Le deux janvier, pour bien commencer mon année culturelle, je visitais en compagnie de Jean-Luc Cougy le pont du Gard, un monument que je m’étais jusqu’alors contentée de contempler en carte postale. L’avantage de s’y rendre un deux janvier, c’est que l’on ne croise pas un chat et que l’on peut admirer les belles pierres dans le silence du soleil froid d’hiver.

Sa silhouette rythmée par trois niveaux d’arches, nous la connaissons tous. Le pont du Gard est l’ouvrage d’art majeur d’un aqueduc long de 57 kilomètres, construit dans la première moitié du Ier siècle pour alimenter en eau la ville de Nîmes, alors une des cités les plus importantes de la province romaine de la Narbonnaise.
Si seulement vingt kilomètres séparent la source, Fontaine d’Eure de la ville de Nîmes, l’eau mettait une journée entière à effectuer le trajet : et pour cause, le parcours de l’aqueduc mesure 57 kilomètres ! Plutôt que de multiplier les onéreux ouvrages d’art dans un terrain accidenté, les Romains ont préféré faire serpenter le circuit le long des coteaux. Restait cependant un obstacle majeur à franchir : la vallée du Gardon, une petite rivière aux crues spectaculaires et redoutées. C’est ainsi qu’est né le Pont du Gard, plus haut pont-aqueduc de l’histoire romaine.

Dominant le paysage de ses 48 mètres (comme la statue de la Liberté ! … sans le socle), le pont-aqueduc du Gard a nécessité 5 ans de construction. Au-delà de sa majesté incontestable, le monument est extrêmement impressionnant par la précision de sa stéréotomie. Certaines pierres pèsent 6 tonnes et toutes sont taillées avec précision. Les deux niveaux inférieurs sont assemblés à joints vifs, c’est-à-dire sans mortier. Ce dernier n’a été utilisé qu’au dernier niveau de la construction, celle qui accueillait le canal.
La canalisation destinée à acheminer l’eau est logiquement installée au sommet du monument. Large d’un mètre vingt et haute d’un mètre quatre-vingt, elle ne se dévoile aujourd’hui plus qu’aux visiteurs accompagnés d’un guide. Pour assurer l’étanchéité du canal, les Romains avaient recours à un ingénieux système d’étanchéité à base de chaux, depuis longtemps encombré de dépôts calcaires, résultat de 5 siècles d’utilisation. De passionnantes traces, qui ont livré beaucoup de secrets aux chercheurs, leur permettant par exemple d’évaluer la qualité de l’eau transportée par l’aqueduc au fil des décennies…

Si aujourd’hui le Pont du Gard est le seul vestige connu de l’aqueduc qui allait de Fontaine d’Eure à Nîmes, beaucoup d’autres ouvrages d’art ponctuaient le parcours, mais tous sont en ruines désormais. Le pont du Gard est le seul qui nous soit parvenu. Comment cela s’explique-t-il ?

Dès le IVe siècle, l’aqueduc n’est plus correctement entretenu. Deux siècles plus tard, l’infrastructure est abandonnée. Les pierres de plusieurs des ouvrages d’art sont réutilisées dans la construction de divers monuments. Le pont du Gard, lui, n’est amputé que d’une centaine de mètres au dernier étage. Deux raisons expliquent probablement qu’il ait été relativement épargné : très grand, il était plus difficile à démanteler que d’autres ouvrages de l’aqueduc. Par ailleurs, dès le XIIe siècle, il connaît une seconde phase d’utilisation, comme pont routier cette fois-ci. Le passage des chariots et autres voitures n’ayant pas été prévu lors de la conception, les hommes du Moyen-Âge creusent des échancrures dans les piliers qui soutiennent le second tablier afin d’aménager une route. Plusieurs témoignages iconographiques nous restituent cet aménagement pour le moins périlleux qui déstabilisa durablement la structure.


Dès le XVIIe siècle, on commence à s’inquiéter de la conservation du monument, que la Renaissance avait reconnu comme un exemple remarquable de l’architecture antique. En 1743, un pont routier est adossé au pont du Gard, dont les piles sont renforcées.
Deux siècles plus tard, le pont du Gard figure sur la première liste des Monuments Historiques établie par Mérimée (1840). Il bénéficiera de plusieurs campagnes de restauration. Mais il faudra encore un siècle et demi pour que toute circulation soit interdite sur le pont. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1985, le pont du Gard est aujourd’hui l’un des monuments français les plus visités au monde.

La partie sur l’histoire de la sauvegarde du Pont du Gard est probablement ce que j’ai préféré du « musée » (mais il serait plus adapté de parler de centre d’interprétation) qui complète la visite du site. Un espace dont la muséologie gagnerait à être renouvelée, mais qui apporte beaucoup d’explications intéressantes à condition d’être très motivé (la médiation écrite est un peu indigeste). Il ne faut absolument pas rater les maquettes restituant les différents ouvrages d’art du parcours de l’aqueduc, mises en regard avec des photos des vestiges archéologiques, ce qui permet de mesurer la chance que nous avons de contempler le Pont du Gard encore debout et d’imaginer l’infrastructure dans son ensemble au temps de son exploitation. De nombreux fac-similés de gravures et de pièces d’archives illustrent comment le monument a traversé les siècles. On y apprend notamment qu’il s’était formé dans les canalisations de l’aqueduc d’importants dépôts de calcaires, que les hommes du Moyen-Âge ont extraits pour orner leurs propres constructions. Tendres et présentant de beaux effets de veines, ces pierres se prêtaient parfaitement aux sculptures décoratives. Je ne regarderai plus les églises romanes de la région de la même façon après cette découverte !
Autre détail qui a beaucoup aiguisé ma curiosité pendant la visite, ce sont les nombreuses marques que l’on distingue gravées dans les pierres. Certaines sont assez récentes, elles datent du XVIIe au XXe siècle et associent souvent un nom et la silhouette d’un marteau. Elles ont été laissées par des aspirants Compagnons du Devoir qui effectuaient leur tour de France et pour qui le Pont du Gard représentait une étape incontournable, tant le monument illustrait la perfection des constructeurs de l’antiquité. D’autres marques, beaucoup plus anciennes, remontent au premier siècle de notre ère. Il s’agit des marques utilisées par les ouvriers pour assembler correctement les blocs, dont les mesures étaient précisément calculées pour le que le monument tienne sans l’usage d’aucun mortier.

Et vous, quels sont vos souvenirs de visite au Pont du Gard ?
Pour aller plus loin
- Une fiche pédagogique sur le Pont du Gard, que j’ai trouvé après avoir écrit cet article et qui peut constituer un bon document de visite pour tous les publics.
En Septembre, c’est bien aussi
Je note : au détour d’une promenade à vélo dans le sud, ça me fera plaisir de revenir voir sa silhouette !
Ils n’avaient pas peur en creusant leur route ! Heureusement pour nous que ça n’a pas tout foutu par terre…
Apparement, c’est pas passé loin… C’est ce qui m’a le plus impressionné dans ma visite, la découverte de ces gravures où on voit que ça tient à un cheveu !
Ca me rappelle ma jeunesse, quand on passait en voiture sur le pont, et que l’on courrait, non pas dans le canal (trop facile !), mais au-dessus…
C’est fou de se dire qu’il y’a quelques années encore, tout ça était permis alors qu’aujourd’hui, tout est très encadré, aseptisé !
J’avoue qu’en regardant les photos anciennes (XIXe notamment), j’enviais les visiteurs d’hier qui découvraient le monument dans un écrin plus naturel et spontané !