Les belles fleurs de Pierre-Joseph Redouté

Un parterre de fleurs, toutes plus belles les unes que les autres, voici ce que proposait le Musée de la Vie romantique tout l’été avec l’exposition Pierre-Joseph Redouté, le pouvoir des fleurs.

Pierre-Joseph Redouté, Tableau de fleurs, le fond représente un paysage, 1822, gouache sur vélin, Paris, Centre national des arts plastiques.

Pierre-Joseph Redouté (1759-1840) est un, sinon le plus, fameux peintre de fleurs de la fin du XVIIIe siècle et des premières décennies du XIXe siècle. Il s’est à la fois illustré par ses sérieuses planches botaniques — d’une exactitude remarquable, recherchées des scientifiques — et par ses exubérants bouquets peints, prisés des clientes les plus huppées, à commencer par l’Impératrice Joséphine. Mais Redouté, c’est aussi un extraordinaire fournisseur de modèles dont les dessins vont influencer la création pendant plusieurs décennies.

Scénographie de l’exposition au Musée de la Vie Romantique

L’exposition du Musée de la Vie Romantique s’attachait à traiter ces différents aspects, replaçant Redouté dans le contexte de son époque. L’artiste naît au milieu du XVIIIe siècle, dans les Ardennes Belges. Doué pour le dessin, il fait son apprentissage de peintre de fleurs en Flandres et en Hollande, une terre où s’est épanouie, depuis le XVIIe siècle, une belle tradition de tableaux de bouquets. Redouté s’inspire d’ailleurs directement de cette tradition quand il peint sa Vierge pastourelle, totalement dans l’esprit des Madones entourées de couronnes de fleurs, typiques de la production anversoise du siècle d’or.

Pierre-Joseph Redouté, Vierge pastourelle assise dans une guirlande de fleurs, avant 1783, Huile sur toile, Namur, Hôtel de Groesbeeck-de-Crois, musée des Arts décoratifs.

Pierre-Joseph Redouté, un dessinateur au service de la science

Mais, en cette fin du XVIIIe siècle, le goût pour les plantes s’est transformé : c’est l’âge d’or de la botanique. Les scientifiques s’évertuent à classifier le vivant (et donc les plantes) tandis que les explorateurs rapportent de lointaines contrées des flores jusqu’alors inconnues. L’Europe se couvre de jardins botaniques ; dans les cabinets, on élabore d’immenses herbiers. Curieux de ces avancées, Redouté rencontre à Londres, autour de 1787, des naturalistes, des savants et adhère au système de Linné. On reconnaît vite son talent à tracer des relevés précis des plantes et on l’appelle, à Paris et à Londres, pour dessiner des espèces rares.

François Pascal Simon Gérard, Portrait du peintre P. J. Redouté, Huile sur toile, 1808-1809, Bruxelles, musée royaux des Beaux-Arts.

Précieux vélins de Redouté

Il réalise, brièvement, un an avant la Prise de la Bastille, des vélins destinés à enrichir la collection du Roi. Cela ne semble pas lui porter préjudice pendant la Révolution, et, dès 1793, il est nommé dessinateur pour le Museum : jusqu’à la fin de sa vie, il va produire pour l’institution de superbes vélins. On en compte plus de six cents !

Mais qu’est-ce que cette chose que l’on désigne sous le nom de « vélin » ? Le vélin est un type particulier de parchemin, réalisé dans la fine peau d’un velot (autrement dit d’un veau mort-né). Ce support était très recherché pour sa grande finesse, qui permet une extrême précision du trait peint (à l’encre, à la gouache ou à l’aquarelle). C’est pour ces qualités mécaniques, son caractère lisse et soyeux que ce support a été choisi pour réaliser les planches botaniques, qui exigent une grande minutie du détail. Par extension, on a pris l’habitude d’appeler ces relevés botanique par le nom de leur support, le vélin. Aussi, si quelqu’un vous parle des « Vélins », il y a de grandes chances qu’il veuille évoquer la collection de planches botaniques et zoologiques, les « Vélins du Roi », devenus après la Révolution les « Vélins du Museum d’Histoire naturelle ».

Uniques, précieux, fragiles, ces vélins sont rarement exposés : c’était donc une grande chance que des les admirer au Musée de la Vie romantique, de pouvoir toucher des yeux la délicatesse de leur surface… D’ailleurs, Le pouvoir des fleurs était en vérité trois expositions en une, puisque durant les sept mois de la manifestation, l’accrochage des vélins a été changé à trois reprises pour les préserver. Les amateurs organisés pouvaient donc s’en mettre plein la vue en revenant régulièrement.

Il y avait de quoi être impressionné de la précision des vélins de Redouté, exposé en regard des herbiers qu’il a consultés. Pour la mise en couleurs, on sait que Redouté regardait (à la loupe, voire au microscope !) les spécimens vivants. Sa qualité de coloriste est très admirée, tout comme son talent d’aquarelliste, qui lui permettait de rendre les moindres nuances et détails anatomiques des fleurs.

Le dessin botanique est une chose très sérieuse, menée conjointement par le dessinateur et par un naturaliste, chargé de décrire avec des mots le spécimen et d’apporter son expertise scientifique à l’artiste qu’il dirige. Description et images doivent se répondre, se compléter, afin d’apporter à celui qui les consulte tous les savoirs nécessaires. Normalement, la description scientifique précède toujours le dessin, mais, preuve de son talent, de son engagement et de son savoir-faire, il arrive à Redouté de voir ses relevés précéder les descriptions. Autour de 1798, il orchestre un ouvrage, l’Histoire des Plantes grasses, où il invite un botaniste à décrire les vélins qu’il a déjà peints.

De l’aquarelle à la gravure, Redouté multiplié

Dessiner des vélins, c’est fort bien, très prestigieux et cela fait avancer la science. Mais ces vélins, si précieux, sont des unicats et ceux qui y ont accès sont triés sur le volet. Aussi pour diffuser tout ce savoir en construction, il faut passer par la gravure, reporter le dessin sur le cuivre et en imprimer de multiples exemplaires.

Redouté, Volume des Roses (aussi à feuilleter dans Gallica !)

C’est un exercice auquel Redouté n’a jamais rechigné, conscient de l’importance de la diffusion du savoir scientifique. Il a lui-même appris les techniques de l’estampe et se révèle un graveur remarquable. Mais la gravure est un métier laborieux et lent, or l’artiste doit se concentrer sur ses dessins : il délègue donc l’exécution des matrices gravées à une équipe de graveurs (ils seront jusqu’à dix-huit !). Fort de sa propre expérience dans le métier, il est en mesure de diriger rigoureusement ses interprètes, et c’est probablement là un des secrets de sa réussite. Redouté est le premier a avoir l’idée d’appliquer la technique de la gravure en pointillé aux planches de botanique, ce qui lui permet d’obtenir de beaux résultats, tout en nuances. Par ailleurs, il sait s’entourer des meilleurs imprimeurs, capables d’un encrage à la poupée d’une rare délicatesse. Les planches, une fois imprimées, sont volontiers retouchées à l’aquarelle pour une plus grande exactitude. C’est ce qui explique le prix important de ses recueils, véritables produits de luxe.

S’il atteint une perfection technique inégalée, son grand tort sera de rater le tournant des innovations techniques de la fin du XVIIIe siècle : il ne comprend que trop tard le potentiel de la lithographie dans le monde de l’édition botanique, et ses dernières productions, trop ambitieuses et onéreuses, sont des échecs commerciaux qui le laisseront criblé de dettes.

Pierre-Joseph Redouté, Siegesbeckia flosculosa, 1784, impression sur vélin, aquarelle, Paris, Muséum national d’histoire naturelle.

Pierre-Joseph Redouté au service des artistes

Redouté n’avait pas seulement le désir de servir la science : il souhaitait aussi participer au progrès des arts. Très tôt, Redouté a conscience que ses dessins botaniques pouvaient servir de modèle et d’inspiration aux peintres, aux artisans et à tous les créateurs. La fleur est un motif fort apprécié dans les arts, tout particulièrement dans les dernières décennies du XVIIIe siècle et dans les premières du XIXe siècle.

François-Xavier Fabre, Portrait du jeune Edgar Clarke, 1802, Huile sur toile, Montpellier, Musée Fabre.

Dès la première salle d’exposition en témoignait une célèbre toile, Flore caressée par Zéphyr, du Baron Gérard, datée de 1802. Nue sur son nuage, abandonnée à son plaisir, Flore est entourée de multiples boutons et pétales. Un visiteur, juste à côté de moi, apparemment érudit en botanique, en faisait, à voix basse, l’inventaire à sa compagne. Chaque espèce a sa symbolique, c’est ce qu’on surnomme le « langage des fleurs » très en vogue au début du XIXe siècle.

Répondant au goût de l’élite fortunée, Redouté compose volontiers de beaux bouquets à l’aquarelle, qui s’achètent à prix d’or. Il les expose au Salon : chaque année, une composition de Redouté fleurit sur les cimaises. Joséphine en commande pour orner sa chambre à coucher. Passionnée de botanique, elle est une cliente régulière du peintre et sa disparition, en 1814, laissera l’artiste dans une certaine incertitude économique, d’autant que malgré leur succès, ces compositions florales resteront méprisées des instances artistiques officielles, en vertu de la hiérarchie des genres, qui, depuis le XVIIe siècle, place la nature morte tout en bas de l’échelle.

Redouté au service des arts appliqués

Plus que par ses envois au Salon, c’est par ses contributions aux Arts appliqués que Redouté va assurer la diffusion de ses modèles. Brongniart, qui dirige alors la manufacture de Sèvres, achète à Redouté des modèles de fleurs, qui inspireront de superbes services de table. On retrouve l’écho des roses et autres boutons magnifiques dans mille et une productions de la première moitié du XIXe siècle : céramique, soieries, bijoux mais aussi papiers peints…

Scénographie de l’exposition Redouté au Musée de la vie Romantique

Les artisans, dessinateurs en soieries, peintres sur porcelaines puisent volontiers dans les planches des sérieux recueils botaniques gravés d’après Redouté, qui n’oublie d’ailleurs pas de les citer dans ses introductions. En 1824, il publie même un Choix des quarante plus belles fleurs, tirées du grand ouvrage des Lilacées, pour servir de modèle aux personnes qui se livrent au dessin ou à la peinture des fleurs, aux manufactures d’étoffes, de tapis, de broderie, de porcelaines…

Scénographie de l’exposition Redouté au Musée de la Vie Romantique.

Échos lyonnais

La dernière salle de l’exposition, s’éloignant de Redouté, s’élargissait à l’extraordinaire floraison de l’École Lyonnaise, capitale de la fleur au XIXe siècle. Au lendemain de la Révolution, pour relancer l’industrie soyeuse bien mal en point, Lyon parie sur la formation des dessinateurs de modèle. Une classe de la Fleur est créée. Pour inspirer les élèves et créateurs qui en sortent, le Musée des Beaux-Arts se dote d’un très beau Salon des fleurs, peuplé d’œuvres anciennes et contemporaines, dont la magnifique Jardinière de Simon de Saint-Jean, qui surveillait de son regard doux les visiteurs émerveillés de la profusion de couleurs de la dernière section du parcours d’exposition. Échantillons de soies, de papier peint, dessins, recueils, tableaux : tout l’art des héritiers de Redouté, qui ont continué à fleurir le jardin des arts.

Simon Saint-Jean, La Jardinière, 1837, Huile sur toile, Lyon, Musée des Beaux-Arts.

Redouté au XXIe siècle

Un parcours « création contemporaine » en écho aux fleurs de Redouté et de ses suiveurs, entraînait les visiteurs à travers les collections permanentes du Musée de la Vie Romantique, pour prolonger la découverte. J’ai beaucoup aimé certaines des œuvres exposées, mais n’étant pas spécialiste du sujet, je me contente de partager une petite sélection en images. Un tour sur le blog spécialisé Craftsdigger de ma petite cousine Fanny vous en apprendra certainement plus !

Pour aller plus loin

  • Catalogue de l’exposition : Le pouvoir des fleurs: Pierre-Joseph Redouté (1759-1840), Paris, Paris-musées, 2017, 151 p.
  • Sur Gallica, plusieurs documents :
    • Un accès aux Vélins de Redouté sur la bibliothèque numérique du MNHN. Attention, la résolution peut décevoir, au regard de la qualité des numérisation de Gallica.
    • Pierre-Joseph Redouté et Claude-Antoine Thory, Les Roses, 1817-1824, 3 volumes.
    • François-Richard de Tussac et Pierre-Joseph Redouté, Flore des Antilles, 1808-1827
    • Augustin Pyramus de Candolle et Pierre-Joseph Redouté, Les liliacées1802-1816, 8 volumes.
    • Etienne-Pierre Ventenat et Pierre-Joseph Redouté, Jardin de la Malmaison1803, 2 volumes
    • Le Redouté des dames, ou Abrégé élémentaire du dessin des fleurs, par Jules Dumas, livre de dessin qui se réclame de Redouté et qui témoigne de la diffusion de la pratique du dessin de fleurs chez les jeunes femmes.

3 réflexions sur “ Les belles fleurs de Pierre-Joseph Redouté ”

    • 13 novembre 2017 à 14 h 04 min
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      Très intéressant, merci Jean-Luc ! Au-delà du clin d’oeil au billet du jour, j’aime beaucoup la démarche de cet artiste, c’est vraiment un questionnement qui me parle que celui de l’impact de la recherche Google images. Il y a quelques années Ecribouille avait parlé sur son blog d’un artiste qui voulait éditer un dictionnaire en illustrant chaque mot par la première réponse google image (sans mettre le mot). Je crois que le projet avait avorté à cause des questions de droit.

      La façon dont les artistes s’interrogent sur les moteurs de recherche, la circulation de l’image sur internet, ça m’intéresse beaucoup car ça fait écho à ma propre pratique de la recherche d’images, pour illustrer des billets ou préparer des cours. Certaines oeuvres célèbres n’existent pas sur internet (mon prochain billet parlera d’Hubert Robert et j’ai toutes les peines possibles à trouver des numérisations correctes de ses oeuvres !) ou dans des qualités qui leur portent préjudices. Quand aux oeuvres très célèbres (la Joconde) comment choisir la bonne colorimétrie, être sûr de le pas s’être fait avoir par un détournement, une copie ou un pastiche ?

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