Le oélèbre peintre de ruines Hubert Robert ne s’est pas contenté de représenter de poétiques jardins : il a aussi donné forme dans le réel aux paysages issus de son imaginaire. Hubert Robert, créateur de jardins, paysagiste avant l’heure, voici un pan méconnu de l’œuvre de cet artiste protéiforme… Méconnu, mais plus pour longtemps ! À La Roche-Guyon, une exposition (dont on devine qu’elle fera date) entend lever le voile sur le rôle d’Hubert Robert dans « la fabrique des jardins » des derniers feux du XVIIIe siècle.

La jeunesse d’un peintre
Hubert Robert : voici un des plus fascinants artistes du XVIIIe siècle. On le connaît surtout pour ses vues de ruines, réelles ou fantaisistes. L’homme est né en 1733. Il reçoit une bonne éducation au collège de Navarre. Son goût pour le dessin est remarqué de ses professeurs, ce qui le mène à l’atelier du sculpteur Michel-Ange Slodtz. Pour autant, Hubert Robert n’a pas suivi le classique cursus de formation des artistes. En 1754, son protecteur, le comte de Stainville (futur Duc de Choiseul), l’invite à l’accompagner à Rome, où il a été nommé ambassadeur. Hubert Robert accepte : il va passer onze ans en Italie, dont trois comme pensionnaire à l’Académie de France à Rome. Il n’a pourtant jamais concouru au prix de Rome, qui ouvre normalement le droit à ce séjour. C’est son ami Pierre-Etienne de Stainville qui a joué de ses relations pour lui obtenir cette place surnuméraire. Hubert Robert profite pleinement de ce séjour : il fréquente l’atelier de Panini, un célèbre peintre italien de ruines et celui du non moins célèbre graveur Piranèse. Il se lie d’amitié avec le jeune Fragonard, décoré du Prix de Rome, lui. Ensemble, ils dessinent les monuments et les jardins des environs de Rome. Un répertoire de motifs dans lequel Hubert Robert puisera toute sa vie pour composer ses tableaux, pour enseigner aux élites fortunées l’art du dessin de paysages ou encore pour imaginer des fabriques de jardins.
En 1765, Hubert Robert rentre à Paris : sa réputation de peintre de ruines le précède et il trouve immédiatement place et clientèle à la capitale. Il est reçu à l’Académie comme peintre en architecture et ses tableaux sont toujours favorablement accueillis au Salon.
Hubert Robert et ses amateurs, clients et élèves à la fois
Rapidement, Hubert Robert se constitue un petit cercle de clients fidèles, l’élite aristocratique et cultivée, auprès desquels il joue concomitamment plusieurs rôles : peintre, professeur de dessin, conseiller en aménagement de jardins.
Dans sa clientèle, la famille La Rochefoucauld (qui s’unit à celle des Rohan-Chabot) occupe une place toute particulière. Pour les différents membres de cette famille, il peint de grands paysages — les vues de Normandie pour Dominique de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen ; une vue du château familial de La Roche-Guyon pour la Duchesse d’Enville.
Il est aussi leur professeur de dessin, au sein de « l’académie » réunie autour de la Duchesse de Chabot. L’hiver, on se réunit dans les Salons de l’hôtel particulier parisien, tandis que l’été, les leçons ont volontiers lieu en plein air, dans les jardins du domaine de La Roche-Guyon. Quand il peint le grand paysage figurant la demeure, Hubert Robert ne manque pas de représenter sa distinguée élève, sur le bord de la Seine, en plein exercice.

L’exposition rend compte de cette activité de professeur de dessin en mettant en regard les modèles fournis par l’artiste à ses élèves et les copies réalisées par ces derniers, que l’on désigne sous le nom « d’amateurs ». Il faut l’œil d’un spécialiste pour y déceler des mains, rassembler les copies, les pastiches (souvent conservés dans les collections comme « anonymes »). Le catalogue s’emploie avec pédagogie à expliciter la méthodologie des historiens de l’art et à éclairer le contexte de ces séances de dessins.
Hubert Robert, au cœur de la fabrique du jardin
Ces amateurs, très fortunés, ne veulent pas seulement dessiner une nature idéale : ils souhaitent aussi créer autour d’eux un cadre paysager à la hauteur de ceux imaginés par le peintre dans ses tableaux. Dans les années 1770, influencés par le modèle anglais et le goût pour la nature de l’esprit des Lumières, les aristocrates les plus cultivés rivalisent de créativité (et de moyens) pour aménager d’immenses parcs paysagers : Méréville, Ermenonville, Betz, l’Élysée de Mauperthuis…
Assez logiquement, cette élite, qui a tant rêvé devant les tableaux d’Hubert Robert lui demande conseil pour donner forme à de tels paysages idéaux dans leur environnement réel.
Hubert Robert n’est pas jardinier, mais il s’emploie à façonner des points de vue, des perspectives, dont la succession dessine une promenade. Ici, il imagine une ruine, là un effet de surprise au détour d’un bosquet… Parfois au grand dam des jardiniers chargés des plantations : “Ces jardins sont élaborés sous la direction de M. Robert, l’un des premiers peintres de paysages en France, mais aussi belles que soient ses idées sur la toile, cependant sur le terrain elles sont sans jugement, car il n’est pas étonnant qu’il ne connaisse rien de l’effet des arbres ni de leur couleur après quelques années de pousse. De même ses allées sont tout à fait confuses et tortueuses, et bien qu’il ait planté méthodiquement selon les règles de la peinture, cependant l’ensemble est un vrai fouillis. Cela prouve qu’un grand peintre peut savoir comment reproduire un paysage pour le mieux quand il est terminé, mais la disposition des plantations demande du jugement et de l’expérience.“ écrit l’anglais Thomas Blaikie.

C’est sur ce point que l’exposition entend apporter le plus d’éléments nouveaux en se penchant spécifiquement sur le cas du jardin anglais du château de La Roche-Guyon, trop longtemps oublié et dont l’importance vient tout juste d’être redécouverte.

Le jardin anglais de La Roche Guyon
Proche de la famille de La Rochefoucauld-Rohan-Chabot, Hubert Robert fréquente le site de La Roche-Guyon durant de longues années. Au milieu de la décennie 1760, la Duchesse d’Enville commence à aménager le parc qui jouxte le château. Le chantier paysager se déroule en plusieurs phases entre 1764 et 1791. Chacune correspond à une nouvelle promenade. La Duchesse, a des correspondants à travers le monde entier, qui lui envoient des espèces végétales rares et exotiques. Hubert Robert imagine pour elle des fabriques, des grottes, une cascade, qui sont élevées par l’architecte J. Marc Borel.
Longtemps, le rôle exact d’Hubert Robert dans la conception de ce jardin est resté mal connu, tout juste supposé. De récentes découvertes, de Sarah Catala et Gabriel Wick, les commissaires de l’exposition, éclairent mieux son implication. Les deux chercheurs ont identifié de façon certaine quatre dessins comme des projets pour le parc de La Roche-Guyon. Ils montrent que l’artiste a travaillé à la transformation du donjon médiéval « la tour de Guy » pour en accentuer le caractère de ruines, et… le doter d’un faux portail néo-grec !
Hubert Robert au service du Roi lui-même !
Au-delà du jardin anglais de La Roche-Guyon, Hubert Robert a œuvré pour d’autres commanditaires, dont le roi lui-même. Hubert Robert participe en effet en 1777 à l’aménagement du bosquet des Bains d’Apollon. Sept ans plus tard, il reçoit le titre de dessinateur des jardins du Roi et participe à ce titre au projet de la laiterie de la Reine à Rambouillet.
Autant de projets menés à leur terme ici évoqués par de précieux dessins et un tableau.
Hubert Robert, un acteur majeur de la pensée paysagère du Siècle des Lumières
Hubert Robert œuvre aussi pour le marquis Jean-Joseph de Laborde en concevant plusieurs fabriques pour le parc de Méreville, qu’il immortalise dans de grandes compositions peintes destinées à orner les intérieurs du château et à faire écho aux paysages visibles par les fenêtres de celui-ci.
Par ses tableaux, par ses dessins de fabriques, Hubert Robert est au cœur du petit groupe qui fixa l’idéal du parc paysager des Lumières (Girardin, Watelet, Laborde…). Beaucoup de ces jardins ont disparu aujourd’hui, ou bien ne sont plus que la pâle ombre de ce qu’ils ont été.
Livre, peintures, gravures et descriptions nous en restituent le souvenir, parfois idéalisé. Car s’ils inspiraient les jardins franciliens, les tableaux de Hubert Robert, quand ils représentaient ceux réalisés, ne les rêvaient-ils pas un peu en les embellissant encore ?
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé l’exposition « Hubert Robert et la fabrique des jardins », et ce pour plusieurs raisons : d’abord, parce qu’elle réunissait deux sujets que j’aime particulièrement : l’artiste Hubert Robert et l’art des jardins au Siècle des Lumières. Ensuite, quel bel accrochage, digne des plus grands musées ! Enfin, cette manifestation m’a fait découvrir un lieu que j’ignorais, plein de charme : le château de La Roche-Guyon, qui mériterait bien à lui seul un article tout entier !
Mon billet est loin de restituer tout ce que j’ai pu admirer ou apprendre dans cette exposition, très dense malgré un accrochage relativement succinct (80 œuvres). Je suis encore en train d’explorer le catalogue qui l’accompagne et la prolonge avec beaucoup d’érudition. Nul doute que cela alimentera encore et encore le blog !
Info pratique : le château ne dispose pas de site internet, néanmoins sachez que l’exposition dure jusqu’au 26 novembre 2017.
Pour aller plus loin
- Catala S. et G. Wick (dir.), Hubert Robert et la fabrique des jardins, Paris, France, Réunion des musées nationaux, 2017. Le catalogue de l’exposition.
- Catala S., P. Rosenberg, H. Ferreira-Lopes, et E. Guigon, Les Hubert Robert de Besançon, Milan, Silvana Editoriale, 2013.
- Faroult G. et C. Voiriot (dir.), Hubert Robert, 1733-1808: un peintre visionnaire, Paris, Somogy / Louvre éditions, 2016.
- Catala S., « Dans l’atelier d’Hubert Robert« , Mémoire vive Besançon, site web des institutions patrimoniales de Besançon.
Merci Johanna pour ce billet sur cette belle expo… que j’ai vue in extremis ! J’ai cependant regretté qu’ à certains endroits l’éclairage des dessins soit vraiment insuffisant.
Le lieu est magnifique et mériterait une deuxième visite à la belle saison pour profiter pleinement du potager-verger.
Mes jambes n’ont pas voulu me porter jusqu’en haut du donjon…mais j’ai tout de même réussi à apercevoir (à mi- montée) une partie du point de vue panoramique sur la Seine.
Au plaisir de lire une suite éventuelle sur l’histoire du château 🙂
Bien amicalement Réjane