L’autre jour, en faisant l’inventaire des vieux papiers du grenier familial, je me désolais que la bibliothèque de mon arrière-grand-mère institutrice ne compte aucun titre de la collection du « Livre de demain », si intéressante du point de vue de l’histoire de l’édition et de l’histoire de l’estampe… Je ne me doutais pas que quelques instants plus tard, mon voeu allait être réalisé !

J’explorais un de ces vieux meubles typiques des années 50, fermés par des volets roulants en bois que l’on remontait. Enfant, j’étais très fouineuse et fouiller dans ce meuble me faisait très envie, bien que ce soit interdit. Une seule chose me retenait : j’avais peur que le volet en bois se coince ou sorte de ses rails et que je ne parvienne pas à le refermer. Ma bêtise aurait alors immédiatement sauté aux yeux des adultes !
Un dimanche pluvieux de mai, quinze ans plus tard, dûment autorisée, j’inspectais méticuleusement chaque étagère, à la recherche de papiers pouvant éclairer l’histoire familiale et m’émerveillant de tous les trésors que je dénichais : un cahier d’écolier à l’écriture régulière, au nom de mon arrière-grand-père, un herbier des années 50 constitué par ma grand-mère, un agenda griffonné d’additions et visiblement vieux de plus d’un siècle… et tout en bas, d’une pile de fascicules d’enseignement, j’ai repéré un dos caractéristique, inscrit du titre La Fin de Chéri.
Surprise autant qu’excitée, certaine de ce que j’allais trouver, j’extrais le livre de la pile. Mon intuition était la bonne : c’est bien l’édition chez Fayard, au Livre de demain, de La Fin de Chéri, signé Colette.

Immense satisfaction.
Oh ! Ce n’est pas que ce livre ait une grande valeur pécuniaire – on en trouve sur internet à 5 ou 20 euros – mais c’est pour l’intérêt au regard de l’histoire de l’édition que je suis contente d’avoir dégoté ce bouquin, de surcroit en relatif bon état.
Alors, qu’a-t-il de si particulier, ce livre ? Je vous le dis en mille : ses illustrations !
Petite Histoire du Livre de demain
Au début du XXe siècle, l’âge d’or du livre illustré est passé. Fini les éditions courantes ornées de vignettes sur bois. Les graveurs sur bois peinent à vivre de leur art, les procédés photomécaniques ont depuis plusieurs décennies tout envahi. Oh, il demeure bien un marché pour bibliophiles, avec d’onéreuses éditions rares, illustrées par des artistes peintres et destinées à un public aux goûts raffinés… Quelques sociétés se sont formées pour défendre le livre illustré traditionnel, comme la Société artistique du livre illustré, la Société du livre d’art ou la Société des amis des livres. Mais l’édition courante, elle, se contente d’illustrations de moindre qualité, quand on lui en fournit encore.
C’est dans ce contexte que Arthème Fayard décide, en février 1923 de se lancer dans une aventure éditoriale osée : proposer des textes contemporains illustrés de gravures sur bois inédites, le tout à un prix modeste, 2 francs 50 le fascicule… C’est ainsi que nait le Livre de demain.
Avec des auteurs dont le succès déjà établi (Cocteau, Colette, Giono) et des textes issus de son propre catalogue, Fayard vise une clientèle issue de la classe moyenne et de la petite bourgeoisie.

Chaque ouvrage est illustré de gravures signées de graveurs contemporains : Jean Lebédeff, Foujita, Deslignères, Jean-Morin en tout ce seront 55 artistes qui collaboreront au Livre de Demain et illustreront jusqu’en 1947 quelque 235 titres. Pour des raisons techniques et économiques, ce ne sont pas des bois originaux qui sont employés à l’impression mais des clichés réalisés d’après les matrices gravées. Le rendu est moins précieux et l’impression moins soignée mais cela n’enlève rien à l’intérêt de la collection, qui participe ainsi au soutien à la création sur bois des années 20 et 30.

Rapidement, d’autres éditeurs imiteront la formule du Livre de demain. C’est notamment le cas de Ferenczi qui lance le « Livre moderne illustré » dont la formule est similaire à celle de Fayard.
La Fin de Chéri
Regardons de plus près ma trouvaille. La Fin de Chéri fait suite à un autre roman de Colette, publié en 1920, Chéri. C’est le récit d’une passion amoureuse entre une courtisane quinquagénaire et son jeune amant, Fred Peloux, surnommé Chéri. Six ans plus tard, Colette donne une suite au roman en publiant La Fin de Chéri, qui se déroule après-guerre et narre la recherche nostalgique et dévorante d’une passion disparue, jusqu’au suicide.

Les deux textes, édités une première fois chez Fayard, sont réédités quelques années plus tard au « Livre de demain ». Chéri est illustré par G. Jeanniot et La Fin de Chéri reçoit des compositions de Constant Le Breton. Ce dernier, né en 1895, se consacre à la gravure sur bois à son retour de la guerre. Durant sa carrière, il illustre une soixantaine d’ouvrages, souvent par la xylographie, mais il s’adonne également à la lithographie.
Pour Fayard, il illustre plusieurs titres du Livre de demain. Son style s’inscrit tout à fait dans les tendances du bois gravé de l’entre-deux-guerre et rappelle l’esthétique – partagée par de nombreux artistes – d’Émile Laboureur. L’utilisation de stries très fines et serrées pour moduler la lumière, par exemple, est typique de cette période.

Les trente illustrations de Le Breton sont assez éclectiques : certaines – assez peu finalement – s’inscrivent dans l’esprit du texte, mettant en image le récit. D’autres, au contraire, ne semblent être là que pour leur vertu décorative. C’est notamment le cas des culs-de-lampe, qui renouent avec la tradition des ornements typographiques sur bois des XVIIe et XVIIIe siècles. Il y a une prédominance des natures mortes, dont certaines ne sont pas sans rappeler les recherches cubistes de Braque et Picasso.

Définitivement, ce n’est pas un « beau livre » illustré : à mesure de la lecture du texte de Colette, j’ai été déçue que l’artiste graveur ne se soit pas plus investi dans un travail de dialogue. Néanmoins, je suis bien contente d’avoir pu fait une expérience personnelle du Livre de demain pour ce qu’il représente dans l’histoire de l’édition du XXe siècle.

Pour aller plus loin
- Un billet consacré au Livre de demain sur le blog de Bibliomab
- Un livre sur le Livre de demain (mais que je n’ai malheureusement pas pu consulter) : Le livre de demain de la librairie Arthème Fayard : étude bibliographique d’une collection illustrée par la gravure sur bois, 1923-1947 / Jean-Etienne Huret. Tusson (Charente) : éditions du Lérot, 2011. 50 €.
Le charme immense de ces vieux livres de demain avec leurs gravures si belles….
Je ne connaissais pas cette collection et encore moins ses spécificités.
Cela a été aussi l’occasion pour moi de découvrir que « cul-de-lampe » avait un sens en typo et pas simplement en archi ! Double découverte 😉
Bonsoir,
Intéressant article sur une jolie collection un peu oubliée et qui contient des pépites littéraires. Pour les parisiens, je signale un titre de Henri Duvernois. Faubourg Montmartre (1929) avec 28 bois originaux de Le Meilleur sur l’univers populaire de ce quartier qui a depuis un peu changé…
Merci pour les liens ;-))
Je ne connaissais pas le livre de demain! C’est très intéressant! J’aime ces histoires de grenier qui regorge de trésors! Merci beaucoup pour cette passionnante découverte!
Le livre de demain est une initiative à soutenir, qui garde le souvenir des livres illustrés par des gravures sur bois