ceux-ci participaient à la construction de l’oeuvre.
Le personnage était truculent.
L’habitat troglodyte est toujours une réalité en saumurois, comme ailleurs dans le monde. Souvent la façade est externe et seules quelques pièces sont troglodytes. Des tailleurs de pierre savent encore construire ce type d’habitat. C’est assez particulier tout de mème. Il existe des gites en troglodyte et des restaurants aussi.
Le Saumurois s’étend jusqu’à Doué la Fontaine, dont la roche ressemble mais est diffèrente de la tuffe et où les carrière souterraines ou non recèlent des merveilles, dont un parc animalier fort réputé.
Bref si Saumur et sa région n’a pas que des bons cotés , en tant que touriste c’est une merveilleuse région, étonnante.
Mais on peut faire de l’art brut et être compétent 🙂 !!!
Je dois avouer que j’ai eu vraiment du mal à évaluer la notoriété du travail de Warminski : impossible de trouver la moindre de ses oeuvres sur internet (à part l’hélice, bien sûr). C’est vraiment dommage, il y a une mémoire qui n’est pas transmise…
J’aime beaucoup la région, où j’ai passé beaucoup de vacances : enfant, j’adorerai aller visiter les troglodytes (notamment le village transformé en éco musée par un ancien habitant à Doué). J’ai la chance d’avoir quelques connaissances qui vivent en troglodyte, j’y ai passé de bons moments…
Il est vrai qu’il a produit son oeuvre et a disparu à la période charnière. A suivre donc, j’ai encore de la famille par là-bas.
Ha et moi qui croyais que brut voulais dire « sans apprèt ». ça doit être long pour un diplomé des beaux-arts d’oublier ses 5 ans d’études.
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