Billet écrit le 20 novembre, il m’a fallu plus de dix jours pour me demander s’il était opportun de le publier. Je n’en suis toujours pas persuadée, mais il faut que je passe par là…
Lundi 16 novembre, j’aurai dû publier ma chronique n°5. Vendredi 13, d’ailleurs, je me réjouissais de ce week-end qui s’ouvrait ; j’étais reposée grâce au jour férié de l’avant-veille et j’avais programmé plusieurs visites d’expositions. Je voulais prendre le temps – une journée – pour écrire deux billets de blog, préparer un cours qui me tenait à coeur. Durant mon trajet de métro, j’avais réfléchi, enthousiaste, à la meilleure manière d’occuper ces 48 heures.
Après trois semaines intenses, j’étais bien résolue à prendre du temps pour moi, et à écrire cette chronique hebdomadaire qui avait sauté deux lundis d’affilée.
Vendredi soir, vers 22H, j’étais à mon bureau, en train d’essayer un logiciel de généalogie. Happée dans cette activité passionnante, j’ai rapidement jeté un coup d’oeil sur Facebook et mon oeil s’est accroché au statut de Clément : « les amis, soyez sympa, faites signe pour dire que tout va bien ». Ce message là, immédiatement, j’ai compris ce qu’il voulait dire. Compris sans comprendre. Prise de panique, j’ai swiché sur Twitter pour voir que les réseaux s’affolaient : République, Charonne, le Petit Cambodge, Rue Amelot. Des noms familiers, le décor quotidien de nos vies. Appeler mon ami qui aurait du être rentré depuis une bonne demi-heure, s’assurer qu’il est bien chez lui.
Se dire que ce n’est pas possible, que la toile s’enflamme : il doit se passer quelque chose, mais les rumeurs ont gonflé. Pourquoi le Petit Cambodge, banal resto parisien ? Voir une photographie des corps couverts des draps des riverains, se rendre à l’évidence. La terrible évidence : il y a eu un attentat. Mais les autres noms de rues, alors ? Probablement, dans la panique, les gens citent les rues et les troquets les plus célèbres du quartier, cela ne doit être que ça, cela ne peut-être que ça.
Les minutes passent, l’angoisse grandit. Il faut se rendre à l’évidence, la situation est terrible : il y a bien plusieurs attentats. La panique qui s’est emparée des réseaux n’est pas la conséquence d’une rumeur mal maîtrisée.
Envoyer un message aux proches pour leur dire de ne pas s’inquiéter, qu’on est bien au chaud chez soi, sidéré mais « en sureté ». Les parents dorment surement, pas question de les réveiller, mais laisser le message qui les rassurera quand à 7h demain matin, ils allumeront France Inter sans y trouver le programme habituel du journal.
Rester, prostrée, face à l’écran, voir les tweets qui défilent, swicher de France Info à France Inter (qui avait un temps gardé sa grille « normale »). Se connecter à nouveau à Facebook, attendre les notifications de cet outil que j’avais autrefois trouvé ridicule et auquel je suis maintenant suspendue. Tous n’auront pas le soulagement de voir leurs amis cliquer sur le bouton vert, je le sais et j’ai une immense peine à cette idée. Plus la nuit avance, plus le décompte se fait lourd : je pense à ces familles et ces amis endeuillés, à leur douleur incommensurable, aux blessures psychologiques et physiques que les survivants devront surmonter. Je pense aussi aux témoins, aux secours, que rien dans notre Histoire n’avait préparés à un tel drame : comment se reconstruiront-ils après ça ?
La radio, dans l’urgence, crache des témoignages terribles de ceux qui ont vu et qui sont parvenus à s’échapper. Ils disent l’horreur à peine imaginable de ceux qui sont restés dedans. Il faut s’endormir avec l’angoisse du réveil. Demain matin, quel bilan terrible nous annonceront-ils ?
Lendemains
Comme tous, j’ai passé un week-end de zombie, à la fois complètement prostrée et animée par le désir de dire à ceux qui m’entourent tout mon amour. Dans ce week-end comme un long tunnel, l’apaisement est venu de ces moments où l’on ne pense à rien : ce sommeil sans cauchemar, cette heure passée à nettoyer soigneusement la chaîne du vélo, ce moment devant les estampes de Nathalie Grall, dont la légèreté m’a fait un instant oublier le reste. Moments suspendus que toujours une sirène de voiture de police est venue briser, rappeler la boule qui se tapit au fond du ventre.

Cette chronique 5, je n’aurais pas voulu qu’elle prenne cette forme-là. En janvier, je n’avais pas jugé nécessaire de poster quelque chose après les attentats : que dire d’autre que des banalités ? Mais cette fois-ci, ça n’est pas pareil : comment continuer ? Ce blog, il m’arrive parfois de le feuilleter : j’y vois défiler ma vie, à travers les expositions visitées et les choses lues… Entre les lignes de ces billets, c’est le reste de mon quotidien que je retrouve. Ce 13 novembre, avec tout ce qu’il porte, fait maintenant partie de nos vies. Je ne peux pas ne pas marquer cette page dans ce blog qui me sert aussi de journal personnel écrit à l’encre sympathique.
Il faut recommencer à vivre. Comment construire demain ? Sûrement pas à coup de mesures sécuritaires : partout on ne parle plus que de contrôles, de vigipirate renforcé… A part le corps enseignant, personne n’a pris le temps de parler d’éducation. Or, la France de demain, elle se construit dans les écoles, dans la justice sociale, dans le respect mutuels de ceux qui vivent ici.
J’essaie de me remettre à écrire, j’ai vraiment du mal. Dans les jours qui ont suivi les attentats, je me la suis posée cette question : et toi tu fais quoi pour construire demain ? La meilleure réponse qui soit, je crois, c’est de continuer à faire ce que l’on aime et le faire du mieux que l’on peut. Alors je dois reprendre ce blog : il ne changera pas le monde, mais c’est la meilleure chose que je sais faire, alors je dois la faire.
Je crois que l’on est nombreux dans ceux qui ne vivent pas de leur présence en ligne à avoir galérer à retrouver un semblant de normalité, parfois même d’envie de continuer. Est-ce que cela est lié au support virtuel, à la « futilité » (dans le sens non vital même si pouvant être essentielle) de ce mode d’expression ? Je finis par croire que c’est tout autant l’amour que l’on porte aux mots et à la valeur notion de communication qui nous place face au défi quasi-insurmontable de ne trahir ni nos émotions (sacrément remuées) ni nos valeurs (profondément questionnées).
Je dis ça tout en me demande si c’est bien utile. En bref, merci pour ce partage et courage à nous.
Merci Mealin pour ce message. Je crois qu’une des difficultés est la forme même que prennent nos prises de paroles sur le web : un « fil », un « mur » antichronologie, où toutes nos prises de paroles, mêmes éloignées d’heures ou de journées se trouvent collées, les unes à la suite des autres, sans cette notion de distance temporelle.
Je ne peux que ressentir une gène quand je remonte mon fil Twitter et que je me vois sauter du coq à l’âne : rigoler d’une photo idiote, m’insurger d’une situation inacceptable, partager un article sur un musée, commenter l’actualité, répondre à une copine…
Pour le blog, c’est pareil : même après avoir écrit la chronique 5, comment poster la 6, déjà en cours de rédaction, où j’essaie de résumer 5 semaines de vie culturelle au ralenti. Comment juxtaposer ça ?
Peut-être est-on un peu trop attaché à la continuité du discours, alors que le web a introduit depuis longtemps la discontinuité de la parole et l’asynchronisme du dialogue ?
Merci mille fois pour tes mots, ils me nourrissent…
Très juste cette idée de (dis)continuité. Je n’ai laissé que quelques mots sur mon coin de web mais avec l’idée qu’il fallait quelques mots, voire même pourquoi pas un article vide, pour laisser un espace entre l’avant et l’après…
Je suis content si mon commentaire a trouvé une utilité en tout cas 😉
« Et toi tu fais quoi pour construire demain ? »
Déjà, tu ne doutes pas d’hier, tu maintiens aujourd’hui, coûte que coûte.
Et demain, tu feras plus et si tu le peux, tu feras mieux même si tu le fais différemment.
Mais dans aucun cas tu ne participeras à ce que, d’une manière ou d’une autre, cette lumière, notre lumière s’éteigne. Dans aucun cas tu ne participeras à ce que l’obscurité gagne sur ce terrain qu’est notre liberté.
Alors, oui Peccadille, continue et continuons…
Haut les coeurs !!
Merci beaucoup pour ce message, les commentaires m’ont beaucoup aidé, même si je n’ai pas eu le temps d’y répondre sur le moment…
Encore un bien bel article ! On ressent beaucoup d’émotions, d’incompréhension et de peur, partagées par nombre de parisiens, de français, de citoyens du monde. Mais aussi une force, celle de la vie, celle qui refuse de se laisser abattre, de laisser la peur s’immiscer dans le quotidien. Et cela passe aussi par le respect des libertés et des droits humains essentiels.
Je partage complètement cet avis sur l’éducation, bien délaissée par les médias ces derniers temps et pourtant ô combien essentielle !
Toutes ces fleurs déposées sur place ainsi que dans nombre de villes, me rappellent une phrase prononcée par ma mère quand j’avais 6 ou 7 ans: « Les jolies fleurs posées sur les tombes sont là pour dire qu’il faut toujours être joyeux et voir la vie en couleurs ».
Merci de continuer à écrire, toujours avec délicatesse, sur l’art, les arts, le patrimoine, et tout ce qui fait la richesse de notre monde.
Votre conclusion est très juste. On dirait l’inspecteur Harry dans Magnum Force!
On peut y ajouter aussi: ne pas se laisser embrigader, ne pas agir sous le coup de l’émotion.
Avez-vous déjà lu cette nouvelle d’Herman Melville, « Bartleby »?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bartleby
Ai-je bon espoir de lire ici prochainement un compte-rendu de l’expo Vigée Le Brun?
Encore une fois, « Visages de l’effroi » au MVR est très chouette, et il y a quelques pépites aussi à « Éros Hugo », malgré une vidéo qui crie au beau milieu, un peu comme quand les voisins « font la fête ».
Et toujours, Fragonard!
Au plaisir de vos chroniques…
Merci pour ce billet : il fallait l’écrire et le publier, bien sûr. Je suis comme vous désireuse que la France de demain se construise par l’éducation, et non par les discours de peur. Continuez à faire ce que vous faites (si bien).
(Ce serait si commode si l’école était la réponse à tous les problèmes. Vu le profil des terroristes, c’est pourtant hors-sujet – qu’ils viennent de l’étranger ou bien de secteurs où à 12 ans on gagne de l’argent dans la rue)
D’ailleurs, il faut constater ce que l’école fabrique comme abrutis.
(j’ai été prof, hein, je suis « diplômé », etc…)
Ce qui fonde une personne, ce sont ses connaissances, et ce qu’elle en fait.
Il ne faut rien attendre des institutions.
Je crois que Rembrandt, dans ses dernières années, était finalement proche de Miyamoto Musashi:
La voie à suivre seul.
– Ne pas contrevenir à la Voie immuable à travers les temps.
– Eviter de rechercher les plaisirs du corps.
– Etre impartial en tout.
– N’être jamais cupide durant toute la vie.
– N’avoir aucun regret dans les affaires.
– Ne jamais jalouser autrui en bien ou en mal.
– Ne jamais être attristé par toutes séparation.
– N’éprouver aucune rancune ou animosité vis-à-vis de soi ou des autres.
– N’avoir aucun désir d’amour.
– N’avoir aucune préférence en toute choses.
– Ne jamais rechercher son confort.
– Ne jamais rechercher les mets les plus fins afin de contenter son corps.
– Ne jamais s’entourer, à aucun moment de la vie, d’objets précieux.
– Ne pas reculer pour de fausse croyances.
– Ne jamais être tenté par aucun objet autre que les armes.
– Se consacrer entièrement à la Voie sans craindre la mort.
– Même vieux n’avoir aucun désir de posséder ou d’utiliser des biens.
– Vénérer les bouddhas et divinités sans compter sur eux.
– Ne jamais abandonner la Voie de la tactique.
Pour ces « secteurs où à 12 ans on gagne de l’argent dans la rue », justement, la réponse est l’éducation…
C’est bien! Il fallait que tu écrives cet article émouvant et je suis d’accord avec toi. L’éducation reste le moyen le plus important pour former de grands esprits quoiqu’on en dise.
Belle continuation!