J’aime énormément le Louvre-Lens et surtout son exposition « semi-permanente », La Galerie du Temps. Elle offre une expérience de visite incomparable, qui permet de redécouvrir les collections et l’histoire du plus célèbre musée du monde sous un autre jour.

Un musée né dans la polémique
Le Louvre-Lens est né dans la polémique, au milieu des années 2000. La création d’antennes de grands musées est alors très à la mode : suivant le modèle du Guggheneim de New York, les établissements culturels les plus prestigieux cherchent à s’exporter sur nouveaux territoires, soit à l’étranger (Louvre Abou-Dhabi, Hermitage’s Room…) soit en région (Centre-Pompidou Metz). Tout le monde a alors en tête ce qu’on surnomme le « miracle Bilbao » ou comment l’implantation d’une antenne du Guggheneim a participé à la renaissance de cette grande ville basque minée par la désindustrialisation. Le musée pourrait être le moteur d’une renaissance économique, touristique, architecturale d’une ville.
Le ministre de la Culture d’alors, Jean-Jacques Aillagon, soutient le projet de créer une antenne dans le Nord de la France : le choix se porte sur Lens, une ville minière qui a, comme Bilbao, beaucoup souffert de la désindustrialisation.

Mais le projet ne remporte pas tous les suffrages dans le milieu culturel : faut-il vraiment s’engager dans de telles dépenses ? Ne vaudrait-il pas mieux encourager les musées locaux, très nombreux sur le territoire (la France compte plus de 1200 musées labellisés) et qui souffrent, pour beaucoup, du manque de moyens ? Le nouvel établissement trouvera-t-il un public suffisant dans son immédiat voisinage ?
Un point, en particulier, crispe le milieu professionnel : peut-on se permettre de laisser partir les œuvres du Louvre ? Cette nouvelle antenne ne risque-t-elle pas de « vider » le musée ? Il y a certes des centaines de milliers d’oeuvres non exposées au Louvre, mais contrairement aux fantasmes de certains, ces artéfacts ne sont pas tous des chefs-d’œuvre : tessons de céramiques, objets de série surtout précieux pour les chercheurs, dessins qui ne peuvent être exposés, peintures d’intérêt moindre pour le public…
Mais ce n’est finalement pas la crainte de priver le public du site parisien de chefs-d’oeuvre qui inquiète, mais plutôt l’idée de faire subir aux oeuvres des déplacements jugés inutiles.

Une œuvre est un objet fragile. Comme une personne âgée, on ne peut se permettre de la déplacer sans raison. Aussi, lorsqu’un prêt est sollicité par un autre musée, les conservateurs évaluent – entre autres critères – la pertinence de cet emprunt. La confrontation de telle toile avec telle autre peinture peut-elle apporter quelque chose à l’histoire de l’art, et donc aux visiteurs ? Il s’agit de ménager nos trésors en ne les soumettant pas à de trop nombreux voyages inutiles, qui pourraient les endommager.

C’est sur cet argument que s’appuient de nombreux professionnels pour s’opposer à certains prêts, à des projets d’antennes ou de réserves externalisées.
A l’époque de la construction du Louvre-Lens, j’étais encore étudiante en histoire de l’art et j’étais très sensible à cet argument (je le suis toujours d’ailleurs). Un autre élément me chiffonnait : j’entendais souvent « cela permettra aux enfants de ce territoire défavorisé d’accéder aux chefs-d’œuvre du Louvre ». L’argument m’énervait à double titre, d’une part parce que s’il résolvait le problème d’accès au Louvre pour les enfants du Nord, il ne rendait en rien service aux élèves de la Creuse, tout aussi éloignés de Paris. Mais pire, il sous-entendait qu’il suffirait d’aller au Louvre-Lens, alors que dans mon idée, l’Éducation nationale devait offrir à chaque élève la chance de découvrir au moins une fois Paris et ses musées durant sa scolarité (je suis quelqu’un de très idéaliste).

Louvre-Lens, vu de Paris
J’ai mis quelques années avant d’aller expérimenter par moi-même le Louvre-Lens. Ce n’est pas l’envie qui m’en manquait, la programmation des expositions étant très alléchante pour un historien de l’art. Mais le prix des billets de train m’arrêtait.
Entre temps, le Louvre-Lens avait fait carton plein : la première année d’ouverture, le public avait été au rendez-vous, plébiscitant l’effet de nouveauté… et la gratuité. Car la galerie du Temps, où est présentée l’exposition permanente est gratuite pour tous. Chaque année, depuis l’inauguration, il est question de faire cesser cette gratuité, qui aurait dû disparaître avec la première bougie du nouvel établissement. Mais le musée risquerait de voir sa fréquentation dramatiquement chuter.
Personnellement, étant pour la gratuité généralisée dans les musées, seul moyen de permettre aux visiteurs de développer une véritable familiarité avec l’institution, je me réjouis de voir la mesure reconduite d’année en année.
Un jour de 2014, de retour de Lille, j’ai donc fait mon premier arrêt à Lens… Pour en prendre plein les yeux ! J’avais passé un long moment à tourner autour du bâtiment (sur lequel je suis mitigée), pour comprendre comment il occupait son environnement. Le Louvre-Lens est en effet implanté sur un ancien puits de mine. Des cités ouvrières longent le parc, depuis lequel on aperçoit deux éléments emblématiques de la ville : son stade et ses terrils.

Le hall du Louvre-Lens est un vaste espace vitré, où l’on trouve un centre de documentation ouvert à tous (mais, paraît-il, les gens n’osent pas), une cafétéria, une boutique et des salles d’accueil. Au sous-sol, une large baie vitrée surplombe les « réserves visitables », un endroit assez étrange au premier abord, conçu à la fois pour le stockage provisoire des oeuvres en transit au Louvre-Lens (entre deux expositions) et pour sa dimension pédagogique. En rendant observables ces réserves, on rend visible le travail des coulisses, celles des conservateurs, des restaurateurs et des régisseurs, sans qui les musées ne fonctionneraient pas.

C’est assez amusant, d’ailleurs, pour un professionnel du patrimoine, que de repérer dans la réserve, ce qui a été placé explicitement à destination des visiteurs : ainsi, plusieurs objets sont tournés de façon à être bien visibles depuis la plateforme, alors que la logique aurait voulu qu’on les place autrement. Cela n’empêche en rien le travail des régisseurs (enfin je crois), mais c’est amusant à observer.
La galerie du Temps, les chefs-d’œuvre du Louvre comme vous ne les avez jamais vus
Si j’ai eu un immense coup de coeur pour le Louvre-Lens, c’est bien à cause de l’espace muséographique de la Galerie du Temps. Une immense halle, baignée d’une belle lumière naturelle, dans laquelle se côtoient des oeuvres de toutes les époques et de toutes les civilisations (enfin, de toutes les civilisations couvertes par le Louvre-mère). Si je trouve l’approche un peu difficile d’accès (le découpage est chronologique et rapproche des oeuvres d’une même période mais produites par des cultures différentes), le résultat visuel est époustouflant. Depuis l’entrée de la galerie, on embrasse du regard les 200 oeuvres exposées. Une belle invitation à la contemplation.

C’est ce qui m’a frappée en visitant la Galerie du Temps : j’ai pu voir certaines œuvres du Louvre comme je ne les avais jamais vues auparavant. Dans le vieux palais parisien, certaines salles, malgré les travaux d’aménagement, n’offrent pas des conditions d’exposition idéales. Un éclairage trop sombre, un reflet malheureux, un accrochage trop haut… voilà ce qui gâche parfois la contemplation d’une belle toile. Au Louvre-Lens, bien au contraire, on jouit d’une proximité immédiate avec les oeuvres et de conditions lumineuses idéales. L’éclairage, zénithal, est homogène et doux. Sur les parois de métal poli, les oeuvres comme les visiteurs se reflètent légèrement , créant une atmosphère très particulière. Cela m’a charmée et j’ai envié ceux, qui, chaque jour, pouvaient profiter de ce spectacle apaisant.


Le rythme du musée
La dernière fois que je suis venue au Louvre-Lens, j’ai passé une bonne partie de ma journée à parcourir les allées du musée. C’est assez amusant d’observer les variations du rythme dans le flot des visiteurs au cours d’une journée de semaine. Le matin, l’exposition était relativement déserte, tandis que la Galerie du temps ressemblait à une fourmilière, de nombreux scolaires étant présents (c’est une part non négligeable du public du musée).

À midi, la galerie se vide et on ne croise plus que quelques touristes. Les Belges sont bien présents, profitant de la proximité de la frontière. À quatorze heures, la galerie retrouve son effervescence, car de nouveaux enfants sont venus remplacer ceux du matin dans leurs activités pédagogiques.

Un peu avant seize heures, le silence se fait dans la grande halle : les élèves sont partis dans les ateliers ou ont rejoint le car qui les ramènera dans leurs établissements. Les visiteurs peuvent alors goûter le plaisir d’avoir les chefs-d’oeuvre presque pour eux seuls. A l’exposition temporaire, en revanche, il y a foule : groupes de retraités, visites guidées, étudiants en vadrouille…

L’une des grandes forces du Louvre-Lens, c’est la présence de la médiation humaine, qui manque cruellement au Louvre parisien. L’audioguide ne coûte que deux petits euros, mettant à la portée de tous les commentaires des conservateurs (car chaque oeuvre est commentée par un membre du personnel scientifique du Louvre… avec un effort de vulgarisation plus ou moins marqué). Dans les salles, on croise de nombreux médiateurs. La plupart accompagnent des groupes, notamment scolaires, mais certains sont là pour proposer des commentaires aux visiteurs individuels. Chaque jour, une visite thématique est proposée : « l’atelier de l’artiste », « Le Louvre sentimental » , « à faune et à flore ». Mais ce que je préfère, ce sont les impromptus, des rendez-vous proposés par les médiateurs plusieurs fois par jour : une oeuvre, un quart d’heure, le regard d’un médiateur. Intimistes, ces courtes présentations sont souvent l’occasion d’un dialogue, puisque le format se prête aisément aux questions des visiteurs !

Et vous, avez-vous fait l’expérience du Louvre-Lens ? Qu’en avez-vous pensé ?