Le trésor du fort : les photographies de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine

Jeudi dernier, j’ai eu la chance de visiter un lieu méconnu : le fort de Saint-Cyr, qui abrite (entre autre) le département photographie de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine. Un lieu fascinant pour des collections qui ne le sont pas moins : quinze millions de négatifs retraçant tout un pan de l’histoire de la photographie en France.

Négatif sur verre, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine
Positif pour projection, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine

Créée en 1996, la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (MAP) est une institution assez récente. Cependant, elle rassemble des services parfois plus anciens comme le Centre de recherche sur les Monuments historiques (CRMH). La Map a pour mission de collecter, conserver, étudier et valoriser deux grands ensembles :  les archives et la documentation de l’administration des Monuments historiques d’une part, et le patrimoine photographique de l’État de l’autre. D’où ce nom de Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, duquel on retient trop souvent uniquement le mot « architecture », occultant l’autre composante, non moins essentielle, de son titre. L’institution est d’autant plus complexe à cerner que son titre est proche de celui de la Cité de l’architecture, ce qui n’est pas sans entretenir une certaine confusion entre les deux établissements… Contrairement aux idées reçues, donc, la MAP ne traite donc pas que de Monuments historiques !

La Médiathèque de l’architecture et du patrimoine occupe plusieurs sites. Le plus connu est celui de Charenton, qui accueille le public. À l’autre bout de l’Île-de-France, la MAP est aussi implantée à Montigny-le-Bretonneux, sur le site du Fort de Saint-Cyr où elle conserve une grande partie de ses collections photographiques.

Un fort du XIXe siècle

Le lieu en lui-même est fascinant : il s’agit d’un fort construit à la fin du XIXe siècle pour défendre l’Île-de-France et Paris. Après la cuisante défaite de 1870, le « Comité de défense » se lance dans un chantier nécessaire, celui de la modernisation des fortifications qui défendent le territoire. Les ouvrages bastionnés, héritées de Vauban, ne sont plus adaptés aux techniques modernes de combat et ne résistent pas aux nouveaux obus. De plus, depuis la perte de l’Alsace-Lorraine, il existe de véritables brèches dans la ligne défensive frontalière. Le Général Seré de Rivières imagine donc un nouveau système de fortification, auquel il laissera son nom. Entre 1872 et 1880, de nombreux forts sont construits en plusieurs endroits du territoire. Les environs de Paris sont particulièrement concernés avec 18 nouveaux dispositifs. Le Fort de Saint-Cyr est l’un d’eux. Il s’agit d’un fort de plan polygonal, représentatif du système Séré de Rivières : la maçonnerie est recouverte de terre pour amortir l’explosion des obus. À l’origine, ces buttes de terre étaient dépourvues de végétation : avec le temps, les arbres s’y sont enracinés, ce qui ajoute au charme du lieu, bien que cela pose des problèmes de conservation du bâti…

Un fort comme celui de Saint-Cyr pouvait abriter jusqu’à 1500 soldats en garnison, ainsi qu’une centaine de pièces d’artillerie. Pour assurer la résistance du fort en cas de siège, il était possible de stocker jusqu’à trois mois de vivres dans les réserves ! Mais le Fort de Saint-Cyr n’a jamais eu à affronter pareille épreuve (d’autres forts du système Séré de Rivières ont en revanche fait leur preuve à l’assaut de l’artillerie pendant la Première Guerre mondiale). En période de paix, il a abrité une école de météorologie militaire puis civile. Depuis 1982, le fort est démilitarisé : classé monument historique en 1992, il a été affecté au Ministère de la Culture et abrite différents services patrimoniaux, parmi lesquels la MAP.

Fort de Saint-Cyr
Fort de Saint-Cyr, Montigny-le-Bretonneux

Des négatifs photographiques par millions….

Au coeur du fort, la MAP dispose de locaux assez spacieux, où est entreposée une grande partie de ses fonds photographiques. En effet, le département de la photographie (l’un de quatre départements qui constituent la MAP) a divisé ses collections en deux ensembles : les tirages d’une part et les négatifs de l’autre.

Les tirages, qui concentrent l’intérêt du grand public, sont pour l’essentiel conservés à Charenton, où ils peuvent être, sur demande motivée, consultés. Les négatifs sont plus rarement sollicités par les chercheurs : on a recourt à eux uniquement dans le cadre de recherches très pointues. De plus, ces négatifs sont volumineux, car jusqu’au début du XXe siècle, il s’agit de plaque de verre, le support souple n’apparaissant qu’en 1884. En verre ou en celluloïd, les négatifs sont fragiles : dans le premier cas, ils peuvent se briser au moindre choc, dans l’autre, ils ne supportent pas bien le passage du temps et les variations de température.

Aussi faut-il leur assurer des conditions de conservation optimales : température et hygrométrie stables, pas d’exposition à la lumière…

Le Fort de Saint-Cyr est donc une succession de grandes réserves voûtées, aux murs peints en blanc. Chaque salle abrite une succession de boîtes en métal ou en matériaux neutres où sont rangés, par milliers, les négatifs photographiques. Deux espaces plus spécifiques se distinguent : la salle des arrivées, où les nouvelles acquisitions sont stockées en attendant d’être traitées et les réserves frigorifiques, où les pièces les plus fragiles sont conservées.

La salle de traitement est assez fascinante : sur des étagères s’empilent des centaines de boîtes de négatifs, dans leur « jus » : c’est assez émouvant de voir les étiquettes élégantes des industriels de la photographie, hier si nombreux.

Que de trésors méconnus abrités dans cette salle : à leur arrivée les négatifs ne sont souvent pas toujours précisément identifiés et c’est un travail de longue haleine de tous les cataloguer, vue par vue…

Pourquoi conserver des négatifs ?

Mais pourquoi conserver des négatifs alors que les tirages sont plus simples à consulter ? Voici une question pertinente.

Il faut d’emblée préciser que l’institution ne conserve pas de tirages de tous les négatifs qu’elle possède. Ainsi, quand un fonds photographique entre dans les collections nationales, il n’est pas toujours accompagné de ses tirages. C’est notamment le cas pour les studios de portraits, qui conservaient le négatif pour un éventuel tirage ultérieur tandis que tous les positifs étaient remis au client. Dans le cas de commandes photographiques, on conserve tous les négatifs, même ceux qui n’ont finalement pas été utilisés pour publication : revenir aux négatifs permet de replacer un cliché dans une série de vues, et ainsi recontextualiser le travail du photographe.

Les négatifs sont aussi parfois l’unique trace que l’on garde d’une image, d’où la nécessité d’en prendre soin.

Négatifs sur verre
Négatifs sur verre conservés dans des tiroirs spéciaux

Les négatifs permettent bien évidemment de réaliser de nouveaux tirages. Même quand on connaît des positifs d’époque de ces clichés, il peut être souhaitable d’en effectuer un nouveau tirage, pour plus de visibilité des détails par exemple : nos techniques numériques actuelles permettent parfois d’améliorer la qualité de rendu des photographies. Cela peut être très utile pour un architecte des monuments historiques qui consulte ces images dans un but documentaire (retracer les restaurations d’un bâtiment par exemple), ou encore pour un éditeur qui souhaite publier un ouvrage illustré.

Par ailleurs, on sait la fragilité des artefacts relevant des arts graphiques. Exposer une photographie ancienne est très contraignant : il faut veiller l’incidence de la lumière, de l’humidité et de la température sur sa bonne conservation. Parfois, il est préférable de présenter un tirage moderne d’un cliché ancien plutôt que de prendre le risque d’endommager un tirage d’époque rare.

Enfin, les négatifs ont un grand intérêt pour les chercheurs en histoire de la photographie, notamment sur le plan de la connaissance technique.

Négatif sur verre, médiathèque de l'architecture et du patrimoine.
Négatif sur verre, médiathèque de l’architecture et du patrimoine.

Autant de raisons qui justifient l’existence de fonds comme celui de la MAP, qui, avec 15 millions de négatifs conservés, n’est rien de moins que l’un des plus grands centres de ce type en Europe !

Une quinzaine de personnes sont employées à choyer cette collection : documentalistes et professionnels de la photographie s’occupent d’inventorier, classer et conditionner ces négatifs. Une partie importante de leur temps est consacré à répondre à des demandes de reproduction, pour le compte de chercheurs, d’éditeurs et même de particuliers. Bien évidemment, on ne tire plus ces négatifs à l’ancienne, ce qui serait trop dangereux pour leur conservation. Aujourd’hui, toutes les reproductions reposent sur la numérisation du négatif, une opération effectuée en interne par une équipe de photographes spécialisés.

Restauration d'un négatif brisé, ateliers Médiathèque de l'architecture et du patrimoine
Restauration d’un négatif brisé, ateliers Médiathèque de l’architecture et du patrimoine

Chefs-d’oeuvres et grands noms : le panthéon de la photographie française

Quinze millions de négatifs, le chiffre donne le vertige. Les noms attachés aux clichés font rêver : Nadar, Le Gray, Marville, Atget, Kertèsz, Seeberger, le studio Harcourt… On trouve dans les collections, pèle mêle : l’un des plus grands négatifs sur plaque de verre connu, une vue de l’Opéra de 110 par 82 centimètres réalisée en 1875, des clichés des grandes stars du cinéma et de la chanson, passés devant l’objectif du studio Harcourt, les images de la Mission héliographique, la première commande photographique passée par l’État pour inventorier le patrimoine national, des portraits de milliers d’inconnus venus se faire immortalier par Nadar et tant d’autres… Car rappelons-le, si l’architecture occupe une place importante à la médiathèque, les collections photographiques ne sont pas cantonnées aux Monuments historiques. On estime même que 2/3 des fonds photographiques ne concernent ni l’architecture ni le patrimoine !

négatif atget
Négatif d’Atget, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine

Outre des négatifs photographiques, le fort de Saint-Cyr abrite quelques autres trésors : des relevés aquarellés des fresques ornant des monuments médiévaux ou encore une matériauthèque alimentée par le centre de recherche des Monuments historiques.

Lieu de conservation, le fort de Saint-Cyr n’est pas ouvert au public : il est néanmoins possible de le visiter lors des Journées du patrimoine, sur inscription uniquement. Heureusement, les trésors de la MAP se dévoilent en ligne, sur le site internet, la page Facebook et le fil Twitter de l’institution.

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