Vous avez peut-être aperçu son élégante silhouette sur les réseaux sociaux ces dernières semaines : la salle Labrouste, chef-d’œuvre de l’architecture publique du XIXe siècle vient de rouvrir ses portes après plusieurs années de restauration.

Un chantier que j’avais eu la chance de visiter à plusieurs reprises dans le cadre de mon travail à l’INHA. J’ai d’ailleurs écrit à ce sujet un billet sur le blog Sous les Coupoles, mais je n’avais pas eu l’occasion d’en parler ici. Maintenant que les livres et les lecteurs ont repris leurs droits dans les salles restaurées du quadrilatère Richelieu, je vous emmène visiter ?
Le « site Richelieu » ou « vieille bibliothèque », comme l’appellent les habitués, est sis dans le quartier de Vivienne, en plein cœur de Paris. C’est sur cet emplacement qu’en 1666, Louis XIV installe les collections de la bibliothèque royale. D’abord abritée à proximité de l’hôtel du ministre Colbert, la bibliothèque s’installe en 1720 dans l’hôtel de Nevers, ancienne résidence de Mazarin. Au fil des décennies, à mesure que les livres s’accumulent sur les étagères, la bibliothèque s’agrandit de façon anarchique, annexant progressivement les hôtels particuliers et terrains attenants au noyau central. Si bien qu’au milieu du XIXe siècle, la bibliothèque impériale se trouve abritée dans un ensemble hétéroclite de bâtiments plus ou moins salubres. Une situation indigne d’une telle collection !
Un écrin pour les livres, construire « le plus précieux monument de la capitale après le Louvre »
En 1854, L’empereur Napoléon III confie à Henri Labrouste un projet titanesque : construire un bâtiment apte à accueillir la bibliothèque impériale. L’architecte vient de s’illustrer avec la bibliothèque Sainte-Geneviève à la conception tout à fait novatrice. Mais l’édifice qu’il va imaginer pour la Bibliothèque impériale est très différent et s’articule autour de l’immense salle de lecture des imprimés, salle qui porte aujourd’hui son nom.

Imaginons un instant le parcours d’un lecteur qui pénètre pour la première fois dans la Bibliothèque impériale, en 1868. Arrivé par la rue de Richelieu, il passe la porte monumentale et traverse la cour d’honneur. Il pénètre alors dans un grand vestibule dont l’atmosphère comme le décor de marbre évoquent les tombeaux étrusques qui passionnent alors les érudits. Face à lui, une double porte qui débouche sur un monumental volume baigné de lumière, la salle de lecture. L’effet est spectaculaire.

Quel défi technologique a représenté la conception de cette immense salle de 1200 mètres carrés ! Premier problème : la couverture. Comment couvrir une telle surface en offrant un éclairage suffisant pour le travail des lecteurs ? Dans un premier temps, l’architecte avait imaginé installer une immense verrière. Depuis la construction du Cristal Palace pour l’exposition universelle de 1851 à Londres, l’architecture fer et verre était à la mode. Mais un tel parti pris architectural avait un défaut majeur : les jours ensoleillés, l’ombre des lecteurs se projetterait sur les ouvrages consultés rendant l’étude malaisée.
L’architecte cherche donc un moyen de couvrir la salle tout en assurant une luminosité homogène et douce, plus propice à l’étude. Cette question de l’éclairage était d’autant plus primordiale que la bibliothèque est alors dépourvue d’éclairage artificiel : on craint trop le risque d’incendie.
Labrouste opte finalement pour 9 coupoles reposant sur des piliers en fonte. Cette solution technique lui aurait été inspirée par la structure des robes à crinoline alors à la mode. Les bandes ornementales roses, qui ceinturent les coupoles de la salle de Lecture seraient d’ailleurs une discrète allusion aux rubans des dessous féminins.
Ces neuf coupoles assurent aux lecteurs une luminosité idéale, même par temps gris : la lumière naturelle, qui pénètre par les oculi se réverbère sur la paroi en faïence blanche des coupoles et se diffuse ainsi de manière homogène.
Le sud de la salle de lecture forme un hémicycle couvert par une verrière : deux cariatides encadrent l’entrée monumentale des magasins centraux, conçus pour accueillir 900 000 volumes. Là encore Labrouste a dû faire preuve d’ingéniosité. Les deux exigences étaient la sécurité des collections et la rationalisation du rangement. Pour éloigner les risques d’incendie, le métal est favorisé et l’éclairage artificiel proscrit. Labrouste imagine cinq étages de magasins, reliés à intervalle régulier par des escaliers, afin d’optimiser les déplacements des magasiniers. La hauteur des coursives est calculée pour que tous les livres demeurent accessibles sans avoir à recourir à des échelles ou à des marchepieds. Mais surtout, Labrouste à l’idée de couvrir les magasins d’une toiture en shed comme il a pu en observer dans les usines de Saint-Quentin. Couplé à des coursives en claire-voie, cela assure une diffusion de la lumière à tous les niveaux des magasins.
L’histoire d’une renaissance
Un siècle et demi plus tard, le chef-d’œuvre de Labrouste avait perdu de sa superbe. À l’aube du XXIe siècle, la salle des imprimés n’était plus que l’ombre d’elle même : un grand volume sombre et froid, quelque peu inquiétant les soirs d’hiver. Il était urgent de restaurer. Par ailleurs, la construction de la nouvelle bibliothèque, dans le quartier Tolbiac, a privé la salle des imprimés de sa destination d’origine, seuls les départements « patrimoniaux » étant demeurés sur le site Richelieu. S’est alors engagé un grand projet de restauration des bâtiments et de redéploiement des collections.

Depuis 2011, le quadrilatère Richelieu est en travaux. Cet ambitieux chantier est découpé en deux phases : la première, qui vient de s’achever, concernait la partie ouest, tandis que la seconde, qui se poursuivra jusqu’en 2020, portera sur les bâtiments de la rue de Vivienne. Depuis la mi-décembre 2016, la salle Labrouste et les espaces attenants ont rouvert leurs portes aux lecteurs. Ils n’accueillent plus seulement les départements patrimoniaux de la Bibliothèque nationale de France, mais également les collections d’établissements partenaires, comme l’INHA ou l’École des Chartes. Ainsi, la salle Labrouste est désormais partagée entre les lecteurs de la bibliothèque de l’INHA et ceux du département des estampes de la BnF. Quant au magasin central, il n’est plus impénétrable puisqu’il abrite les 150 000 ouvrages du libre accès de la bibliothèque de l’INHA.

La réouverture de la salle Labrouste est l’occasion pour les lecteurs et le grand public de redécouvrir le génie d’un architecte visionnaire. La restauration a rendu tout son lustre à son œuvre en permettant notamment la redécouverte des décors, dont la richesse était voilée par une épaisse couche de crasse. Outre les frises ornementales et les figures féminines qui habitent les coupoles, la salle est décorée de médaillons figurant les auteurs célèbres. Mais ce sont peut-être les peintures qui ornent les baies est et ouest qui surprennent le plus, tant on avait oublié la délicatesse des couleurs employée par l’artiste qui les a réalisées, Alexandre Desgoffe. Labrouste avait refusé qu’on installe ici des scènes historiques ou allégoriques, leur préférant cette évocation de la nature, inspirée des peintures antiques découvertes dans les villas d’Italie.

À défaut d’être lecteur de la bibliothèque, vous pouvez venir découvrir les espaces rénovés dans le cadre du week-end portes ouvertes (14 et 15 janvier 2016) ou des visites guidées qui seront régulièrement organisées. Et si vous êtes soufflés par la beauté des restaurations, vous pouvez participer à l’opération de mécénat pour la poursuite des travaux notamment dans la salle Ovale, autre espace majeur du quadrilatère Richelieu.

Pour aller plus loin
- Mon billet sur la Salle Labrouste sur le blog de la Bibliothèque de l’INHA, Sous les coupoles.
- Une présentation du magasin central sur le blog de l’INHA, Sous les coupoles, par Lucie Fléjou.
- Un autre billet de blog Sous les coupoles sur la restauration de la salle Labrouste « Les Ors retrouvés de la salle Labrouste » sur le blog Sous les coupoles par Lucie Fléjou
- Catalogue de l’exposition de la Cité de l’architecture et du patrimoine en 2012 : Caroline Bélier, Barry Bergdoll, Marc Le Cœur (dir.), Labrouste (1801-1875), architecte. La structure mise en lumière, Paris, Nicolas Chaudun, 2012.
- Jean-Michel Leniaud (dir.), Des Palais pour les livres. Labrouste, Sainte-Geneviève et les bibliothèques, Paris, Maisonneuve & Larose, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 2000.
Note : la plupart des photos qui illustrent ce billet ont été réalisées dans le cadre d’une visite spéciale blogueur en juin 2016, donc avant l’installation des livres de la bibliothèque de l’INHA
Cela me donne vraiment envie d’aller la découvrir 🙂
Le coup des pneumatiques c’est top ! Cool qu’il l’ait gardé et que le magasin central soit accessible.
splendide, en effet! je l’avais vue dans un article de mon journal (flamand, si, si!) et j’espère pouvoir l’admirer « en vrai » un jour!
Je crois que les médias ont été inondés avec la réouverture de la « cathédrale des livres » (belle formule qu’a trouvé un journaliste).
Si vous passez à Paris, je serai heureuse de vous la faire visiter 🙂
Alexandre DESGOFFE est le nom du peintre des ‘verdures’
Merci beaucoup, la coquille est corrigée