Azay-le-Rideau : le chantier du siècle… A visiter !

Dans mon dernier billet, je vous parlais de l’histoire du château d’Azay-le-Rideau, aujourd’hui considéré comme un des plus beaux édifices de la Renaissance française en Val de Loire. Actuellement, le monument est en restauration : un chantier colossal qui rendra à l’édifice sa splendeur d’antan. En attendant, le château est couvert d’échafaudages : il vaut mieux attendre la fin des travaux pour le visiter, pensez-vous ? Vous faites erreur ! Jamais la visite du château d’Azay n’a été aussi passionnante ! Aménagements particuliers, visites guidées, rencontre avec les artisans, exposition : tout a été mis en œuvre pour transformer ce qui aurait dû être une nuisance pour le visiteur en une chance unique de découvrir les secrets de la restauration et le savoir-faire des artisans.
Alors, certes, pour admirer le miroir d’eau, vous devrez revenir… mais pour voir la charpente mise à nu ou des tailleurs de pierre au travail, l’occasion ne se représentera pas !

échafaudage parapluie au château d'Azay-le-RIdeau
Le château d’Azay-le-Rideau au début des travaux, juillet 2015

Pourquoi restaurer Azay-le-Rideau ?

Construit au début du XVIe siècle, le château d’Azay-le-Rideau a traversé cinq siècles d’histoire. L’attention qui a été portée à son entretien diffère selon les époques et l’aisance de ses propriétaires. Très dégradé à la veille de la Révolution, le château retrouve tout son lustre dans la première moitié du XIXe siècle, ses nouveaux propriétaires, les Biencourt, ayant entrepris de le restaurer : ils rétablissent les lucarnes qui s’étaient effondrées, complètent les décors sculptés endommagés, refont la toiture. Leur travaux ne visent pas seulement à restaurer le monument, mais également à l’achever. Autour de 1850, ils abattent la tour médiévale qui subsistait et une tourelle de style troubadour, ajoutée quarante ans plus tôt. A leur place, ils font bâtir des éléments architecturaux plus conformes au style du corps de logis.

Lithographie tirée des "Vues pittoresques des châteaux de France... avec un texte historique et descriptif", par André-Antoine Blancheton, page 69, tome II.
Lithographie tirée des « Vues pittoresques des châteaux de France… avec un texte historique et descriptif », par André-Antoine Blancheton, page 69, tome II.

Depuis ces grands travaux du milieu du XIXe siècle, le château d’Azay n’a fait l’objet que d’un entretien courant. Après un siècle et demi, sa toiture réclamait une réfection, tandis que certaines pierres de tuffeau, vieille de 500 ans nécessitaient d’être remplacées. Le Centre des monuments nationaux, qui a la gestion de l’édifice, a donc entrepris un chantier de restauration majeur, qui sera pour le château celui du siècle.

échafaudage parapluie château d'Azay-le-Rideau
Le château d’Azay-le-Rideau au début des travaux, juillet 2015

L’éclat des façades

Le château d’Azay-le-Rideau est bâti en tuffeau, une pierre calcaire typique du Val de Loire, très tendre et donc facile à sculpter. La clarté et la finesse de son grain en font un matériau d’autant plus apprécié qu’il réfléchit joliment la lumière. Mais la tendresse de la pierre est aussi son principal défaut : fragile, le tuffeau se dégrade avec le temps, trop sensible à l’eau, à l’acidité des pluies et des fientes d’oiseaux. Au fil des siècles, certains blocs de tuffeau se sont délités, des ornements sculptés ont cédé. Ils ont été remplacés au fur et à mesure par de nouveaux éléments, taillés dans un tuffeau plus dur et maintenus à l’aide de plâtre de Paris. De réparation en réparation, la façade a perdu sa belle harmonie : le chantier de restauration actuel ambitionne de la lui restituer. Au préalable des travaux, un état sanitaire de chaque pierre a été établi : les pierres anciennes en bon état seront nettoyées et éventuellement consolidées. Seules les plus dégradées seront remplacées par des blocs neufs, de nature équivalente aux anciennes pierres. Pour cela, le Centre des monuments nationaux fait appel à des tailleurs de pierre et à des sculpteurs, qui travaillent dans le plus strict respect des savoir-faire anciens.

Une lucarne d'Azay-le-Rideau, avant restauration
Une lucarne d’Azay-le-Rideau, avant restauration

Pour les restaurateurs, qui nettoient et consolident les pierres anciennes destinées à rester en place, les outils sont tout au contraire à la pointe de la technologie : les poussières et salissures sont éliminées par microsablage ou à l’aide de lasers. Les sels qui rongent le tuffeau sont absorbés à l’aide de compresses et de produits chimiques. Sans cesse, la recherche et les expériences améliorent les outils et perfectionnent les protocoles.

Les échafaudages du château d'Azay, vus depuis une fenêtre du premier étage
Les échafaudages du château d’Azay, vus depuis une fenêtre du premier étage

Un gros morceau, la toiture

Depuis le milieu du XIXe siècle, les conditions météorologiques et le temps ont ponctuellement endommagé la toiture. Comme il se doit, les ardoises ont été remplacées au fur et à mesure, pour éviter les infiltrations d’eau. Mais comme sur la façade, ces réparations ponctuelles et disparates ont fini par détruire l’harmonie esthétique du monument. Quant à l’étanchéité d’un tel montage, elle devenait de plus en plus précaire.
La restauration à laquelle nous assistons voit les choses en grand : la dépose de l’intégralité de la toiture et sa repose selon les règles de l’art du couvreur, et en respectant les techniques employées au XVIe siècle.

Neurdein, vue du château d'Azay, photographie, fin XIXe siècle, Ecole des Beaux-Arts
Neurdein, vue du château d’Azay, photographie, fin XIXe siècle, Ecole des Beaux-Arts

Ce qui peut nous paraître un chantier de peu de technicité (refaire une toiture, quoi de plus banal ?) est en fait très délicat. En effet, pour éviter les lignes disgracieuses, les couvreurs n’alignent pas régulièrement les ardoises. Au contraire, ils font varier en permanence l’intervalle entre chaque élément : c’est ce qu’on appelle une « pose à liaison brouillée à pureau décroissant ». Pour ajouter à la complexité de l’opération, les ardoises ne sont pas simplement maintenues à l’aide de crochets mais fixées à l’aide de clous de cuivre, solution particulièrement élégante, car invisible. Peu usitées aujourd’hui, ces techniques sont l’apanage de quelques artisans spécialisés et des compagnons du devoir.

Le matériau même de la toiture pose problème : il s’agit d’ardoises anciennes, plus épaisses que celle employées aujourd’hui. Les dernières ardoisières angevines qui en produisaient ont fermé leurs portes il y a quelques années. Pour les remplacer, le CMN a du passer des commandes spéciales à des carrières de Galice, qui produisent les ardoises les plus proches de celles autrefois employées à Azay.

Les études préparatoires à la restauration de la toiture ont révélé une surprise : la présence sur le tablier de faîtages en plomb de peintures polychromes du XVIe siècle d’une grande rareté. Au sommet du toit (ce qu’on appel le faîte), les ardoises ne suffisent pas à assurer l’étanchéité de la toiture, l’eau pouvant d’infiltrer dans les interstices : c’est pourquoi on couvre les ardoises d’un élément de plomb. La particularité d’Azay-le-Rideau est d’avoir conserver ses faîtages du XVIe siècle et que ceux-ci portent encore des décors peints d’époque. Certes, il faut faire preuve de beaucoup de patience pour les distinguer depuis le sol, tant ils sont usés : mais on devine encore des motifs ocres et noirs, dessinant des feuillages, des volutes et des têtes.
En raison de leur dégradation trop avancée, il est impossible de redonner à ce décor son éclat d’origine. Les traces polychromes seront simplement protégées pour être transmises aux générations futures. Chaque élément sera soigneusement relevé, les plaques de plomb réparées et les décors nettoyés puis consolidés. Seule une plaque sera définitivement descendue pour être présentée sous vitrine.

Faîtage de l’aile Ouest avec coiffe et tablier au décor polychrome, photographie A. de Saint-Jouan, tirée de Monumental, la revue du CMN
Faîtage de l’aile Ouest avec coiffe et tablier au décor polychrome, photographie A. de Saint-Jouan, tirée de Monumental, la revue du CMN

Tout ce remue ménage qui touche les toits a un avantage pour le visiteur : il peut découvrir la charpente du château sous un jour inédit, défaite de toutes ses ardoises. Un observatoire a été aménagé dans les combles, il permet aux visiteurs de regarder les ouvriers au travail et d’admirer la charpente. Et quelle charpente ! Magnifique et d’autant plus impressionnante qu’elle est d’origine. La dendrochronologie a permis de dater la coupe des chênes qui la compose de l’hiver 1518-1519. En 1522, l’assemblage était terminé et, depuis, peu de modifications lui ont été apportées. En cela, la charpente d’Azay est l’une des plus belles de France. Elle témoigne du savoir-faire traditionnel des charpentiers, aujourd’hui classé au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO.

En excellent état, cette charpente nécessite peu d’interventions de restauration : seules quelques pièces de bois trop endommagées seront remplacées, l’essentiel des travaux constituant en la reprise de réparations des XIXe et XXe siècles, souvent effectuées à l’aide de pièces métalliques. Ces dernières seront remplacées par des tenons et mortaises en bois, plus conformes à l’art de la charpente tel que pratiqué au XVIe siècle.

Retrouver l’esprit des intérieurs anciens

Si la partie la plus spectaculaire des travaux concerne les extérieurs, il se passe aussi des choses à l’intérieur. Après avoir été acheté par l’état en 1905, Azay-le-Rideau était destiné à devenir un musée de la Renaissance, rôle qui a finalement échu à Ecouen. De fait, le château ne disposait jusqu’alors que de peu de mobilier, qui plus est, disparate. Aujourd’hui, le CMN, associé au Mobilier national, veut remeubler le château de façon cohérente, pour ainsi mieux révéler l’esprit du lieu.
Mais comme tout monument, le château d’Azay a abrité plusieurs générations d’habitants, avec chacune leur mobilier, leur style, leur époque. Laquelle privilégier ? Comment ne pas figer le décor à un moment donné, faisant oublier que l’histoire d’un monument s’écrit dans un temps long ? Au contraire, si l’on juxtapose plusieurs époques, comment ne pas perdre le visiteur dans un parcours trop complexe ?

Le choix fait à Azay est tranché et clair : deux époques ont été retenues, qui correspondent à deux moments forts de la vie du château : le XVIe et le XIXe siècle.
A l’étage, quelques pièces gardent leur disposition de la Renaissance. L’une d’entre elles, qui correspondait peut-être à la chambre de Philippe Lesbahy, a entièrement été reconstituée. L’élément le plus marquant est la tapisserie de jonc tressé qui couvre les murs : des recherches récentes ont prouvé que le jonc tressé est couramment employé pour isoler les murs et assainir l’air. Aucun exemple n’en a été conservé dans les monuments français, mais des estampes et tableaux montrent clairement ce type de décor. En Angleterre, au contraire, la pratique a survécu et il existe encore une maison qui perpétue le savoir-faire du tressage de jonc. C’est à elle que le CMN a fait appel pour tapisser la chambre Renaissance du château. Le mobilier, quant à lui, date du XIXe siècle, mais imite les formes du XVIe : on le qualifie donc de néo-Renaissance. La garniture du lit est une reconstitution, réalisée à partir de documents iconographiques. Un petit film – passionnant – présente les artisans d’art et chercheurs qui ont réalisé ces reconstitutions et montre les gestes avec pédagogie.

Au rez-de-chaussée, plusieurs pièces restituent l’atmosphère du château d’Azay-le-Rideau au milieu du XIXe siècle, à l’époque où il était habité par les Biencourt. Ces derniers, passionnés par la Renaissance, avaient constitué une collection remarquable d’objets d’art et de portraits des XVIe et XVIIe siècles. Les photographies prises autour de 1895 témoignent des aménagement intérieurs avant la vente du château et la dispersion de son mobilier. C’est sur cette base que le CMN et le Mobilier national sélectionnent dans leurs collections les meubles les plus proches de ceux qui ornaient le château des Biencourt. Quoi de mieux pour comprendre le goût de ceux qui ont tant fait pour sauver Azay ?

Vous l’aurez compris, il se trame à Azay-le-Rideau un chantier aussi passionnant que spectaculaire ! Il est d’autant plus intéressant si vous venez pour profiter des visites « C’est quoi ce chantier ? » qui présentent au public les travaux de restauration. Certains jours, des rencontres avec les artisans et les compagnons sont organisés : l’occasion de voir de près les gestes et de poser des questions. Pour ceux qui n’auraient pas la chance d’y assister, une petite exposition présente les grands enjeux du chantier. Et si les métiers des Monuments Historiques vous intéressent, je ne peux que vous recommander la chaîne You Tube du CMN et sa série « les gestes du patrimoine ».

4 réflexions sur “ Azay-le-Rideau : le chantier du siècle… A visiter ! ”

  • 8 septembre 2015 à 13 h 07 min
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    Il était indispensable que vous leviez… le rideau sur cette restauration (magnifiques photos) et la « dendrochronologie » nous en apprend ainsi de belles !

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    • 8 septembre 2015 à 13 h 41 min
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      La restauration est un sujet passionnant. J’adorerai consacrer plus d’articles à cette thématique, mais je manque (comme toujours) de temps !

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  • 8 septembre 2015 à 14 h 33 min
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    Les techniciens ne communiquent pas spontanément… En conséquence, communiquer sur les techniciens d’un patrimoine technique (une charpente en l’occurence, même si elle fait partie du bâti) est encore plus compliqué !

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