Le tir au propulseur, vous avez déjà essayé ? Hé bien, moi oui ! En week-end chez des amis bretons passionnés d’archéologie, je me suis retrouvée à participer à une manche du championnat européen de tir aux armes de jet préhistoriques (oui, oui, ça existe !). Si notre équipe – bien nommée les Paléolooseurs – a fini bonne dernière de tous les classements, nous nous sommes bien amusés ET j’ai enfin compris comment fonctionnait le propulseur préhistorique !

Petite remise en contexte : au Paléolithique (la première et la plus longue période de la Préhistoire), l’Homme commence à concevoir des outils, encore très simples, et à chasser.
Qui dit chasse dit armes. On peut tuer un animal avec un pic, un pieu, dans un combat au corps à corps. Mais tuer une bête en étant physiquement à distance d’elle, c’est quand même plus pratique ! Vers 22 000 avant notre ère, l’homme de Cro-Magnon va mettre au point un outil qui permet de projeter une sorte de lance (la sagaie) à plusieurs dizaines de mètres de distance et avec une force démultipliée : c’est ce qu’on appelle un propulseur.
Le propulseur n’est rien d’autre qu’un bâton avec un crochet, sur lequel reposera la sagaie. Cette dernière mesure un à deux mètres et est composée d’une tige végétale dont l’extrémité présente une pointe. Celle-ci peut être soit directement taillée dans le bois de la sagaie soit rapportée (pointe taillée dans de l’os, du bois de rennes). L’extrémité opposée est légèrement creusée pour épouser le crochet du propulseur.

Le tireur tient fermement en main le propulseur : la sagaie repose en équilibre sur le crochet et sur trois doigts de la main du tireur. Les deux autres doigts la pincent, de manière à ce qu’elle reste droite. Le tireur donne de l’élan à son bras, le projetant de l’arrière vers l’avant. A mi-parcours, ses doigts lâchent la sagaie, qui est propulsée en avant, horizontalement.
L’intérêt du propulseur est qu’il prolonge le bras et démultiplie ainsi la puissance du tir : la sagaie parcours des distances plus importantes qu’un simple trait lancé directement à la main et touche sa cible avec beaucoup plus de puissance (nous en avons logée une dans un arbre, cela n’a pas été évident de la ressortir !).
Avec cette invention, la chasse devient plus efficace mais aussi moins dangereuse, puisque l’Homme se tient à bonne distance de l’animal. D’ailleurs, que chasse-t-on à l’époque en Europe ? Essentiellement du gibier herbivore : des rennes, des bisons, des chevaux, des chamois, des aurochs, des sangliers… L’homme est encore semi-nomade, justement pour suivre les déplacements saisonniers des troupeaux. Outre la viande, les animaux fournissent du cuir, des os, du crin, matériaux qui permettent de fabriquer de nouveaux objets, comme des aiguilles, des vêtements…
Le Paléolithique supérieur est également marqué par l’apparition de pratiques artistiques (musique, peintures pariétales, sculptures)… Pour mieux la situer, l’utilisation du propulseur est contemporaine de la grotte Cosquer et de la grotte de Lascaux, où l’on voit notamment représentées des scènes de chasse.

Si l’Homme développe alors des pratiques artistiques, celles-ci s’expriment aussi sur les propulseurs. Ainsi, on en a retrouvé de richement ornés, sculptés en ronde-bosse. L’un des plus célèbres, trouvé au Mas-d’Azil, en Ariège, est décoré d’un petit faon. Le Musée d’Archéologie nationale, à Saint-Germain-en-Laye, conserve plusieurs fragments de propulseurs sculptés en forme de tête de cheval, un animal particulièrement apprécié, que l’on retrouve également sur les parois des grottes.
L’ornementation soignée de ces objets mobiliers n’est-il pas la marque de la place prédominante du chasseur dans la société d’alors ?
Quoiqu’il en soit, les propulseurs que nous manions à Carnac sont beaucoup plus simples que ceux que l’on peut admirer dans les musées : un simple bâton de bois ou de bambou. Quant à nos sagaies, elles sont réalisées avec des tiges de canne de Provence. Aux pointes en os acéré, on préfère le bois ou la corne simplement taillés, ce qui n’empêche pas le projectile d’être dangereux : attention à bien respecter les consignes de sécurité !
Si mes camarades de l’équipe des Paléolooseurs utilisent tous des propulseurs dit « mâles » conformes à ceux de la Préhistoire, je manipule pour ma part un propulseur « femelle », (en fait un bambou creux) préféré dans les ateliers pédagogiques car plus accessible… Ce qui ne m’empêche pas de rater à tous les coups ma cible ! Car la difficulté pour moi n’est pas tant de viser que de tirer assez fort pour que ma sagaie parcoure la distance nécessaire !

Le championnat est assez bon enfant : sur un terrain boisé, les organisateurs ont disposé dix cibles. Les concurrents sont regroupés par cinq ou six (ce ne sont pas vraiment des équipes puisque le classement est individuel – mais, unis dans notre nullitude mes camarades et moi-même avons adopté le blaze de paléolooseurs). Chaque groupe va de cible en cible en suivant un parcours progressif : plus on avance, plus les cibles sont éloignées ou inaccessibles (en l’air, de biais). Complètement néophyte – et pas très douée – , j’opte rapidement pour les pas de tirs « enfant » systématiquement placés quelques mètres en avant de ceux des adultes, ce qui ne m’empêche pas de rater ma cible, encore et encore ! Et si je finis ma manche avec le remarquable score de 0 points, j’aurai au moins appris une chose : comment fonctionne un propulseur, levant ainsi un mystère technologique qui m’avait taraudée durant toute ma première année de l’école du Louvre. Comme quoi, il n’y a pas mieux que la mise en pratique pour comprendre quelque chose !

Objet emblématique du Paléolithique supérieur, le propulseur disparaît autour de 12 000 avant notre ère : les Cro-Magnon ont mis au point une nouvelle arme, plus efficace encore, car plus précise : l’arc !
Petite note pour ceux qui s’emmêlent les pinceaux dans la chronologie : si notre manche du championnat de tir au propulseur s’est déroulée à Carnac, le propulseur n’est en rien contemporain des alignements de menhirs, et son usage est au contraire antérieur de plusieurs millénaires. Le mégalithisme est un phénomène qui se développe au néolithique, d’environ 5000 à 2000 avant notre ère !
Tentés par l’expérience ? Certains sites d’archéologie proposent des initiations au tir au propulseur dans le cadre d’animations pédagogiques, renseignez-vous ! Sinon, des manches du championnat sont organisées dans toute l’Europe, peut-être y en a-t-il une près de chez vous ?
Pour aller plus loin
- Fiche oeuvre sur le Fragment de propulseur sculpté et gravé de trois têtes de chevaux conservé au Musée d’Archéologie nationale sur le site Panorama de l’art.
- Fiche pédagogique sur le Paléolithique du Musée d’Archéologie nationale.
- Denis Vialou, Chasseurs et artistes. Au coeur de la Préhistoire, Gallimard Découvertes, 1996.
Le plaisir d’apprendre sans se laisser désespérer par l’obstacle la « nullitude » : un message plein d’optimisme et de joie ! Merci, Mademoiselle Joh, pour cet article pédagogique et divertissant.
J’ai fait des progrès depuis les cours de sport du collège 🙂
Sympa,cet article………et les résultats sont normaux, le tir au propu demande un certain entraînement, il faut persévérer.
Il y manque juste le calendrier des manches…………
Voilà: calendrier2017v6.xls
le lien ne fonctionne pas, alors un autre:
http://www.webarcherie.com/index.php?/topic/38190-championnat-2017/&page=4
Nous sommes mordus ! Nous avons promis à nos amis de Bretagne de revenir l’an prochain et nous comptons bien sur eux pour nous entrainer !
Merci de proposer le calendrier des manches. Malheureusement, je ne peux pas le télécharger sur le forum webarcherie car il faut s’inscrire (j’ai atteint le cota de pages lues sans inscription). Est-ce qu’on le trouve sur un site ouvert ? J’ajouterai volontiers le lien dans le corps du billet.
Merci pour cet article !
En plus de la sagaie, on peut également tester l’arc « préhisto », en essayant de retrouver les gestes de fabrication et d’utilisation. Fascinant !
Voir par exemple la thèse de Marie-Hélène Dias-Meirinho.
Je n’ai pas trouvé la place d’en parler dans le billet, mais j’étais très impressionnée d’apprendre que la plupart des compétiteurs fabriquaient eux-mêmes leurs équipements…
J’ai de bons souvenirs, enfant, d’avoir assister à des démonstrations de taille de silex (etc.) dans un site d’interprétation consacré à la préhistoire !
J’avais testé lors d’une colo archéo/préhistoire gamin et j’avais adoré :p par contre impossible de me rappeler combien j’avais réussi à en envoyer dans la cible :p
Surement plus que moi ! 🙂
Très sympa et instructif cet article. Ca ressemble à un jouet qu’on avait pris pour le chien, qui devait justement permettre d’envoyer un projectile plus loin. Je n’ai jamais réussi à le faire fonctionner, et mon chien a trouvé beaucoup plus sympa de mordiller le tout. Je crois que nous n’aurions pas survécu longtemps au paléolithique 🙂
Ahahah ! C’est vrai que ça ressemble un peu aux propulseurs pour chiens 🙂