Si vous fréquentez les bibliothèques patrimoniales ou les expositions, que vous lisez des livres consacrés aux dessins ou aux estampes, vous avez peut-être déjà croisé ce terme « recueil factice ». Mais qu’est-ce que cela signifie ? Qu’entendent les spécialistes par « recueil factice » ? Quelques explications.
Une définition du recueil factice
Un recueil factice est un ensemble constitué d’éléments qui n’étaient originellement pas destinés à se trouver ainsi regroupés. En d’autres termes, c’est un ensemble (volume, album) constitué artificiellement par le possesseur de ces documents, qu’il soit collectionneur ou bibliothécaire. Le Trésor de la langue française le définit comme un « recueil composé de pièces diverses, traitant généralement du même sujet et présentées sous la même reliure » .
Prenons l’exemple d’un collectionneur d’estampes : il rassemble des épreuves d’un graveur et souhaite les conserver ensemble. Il fait relier ces feuilles en volume, qu’il peut doter d’une page de titre ou d’une reliure à ses armes. Il a constitué un recueil factice, plus facile à consulter que des feuilles volantes. A la reliure, certains préfèrent le collage des diverses épreuves sur les pages d’un album vierge.
Dans le domaine de l’estampe, on oppose un recueil d’estampes édité et commercialisé comme tel (recueils gravés comme produits éditoriaux) aux recueils constitués a posteriori par leur possesseur qui sont donc qualifiés de factices.
Pour le dessin, on appellera recueil factice un recueil de dessins qui n’est pas constitué par l’artiste lui-même. Ainsi, si un peintre dessine sur un cahier, on parlera d’album “vrai”. En revanche, c’est un autre qui constitue un ensemble, à posteriori, par collage des feuilles sur un album, on parlera de recueil factice.

Le terme de recueil factice se retrouve aussi en bibliophilie, comme l’explique BiblioMab dans un billet consacré aux recueils factices de théâtre : sous l’Ancien régime et au XIXe siècle, les textes des pièces de théâtre étaient vendus lors des représentations mêmes. Ces textes se présentaient sous forme de petits cahiers, à la couverture souple (appelée « reliure d’attente »).
Le client peut, selon ses exigences et ses moyens, garder les cahiers comme tels ou bien les faire relier. Mais pour que l’opération ne coûte pas trop cher, mieux vaut-il relier ensemble plusieurs cahiers : c’est ainsi qu’au gré du goût du possesseur se constituent des recueils factices assemblant plusieurs textes. Chaque recueil est ainsi unique. Et, pour s’y retrouver, on pouvait lister sur la reliure les textes contenus ou bien rédiger une table des matières manuscrite.

Les recueils factices ou le casse-tête des bibliothécaires
Dans les bibliothèques, ces recueils factices d’estampes, si nombreux, sont un véritable casse-tête : doit-on les ranger avec les livres, dont ils ont l’aspect, ou avec les images, en accord avec ce qu’ils contiennent ? Et comment les cataloguer ? Chaque recueil factice est un assemblage unique ! Faut-il tout décrire à la pièce, c’est à dire estampe par estampe ? Mais dès lors, comment bien faire comprendre au lecteur qui consulte le catalogue qu’il s’agit d’une pièce solidaire d’un ensemble ?
Autant de questions très techniques que se posent les personnels de conservation. Astrid Mallick a ainsi consacré un très intéressant et pointu article au traitement des recueils d’estampes conservés à la Bibliothèque Stanislas de Nancy. Vous pourrez le lire sur le blog Epitome.

Les mêmes questionnements se posent pour les recueils factices de textes, surtout si l’ancien possesseur a eu la curieuse idée d’assembler des textes qui n’ont rien à voir les uns avec les autres !
Défaire les recueils factices ?
Il arrive aujourd’hui que l’on défasse ces recueils factices d’estampes et de dessins, souvent pour des raisons de conservation. Par exemple, si le montage (la façon dont les dessins ou les estampes sont collés) nuit à l’intégrité des oeuvres : c’est notamment le cas quand le papier employé comme support est acide (il risque alors d’endommager la feuille) ou encore quand la constitution du recueil a entraîné des pliures dans les dessins ou dans les estampes, qui à force d’être manipulées, menacent de se déchirer.

C’est ce qui s’est passé au Louvre avec le recueil factice des dessins d’Israël Silvestre, démonté de façon à conserver les feuilles isolément et en assurer ainsi une meilleure conservation.
Ce genre de démontage apporte parfois son lot de surprise : en décollant un dessin, on découvre au dos une esquisse inédite, pour la plus grande joie des chercheurs. Bien sûr, de telles opérations ne doivent pas être entreprises à la légère et ces manipulations, très délicates et exigeantes nécessitent tout le savoir-faire de restaurateurs qualifiés.
Mais démonter un recueil factice, c’est aussi prendre le risque de faire disparaître un pan d’histoire, celle du goût, des pratiques de collectionnisme. La façon dont les œuvres sont agencées au sein du recueil, les éventuelles annotations marginales, les montages eux-mêmes sont autant d’indices qui racontent l’histoire matérielle des oeuvres et celle de leur réception.

L’annotation trahit une attribution ancienne erronée ; telle graphie singulière se reconnaît entre mille comme la signature de tel collectionneur ; un montage sur papier bleu orné de filets noirs et dorés témoigne de l’influence de Pierre-Jean Mariette dans le goût pour les arts graphiques ; l’ordre d’assemblage des pièces délivre mille petits indices sur la façon dont celles-ci étaient perçues par leur possesseur…
L’étude des montages peut ainsi permettre, dans certains cas, d’identifier une appartenance, une provenance, ou plus simplement, de dater un recueil.

Aussi, les institutions peuvent être réticentes à démanteler de tels recueils, et, bien souvent aujourd’hui, une commission d’experts (chercheurs, conservateurs, restaurateurs) se réunit pour statuer sur ce qu’il faut faire : démonter ou non, après évaluation de l’intérêt du recueil factice et de l’état de conservation des feuilles.
Si c’est finalement le démontage qui est préconisé, il faut alors soigneusement documenter l’état du recueil avant l’opération, afin de garder trace et de ne rien perdre du précieux témoignage que cela apportait sur l’histoire des oeuvres.

Dans le cas du recueil factice d’Israël Silvestre que possédait le Louvre, une campagne photographique a permis de garder l’image de l’aspect originel de l’agencement. Ici, chaque dessin était d’abord collé sur une feuille de support bleue, à son tour collée sur les pages de l’album factice. Tous ces vestiges ont été précieusement collectés. Le recueil démonté, dépouillé, peut ainsi être conservé à part, vide des dessins mais pas de ses montages, dans une boîte dédiée, et l’on peut même imaginer l’exposer tel quel !
Je remercie Astrid Mallick (Bibliothèque Stanislas à Nancy) et Juliette Trey (Musée du Louvre) pour les échanges que nous avons eu autour de ce billet, pour les conseils, photographies et compléments qu’elles m’ont fournis.
Je ne connaissais pas du tout. Merci pour cette découverte !
Très intéressant. J’ignorais cette pratique consistant à démonter des recueils pour mieux les conserver. C’est hyper-pointu comme technique!
C’est vraiment de la saleté ces recueils factices. C’est pas au niveau des périodiques en terme d’emmerdement, mais c’est pas loin !
Et le pire, c’est que à chaque fois que j’entends parler de recueil factice, ça me colle « Police Milice » de Trust dans la tête pour la journée… « Police Milice Tout est factice »
https://www.youtube.com/watch?v=Zitd-9DeDUo