Poupons de plâtre et de marbre : Jean-Antoine Houdon et ses filles

Dans l’avant-dernier numéro de Grande Galerie, la revue du Louvre, j’ai appris l’acquisition toute récente par le musée d’un buste dû aux mains de Jean-Antoine Houdon, un des plus fameux sculpteurs du XVIIIe siècle. Ce buste vient compléter une série de portraits des proches de l’artiste que j’appréciais déjà tout particulièrement. N’est-ce pas une belle occasion de vous en parler ?

Houdon, Anne-Ange Houdon, marbre, Musée du Louvre

C’est une des plus touchantes vitrines du département des sculptures. Sur une étagère, des poupons joufflus et le visage d’une belle jeune femme. Houdon a modelé dans la terre puis sculpté dans le marbre les portraits de sa femme et de ses filles. Le Louvre possède, des trois sœurs, deux portraits de Sabine, l’aînée. Le premier a été réalisé alors que le bébé n’avait que quelques mois. Le second, alors que Sabine avait 4 ans. Les bustes de Anne-Ange et Claudine, les cadettes, sont conservés dans différentes collections publiques et privées, de par le monde. D’Anne-Ange, le Musée du Louvre n’avait que le plâtre original. L’institution a acquis en mai 2017, lors d’une vente publique, la version sculptée dans le marbre de ce même portrait.

La famille Houdon dans les collections du Louvre

Si ces portraits sont si touchants c’est qu’ils laissent pleinement transparaitre l’amour d’un père, mais aussi parce qu’ils sont parmi les premiers et plus saisissants visages de jeunes enfants sculptés par un artiste.

En effet, longtemps, la figure de l’enfant n’a guère intéressé les artistes. Figure secondaire (à l’exception faite de l’Enfant Jésus), les petits étaient souvent dépeints sous des traits de conventions, comme des types. Dans le portrait peint, réservé aux princes, ils étaient représentés en « adulte miniature », les attributs symboliques indiquant leur rang primant sur les traits singuliers du modèle.

Sabine Houdon à 10 mois, 4 ans et Anne-Ange à 10 mois, plâtres, Musée du Louvre

Au milieu du XVIIIe siècle, dans la suite des publications de Rousseau, un regard nouveau est porté sur l’enfance. Cette image nouvelle se façonne notamment sous le pinceau et le ciseau de l’artiste. Dans la seconde moitié du siècle se multiplient les portraits d’enfants, dans lesquels les artistes s’attachent à transcrire ce qui fait le charme de l’enfance (occupations et émotions innocentes, costumes et jouets) et à saisir la personnalité du modèle.

Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Portrait de Jeanne Julie Louise Le Brun se regardant dans un miroir, 1786, collection privée.

Si les portraits d’enfants deviennent plus fréquents, les portraits de poupons demeurent cependant encore rares. Ceux réalisés par Houdon témoignent d’un réel intérêt pour l’enfant, perçu comme une personnalité autonome, alors même qu’il n’est encore âgé de quelques mois. Preuve supplémentaire de l’attachement de l’artiste à son petit modèle, le marbre de Sabine à l’âge de 10 mois porte une inscription gravée qui identifie précisément le modèle. Or, souvent, ces portraits de tout-petits restent anonymes, voire même n’existent qu’à travers le prétexte d’une narration, comme dans L’enfant à la cage de Pigalle, dont on sait pourtant que le modèle fut probablement le fils de Pâris de Montmartel.

Jean-Baptiste PIGALLE, L’Enfant à la cage, 1749, Marbre, Musée du Louvre

Talentueux pour capter la physionomie de ses modèles et insuffler la vie à ses bustes sculptés, Houdon fut très recherché pour ses portraits. Sur un œuvre de trois cents pièces, on compte près de deux cents portraits différents ! Si la plupart sont des portraits de « Grands Hommes » (dont ses célèbres Portraits de Voltaire) ou de femmes du monde, Houdon n’a pas réservé son talent pour l’intime aux membres de sa famille. Au Louvre, on peut, outre les portraits de Sabine, Anne-Ange et Madame Houdon, admirer deux autres très beaux bustes, ceux de Louise et d’Alexandre, les enfants de l’architecte Brongniart, réalisés en terre cuite. Exposés au Salon de 1777, et très appréciés, ils furent largement reproduits (sans le nom de leurs modèles) en marbre, en bronze, et en biscuit de Sèvres.

Si l’acquisition par le Louvre du portrait d’Anne-Ange est importante, ce n’est pas seulement qu’elle illustre remarquablement l’intérêt nouveau pour l’enfant qui traverse la société dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ce buste, en plâtre, est également un témoignage technique intéressant, qui permet d’évoquer le métier du sculpteur. Houdon réalisait en effet ses sculptures en les modelant d’abord dans la terre. Pour autant, les bustes de Sabine et d’Anne-Ange ne sont pas, contrairement aux bustes des enfants Brongniart, des terres cuites originales, mais des plâtres originaux. C’est qu’Houdon a fait réaliser un moule pour obtenir une épreuve en plâtre. La technique, dite « moule à creux perdu » entraîne la destruction à la fois du modèle en terre et du moule. Ainsi, la terre originale disparue, c’est le plâtre qui fait office d’original. Ce plâtre, ainsi rendu fort précieux, sert ensuite de modèle à l’exécution du marbre. On mesure alors la grande chance, pour les visiteurs du Louvre, de pouvoir admirer, côte à côte, le plâtre original du buste d’Anne-Ange et sa version en marbre !

Le plâtre et le marbre du buste d’Anne-Ange Houdon

Les 5 bustes de la famille Houdon possédés par le Louvre font actuellement l’objet d’une présentation dans la salle d’actualités, à l’entrée du département des sculptures. Ils regagneront prochainement leur place dans la salle consacrée au sculpteur. Non loin, on peut admirer, outre L’enfant à la cage et son pendant la fillette à l’oiseau et à la pomme, d’autres sculptures d’enfants, comme l’adorable Enfant jouant avec son pied de Monot.

Martin-Claude Monot, Enfant jouant avec son pied, plâtre, 1779, Musée du Louvre.

Pour aller plus loin

  • Communiqué de presse annonçant l’acquisition du buste par le Louvre.
  • Valérie ROGER, « Du portrait malgré lui à la grâce intemporelle du visage », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne], mis en ligne le 13 juin 2008, consulté le 24 janvier 2018. URL : http://journals.openedition.org/crcv/3323.
  • Guilhem SCHERF, Houdon 1741-1828 : Sculptures, portraits sculptés…, Paris, Somogy, 2006.

Une réflexion sur “ Poupons de plâtre et de marbre : Jean-Antoine Houdon et ses filles ”

Laisser un commentaire