Paris secret : l’extraordinaire histoire de la butte Bergeyre

Un jour, au hasard d’une promenade, j’avais découvert un des secrets les mieux gardés de Paris : cinq rues, isolées du tumulte incessant de Paris, perchées sur leur butte et protégées par un rempart d’immeubles. La Butte Bergeyre, peut-être un des seuls lieux qui n’a pas volé son titre de « Campagne à Paris ».

Vues sur Paris depuis la butte Bergeyre
Vues sur Paris depuis la butte Bergeyre

Pour y accéder, il faut avoir la curiosité et le courage de gravir l’un des deux escaliers traversant la ceinture d’immeubles qui enserre la butte Bergeyre. Un jour où je me promenais le long des Buttes-Chaumont, cet escalier dont je ne voyais pas le bout m’a intriguée. Courageusement, j’ai gravi les douze mètres de dénivelé. Au sommet, de charmantes petites maisons m’attendaient. Je venais de tomber par hasard sur ce lieu dont j’avais déjà vaguement entendu parler, la fameuse butte Bergeyre.

La butte Bergeyre c’est aujourd’hui un îlot résidentiel calme et charmant, mais son histoire est beaucoup plus mouvementée qu’il n’y paraît. Cette histoire, je l’ai découverte dans ma bibliothèque de quartier, qui possède un petit fascicule édité par les amis de la butte. Cette histoire, je vais essayer de vous la raconter à mon tour.

De la butte Chaumont aux Buttes-Chaumont.

Autrefois, ce qu’on appelle aujourd’hui la butte Bergeyre ne formait qu’un avec la butte Chaumont dont elle était l’éperon occidental. Dans cette zone, on extrayait depuis longtemps le gypse, employé à la fabrication du plâtre nécessaire à la construction de Paris. Si bien qu’au XIXe siècle, se déployait dans le relief de la butte Chaumont une vaste carrière appelée les carrières d’Amérique.

Les sous-sols de ce qui deviendra la butte Bergeyre avaient également été exploités et les galeries mal rebouchées menaçaient les quelques moulins qui coiffaient son sommet. En effet, des moulins à vent sont attestés sur le site depuis le XVIe siècle : les vieilles cartes et les documents d’archives nous délivrent leurs noms : le vieux moulin, le grand moulin, le moulin de la Folie, le moulin de la Carosse et enfin le Moulin de la Tour Chaumont. Ils cesseront progressivement de fonctionner dans les premières années du XIXe siècle.

Détail de la carte de Paris établie par Roussel et publiée en 1748. Gallica/BnF
Détail de la carte de Paris établie par Roussel et publiée en 1748. Gallica/BnF

La ville, elle, au même moment, sort de ses murs et vient grignoter cette zone périurbaine du nord-est de Paris, jusque là réservée aux activités industrielles (du côté de la butte Chaumont et de la Villette) et agricoles (vers Belleville). Mais l’urbanisation galopante se heurte à la fragilité des sols du quartier de la butte : l’exploitation intensive des carrières a lardé le sous-sol de galeries et malgré les tentatives de sécurisation par comblement, certaines zones restent instables. C’est le cas de la partie occidentale de la butte Chaumont. Quand les carrières d’Amérique ferment définitivement, au milieu du siècle, la zone sert d’abri de fortune aux exclus et marginaux. Sur l’éperon occidental, plus rien : les moulins ont disparu.

Détail d'un plan de Paris édité en 1853 par Didot, Gallica/BnF
Détail d’un plan de Paris édité en 1853 par Didot, Gallica/BnF

Napoléon III a pour ce paysage désolé un grand projet : il charge Alphand d’aménager un parc qui embellira le nord-est de la capitale. C’est lors des travaux de terrassement que la zone de la future butte Bergeyre est séparée du reste de la butte Chaumont, elle-même aménagée pour former plusieurs buttes.

Extrait du Nouveau Paris monumental édité par Garnier en 1885, Gallica/BnF
Extrait du Nouveau Paris monumental édité par Garnier en 1885, Gallica/BnF

La présence du parc favorise l’urbanisation des alentours. En 1880, Rothschild choisit le pied des Buttes-Chaumont pour y implanter son hôpital ophtalmologique, dont le bâtiment sera achevé en 1905. Le sommet de la butte Bergeyre, quant à lui, il est toujours chauve : son sous-sol, comme un gruyère, rend incertaine la stabilité du terrain.

Carte postale ancienne représentant l'hôpital Rothschild, spécialisé dans l'ophtalmologie et construit au début du XXe siècle face au parc des Buttes-Chaumont, carte postale  conservée à la bibliothèque Interuniversitaire de Santé, Paris.
Carte postale ancienne représentant l’hôpital Rothschild, spécialisé dans l’ophtalmologie et construit au début du XXe siècle face au parc des Buttes-Chaumont, carte postale conservée à la bibliothèque Interuniversitaire de Santé, Paris.

La Butte des plaisirs : l’Historiama et les Folles buttes

Un entrepreneur, Emile Blin, y fait tout de même ériger une structure légère, un Diorama, attraction alors populaire auprès des Parisiens et dont je vous avais déjà parlé précédemment. Le diorama imaginé par Emile Blin, thématique, est connu sous le nom d’ « Historiama » ou « musée historique ». Les visiteurs y découvrent des tableaux sur l’histoire de Paris, comme le siège de 1814, le coup d’État de 1851, l’inauguration de la première ligne de chemin de fer, des scènes de la Révolution française…
L’Historiama ouvre la voie à un autre lieu de plaisir, qui s’implante sur les pentes de la butte à la fin des années 1910 : les Folles buttes, un parc d’attractions composé de manèges, de jeux d’adresses et de stands de curiosités. Son attraction phare est la Tour féérique, à la silhouette penchée. S’y agrègent au fil des années d’autres divertissement : un music-hall, un théâtre, un cinéma champêtre, un bal… Le parc des Folles buttes n’a certes pas la notoriété de son concurrent de l’Ouest parisien Luna Park, mais il affiche après-guerre une fréquentation florissante.

Carte postale du début du XXe siècle, représentant le parc des Folles Buttes.
Carte postale du début du XXe siècle, représentant le parc des Folles Buttes avec sa tour enchantée.

Un haut lieu du rugby parisien

Au sommet de la butte, jusqu’en 1914, il n’y a que quelques vaches qui pâturent. C’est ce site que le Club sportif de Vaugirard, très influent dans le paysage parisien, décide d’investir pour construire le stade qui lui manque pour pratiquer le rugby.
Les travaux d’aménagement sont lourds : il faut araser le terrain pour obtenir une pelouse parfaitement plane sur une surface de 100 mètres par 80. Des tribunes sont construites à une extrémité du terrain.
Lorsque la guerre éclate, les travaux sont encore en cours. Parmi les jeunes gens qui ont porté le projet, certains tombent au champ d’honneur. C’est le cas de Robert Bergeyre, qui décède le 22 août 1914. En hommage à ce joueur de Rugby, le club décide de donner au stade son nom. Il restera attaché à la butte, bien après la disparition des équipements sportifs.

L’immédiate après-guerre voit le florissement du terrain. Pensé pour le rugby, il accueille toutes sortes de compétitions : meeting d’athlétisme, coupe de France de Football, match de hockey sur gazon. En 1924, alors que la France organise les Jeux olympiques, le stade abrite plusieurs épreuves. On y fait également des galas et des fêtes populaires.

Un village à Paris

Mais le terrain, instable, coûte trop cher à l’entretien pour un club lui-même en proie à des difficultés financières. En 1925, le propriétaire vend le terrain à un lotisseur immobilier, Charles Pelissier. Habile homme d’affaires, il voit les choses en grand pour faire fructifier son investissement. Il faut d’abord sécuriser le sous-sol. Il consolide et découpe le terrain en 220 lots, desservis par cinq rues. L’autorisation de lotir est délivrée en 1926, les ventes débutent au milieu de l’année suivante. Fin 1928, déjà, une trentaine de constructions sont sorties de terre.

Si les parcelles du sommet de la Butte sont bâties de petites maisons, Pellissier s’est réservé les terrains du pourtour, le long de l’avenue Simon Bolivar. Il y fait élever d’immenses immeubles qui isolent, comme une muraille, la butte des tumultes de la ville. Devant les importants travaux de terrassement que le chantier exige, il faudra deux ans pour achever l’ambitieux ensemble. Aujourd’hui encore, ces immeubles (et leurs cours) impressionnent les passants qui se penchent au-dessus du vertigineux gouffre.

Et les Folles buttes ? Si elles sont encore en activité en 1925, elles périclitent à la fin de la décennie.

La partie non bâtie de la butte, vue de la rue des Chaufournier
La partie non bâtie de la butte, vue de la rue des Chaufournier

Pour aller plus loin

5 réflexions sur “ Paris secret : l’extraordinaire histoire de la butte Bergeyre ”

  • 11 février 2017 à 13 h 48 min
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    Merci pour ce billet passionnant. J’irai faire un tour sur cette butte lors d’un prochain séjour parisien.

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  • 12 février 2017 à 15 h 57 min
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    Extraordinários segredos.. Bravos!

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  • 12 février 2017 à 18 h 46 min
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    Merci pour les belles postales. Tout se qui représente Paris me plaît, mais sutout le passé

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  • 12 février 2017 à 21 h 54 min
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    Détective Pecadille à encore frappée :p Si je passe te voir un de ces jours il faudra que je fasse le détour !

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  • 15 février 2017 à 22 h 19 min
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    J’ai eu la chance d’habiter 5 ans sur la Butte Bergeyre, rue Philippe Hecht ! C’téait mon village dans les nuages… Et malgré maintes recherches pour mon blog, je n’ai jamais réussi à réunir autant d’informations ! Mille mercis pour cet article

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