Du #DIY au XVIIIe siècle. A propos d’un coffret décoré

C’est mon petit rituel du printemps : tous les ans, je passe une ou deux journées à arpenter les allées du Salon international du Livre et de l’Estampe (désormais renommé Salon international du Livre & de l’Objet d’art). En 2015, je vous avais fourni un compte-rendu détaillé de ma visite, cette année je me contenterai de vous parler d’un de mes coups de cœur, un insolite objet découvert sur le stand de la Galerie Didier Martinez.

Coffret XVIIIe siècle décoré de découpures d’estampes coloriées. Galerie Didier Martinez

Elle avait de quoi m’intriguer, cette boîte en carton dont l’intérieur est décoré de gravures découpées et coloriées. Drôle d’objet, qui témoigne des usages ordinaires de l’estampe autrefois.
Il s’agit d’un petit cabinet de toilette féminin, destiné à ranger les produits de beauté : poudres, parfums, onguents…

Si l’extérieur est assez pauvre (du simple carton, protégé par des bandes de papier usées…), l’intérieur dévoile un riche décor d’angelots, de scènes galantes, de fleurs et d’oiseaux. Il s’agit d’un collage d’estampes, préalablement découpées et coloriées à l’aquarelle. Chaque boîte qui compose le coffret possède un décor singulier.

Intérieur du coffret avec ses collages d’estampes et de papiers dominés. Galerie Didier Martinez

Le décor pourrait bien avoir été créé par la propriétaire même du coffret, selon une technique inventée à Venise au XVIIIe siècle, appelée « Arte Povera* » ou « Lacca Povera ». Depuis le début de ce siècle, toute l’Europe goûtait aux laques provenant du Japon, mais dont la rareté et le prix en faisaient des objets de très grand luxe. Les artisans d’art ont rivalisé d’inventivité pour trouver des procédés imitant ces laques asiatiques. A Paris, les frères Martin mettent au point un procédé resté célèbre son le nom de Vernis Martin, tandis qu’à Venise, se développe la technique de la « Lacca Povera », qui consiste à découper des gravures coloriées puis à les coller sur un fond préalablement préparé et à recouvrir le tout de plusieurs couches d’un vernis transparent, appelé sandaraque. Le procédé à l’avantage d’être rapide et économique, puisqu’on se passe du travail des peintres pour la réalisation des motifs. Rapidement, les artisans se sont libérés de l’influence esthétique asiatique pour composer des décors originaux. A la mode, la Lacca Povera recouvre tout : mobilier d’apparat, panneaux ornementaux, coffrets, plateaux…

D’abord apanage des ateliers d’artisans vénitiens, la technique se diffuse dans toute l’Italie. En France, elle se transforme et devient un loisir féminin apprécié de la haute société. L’art des « découpures » rejoint le panthéon des activités artistiques féminines, comme la broderie, le dessin ou la gravure.

La scène principale du coffret est une estampe éditée par Martin Engelbrecht, intitulée « l’Heure du Berger ». Galerie Didier Martinez

Voguant sur cette mode, des marchands éditent des gravures spécialement destinées à cette pratique. Les thèmes privilégiés sont les scènes galantes, les ornements, les fleurs, les putti…

Les estampes qui ont servi à la réalisation du coffret qui nous intéresse aujourd’hui proviennent justement d’un éditeur et graveur qui s’est illustré par sa production destinée aux découpures. Il s’agit de Martin Engelbrecht (1684-1756), un Augsbourgeois. Je n’ai pas retrouvé sur internet les estampes exactes qui ont servi pour la réalisation du coffret, mais je suis tombée sur d’autres tirages dans le même esprit… Comme quoi, le XXe siècle n’a rien inventé avec les décalcomanies et le scrapbooking !

L’auteur de ce coffret a également utilisé des papiers dominotés. Sous cette appellation on désigne des papiers imprimés de motifs répétitifs (fleurs, ornements), produits principalement au XVIIIe siècle et utilisés pour garnir l’intérieur des meubles, des boîtes ou couvrir les livres.

Si l’on trouve régulièrement sur le marché de l’art des meubles et objets en Lacca Povera vénitien (à des prix souvent très élevés), les témoignages de la pratique amateure des découpures sont beaucoup plus rares, d’une part parce que cette mode fut de courte durée et d’autre part parce que ces objets, somme toute modestes, ont souvent été détruits une fois trop usés.

Le coffret proposé par la galerie Didier Martinez est donc un trésor très précieux, qui témoigne des usages dits « populaires » de l’image imprimée. Il l’est d’autant plus qu’il n’a pas été restauré… la poudre qui demeure au fond, est-elle XVIIIe siècle, elle aussi ?

L’intérieur du coffret. Galerie Didier Martinez

Pour aller plus loin

  • André Jammes, Papiers dominotés : traits d’union entre l’imagerie populaire et les papiers peints (France, 1750-1820), Paris, éd. des Cendres, 2010, 560 p.
  • Sophie Reyssat, Polychromie à l’Italienne, in Gazette Drouot,  N°3 du 25 janvier 2008. [En ligne]
  • Saul Lévy, Les Laques vénitiennes du XVIIIe siècle, Société française du livre, 1968.

7 réflexions sur “ Du #DIY au XVIIIe siècle. A propos d’un coffret décoré ”

  • 28 avril 2017 à 12 h 51 min
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    C’est cool qu’on puisse en voir/savoir plus sur ce coffret qui m’avait intrigué en effet 😉 merci

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    • 28 avril 2017 à 13 h 02 min
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      La galerie m’a fourni de bonnes pistes en me parlant d’Arte Povera XVIIIe et en me disant de chercher du côté du graveur.

      Tu as vu, j’ai réussi à faire un article court, je suis TELLEMENT fière. 🙂

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  • 28 avril 2017 à 13 h 46 min
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    Oh ! Merci ! J’avais déjà trouvé ce coffret très inspirant, je suis ravie d’en savoir plus 😉

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  • 28 avril 2017 à 18 h 05 min
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    Merci pour ce billet. En savoir un peu plus sur les occupations des femmes (aisées) de cette époque est très intéressant, mais se retrouver face à un tel objet est porteur d’émotion… et l’imagination vagabonde.

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    • 28 avril 2017 à 18 h 24 min
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      Oui, hein. Emouvant de se dire que cet objet du quotidien a traversé le temps jusqu’à nous. Qui était-elle ? Quand elle a collé les petits mots d’amour, pensait-elle a quelqu’un ou rêvait-elle ?

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  • 22 janvier 2019 à 18 h 44 min
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    je cherche moi-même des gravures permettant de pratiquer cet « art » sur des objets. Quelqu’un pourrait-il me dire où
    en trouver ? merci

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    • 23 janvier 2019 à 22 h 41 min
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      Bonjour,

      Ce serait un peu dommage de découper d’authentiques estampes du XVIIIe ayant survécu, et ce serait, certainement, extrêmement onéreux.

      Deux options s’offrent à vous : utiliser les bibliothèques numériques (Gallica, Europeana, NewYork Public Library) pour chercher ce type d’estampes numérisées. Faites les ensuite imprimer sur du papier très fin, type papier de soie. Résultat garanti à petit prix !

      Seconde option : acheter en salle des ventes ou en brocante de la « drouille » : des estampes ou des journaux illustrés du XIXe siècle. Ca ne coute pas très cher et ça se prête parfaitement à l’usage. Je faisais ce genre de choses adolescente.

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