Jardins ! La nature domestiquée et exposée

La saison dernière, j’ai vu deux fois l’exposition « Jardins » au Grand Palais, qui s’est achevée le 24 juillet 2017. J’avais envie de vous en parler, car c’était un événement que j’attendais avec impatience : comment traiter d’un tel sujet, comment mettre le jardin en exposition ?

Etienne Allegrain, Vue cavalière du château et du parc de Saint-Cloud, 1676-1677, huile sur toile, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et Trianon.

« Jardins » m’a à la fois séduite et déçue. Déçue parce qu’il y avait peu d’explications : beaucoup d’oeuvres m’ont interpellée, intriguée, charmée et j’ai été bien frustrée de ne pas trouver d’explications les concernant (il n’y avait AUCUN texte de salle). Séduite parce que l’accrochage était beau, rythmé, rassasiant : beaucoup d’oeuvres, un parcours plein de surprises et de jeux d’échos… le manque de médiation écrite était alors largement compensé par la richesse des oeuvres.

Antoine Ignace Melling, Le château de Ris-Orangis, aquarelle, 1811, Sceaux. (détail)

Le présent billet est donc le compte rendu de ma visite et de ma plongée dans le catalogue (que j’aimerais bien me procurer !) et vise moins à l’exhaustivité qu’à fixer les souvenirs que je souhaite garder de cette production.

Visiter l’exposition « Jardins », ce n’était pas pénétrer dans une exposition linéaire : le parcours avait été conçu comme une promenade qui mêlait habilement oeuvres anciennes et créations contemporaines. Dès le seuil, le ton était donné : spectaculaire. La première oeuvre qui accueillait les visiteurs n’était autre qu’une des fresques détachées d’une des maisons de Pompéi, la maison du bracelet d’or (35 ap. J-C.) : un luxuriant et délicat jardin peuplé d’oiseaux : que d’émotions de contempler ici, en plein cœur de Paris, un tel trésor.

L’oeuvre qui voisinait cette spectaculaire fresque était beaucoup plus discrète, mais pas moins remarquable : un dessin à la plume de Dürer, délicatement mis en couleur, que j’ai longuement et avec délice contemplé…

Leur faisaient face deux œuvres contemporaines dont une œuvre de Pénone.

Ensuite, le visiteur était invité à contempler un jardin « minimaliste » : un alignement de petits carrés de papiers de soie sur lesquels étaient posés des tas de terre formant un joli échantillon de couleur. L’effet était plaisant, et la démarche de l’artiste intéressante : Koîchi Kurita constitue depuis trente années une bibliothèque de terre, d’abord au Japon, puis à travers le monde. En 2017, il a parcouru les XX kilomètres du cours de la Loire pour collecter ces centaines d’échantillons de terre, ensuite disposés dans l’installation. À travers ces quelques kilos de terre, c’est tout un pan de notre géographie, de la géologie et de l’écosystème d’un des trésors naturels français qui est résumé. Cela m’a saisie. Lequel de ces carrés de terre correspond aux environs de Saumur, où j’ai tant de souvenirs ?

Koîchi Kurita, Soil Library, Loire, 400 terres sur papier japonais, 2017, collection de l’artiste.

Le jardin comme science botanique

La section suivante était consacrée au Jardin botanique : il y avait beaucoup d’artéfacts exposés et il sera difficile de tous les lister ici. Le muséum avait prêté plusieurs herbiers : ils me font l’effet de « Memento Mori ». Je suis fascinée par la sauvegarde de ces plantes séchées, qui traversent les siècles tandis que ceux qui les ont collectés sont depuis longtemps tombés en poussière et que l’on a parfois – souvent – oublié leur nom et leur histoire. D’ailleurs, j’aurais beaucoup aimé connaître l’histoire derrière l’herbier des tranchées dont on devine, rien qu’au titre, l’histoire tragique qui se niche derrière les fleurs qui le composent.
Si le cartel ne révélait rien de son histoire, le catalogue m’a renseignée : il est l’œuvre de Louise Gailleton, qui fut marraine de guerre d’une vingtaine de soldats qui lui adressaient les fleurs qu’ils collectaient. Elle a soigneusement disposé les plantes, les accompagnant des initiales de ses correspondants et du nom du lieu de collecte (Verdun, Chemin des Dames)…

Louise Gailleton, Herbier dit des tranchées, 1914-1918, Muséum d’histoire naturelle, Paris.

Mais le propos était surtout de montrer comment l’homme avait appréhendé la nature, cherché à embrasser et classer la diversité des espèces, comprendre le développement et la reproduction des plantes. Il y avait de magnifiques vélins du Museum (peintures sur parchemin en peau de veau mort-né), des tentatives de « photographies des plantes » par impression d’empreinte sous presse comme pour une estampe, par exposition directe sur négatif, par macrophotographie… J’ai regardé avec fascination les films anciens montrant en accéléré le développement d’une plante.

Approche scientifique, mais aussi artistique : le Grand Palais exposait quelques-unes des magnifiques photographies de Karl Blossfeldt, pionnier de la nouvelle objectivité en photo. Ces photos, mettant en avant la structure des plantes, pouvaient fournir autant de sources d’inspiration pour les artistes.

Karl Blossfeldt, plantes, photographies, vers 1928, Cologne

Dans cette section, on trouvait également des collections : une xylothèque (bibliothèque d’échantillons de bois), assez émouvante d’ailleurs puisque son concepteur, Carl Schildbach avait fait tailler dans un tronc de chaque espèce une boite, laquelle contenait des échantillons de feuilles, de branches et de fruits dudit arbre.

L’enseignement de la botanique était évoqué par des papiers machés du Docteur Auzoux, un normand qui fit fortune en produisant au XIXe siècle de tels modèles. Les exemplaires exposés provenaient du musée de l’Éducation de Rouen, qui en possède une belle collection (qui fera bientôt l’objet d’une exposition et pour laquelle un crowdfunding en vue d’une restauration a été lancé).

La fin de cette section proposait des oeuvres à la limite entre érudition botanique et pure délectation comme ce superbe bouquet en porcelaine tendre de Vincennes, fragile trésor de virtuosité technique : chaque pétale a été façonné en céramique et peint à la main !

J’ai savouré de pouvoir contempler dans des conditions d’éclairage optimum un tableau des Arts décoratifs que j’adore, un inventaire de botanique, chacune sagement légendée par le peintre. Il y a là des espèces bulbeuses rares et onéreuses, typiques des jardins de prestige de la seconde moitié du XVIe siècle. Je me promets depuis longtemps de lui consacrer un billet…

Dans la cabane du jardinier

Nous voici presque à mi-parcours de l’exposition : la salle intitulée « Jardinier » avec sa profusion d’artéfacts, était une belle récréation pour le visiteur. Au fond, la tête rubiconde et bougonne d’un vieux jardinier peint par Émile Claus, qui je dois l’avouer, est un peu effrayant : drôle d’idée, d’ailleurs, que de l’avoir utilisé pour la com’ de l’exposition !
Tout autour, une impressionnante collection d’outils anciens : échelles, arrosoirs, sécateurs, serpes, scies…

Un chouette petit tableau de Pieter Brueghel le Jeune, intitulé Allégorie du Printemps, montrait quelques-uns de ces outils en contexte d’utilisation : une foule de jardiniers et jardinières œuvraient à la réalisation de massifs de tulipes, sous la surveillance de la maîtresse de maison. À l’arrière-plan, d’autres personnages s’affairaient à la tonte des moutons tandis que perchés sur des échelles, deux hommes s’évertuaient à maintenir une plante grimpante sur la structure d’une tonnelle. Charmante scène, pleine de vie !

Pierre Brueghel le Jeune, Allégorie du Printemps, début XVIIe siècle, Lille, Palais des Beaux-Arts

Dans des vitrines, étaient exposés quelques traités de jardinage : comment tailler des arbustes, comment planter un potager. J’ai retrouvé avec plaisir les guides illustrés des jardins remarquables de l’Europe des premières années du XIXe siècle. Je me souviens d’en avoir manipulé quand je travaillais à la BNF (ils sont maintenant sur Gallica). Certains de ces ouvrages sont des ancêtres du pop-up avec des languettes à soulever qui cachent un autre aspect du paysage : derrière le bosquet se dévoile un château ou un étang. Je crois me souvenir que certaines des oeuvres exposées présentaient les mêmes découpures, mais ce que dissimulait le mécanisme de papier n’était pas révélé.

Humphrey Repton, Croquis et conseils sur l’art du paysage, papier, 1794, Arts décoratifs.

La salle suivante montrait quelques oeuvres modernes, dont de grands panneaux de Matisse.

Promenade imaginaire d’allées en bosquets

L’exposition se poursuivait à l’étage inférieur, dans une grande et longue salle qui s’intitulait « allées et bosquets » et qui présentait une impressionnante accumulation d’oeuvres et de documents – essentiellement des représentations de jardins du XVIIIe siècle, mais pas seulement.

Une allée de plans à l’exposition Jardins.

« Allées » mettait en regard des photographies de jardins (à gauche), des plans et vues historiques dessinées ou gravées de jardins anciens (à droite). L’ensemble était impressionnant, mais il était regrettable qu’il soit si malaisé de relier les cartels aux oeuvres correspondantes. J’ai retenu un plan du labyrinthe de Versailles (un sujet qui traîne dans la to-do-list des billets de blog à écrire depuis des années), un autre du Jardin des Buttes-Chaumont, si familier des Parisiens. Une petite vue du château de Ris-Orangis nous montrait un dessinateur, perché sur une échelle, affairé à relever la topographie des lieux…

Après avoir rêvé en plan et en vues cavalières, « Bosquets » nous promenait de jardin en jardin, au rythme de peintures signées Watteau, Fragonard, Hubert Robert ou Monet.

Jean Antoine Watteau, Assemblée dans un parc, vers 1716-1717, Paris, Musée du Louvre.

Bien que je l’ai vu mille et une fois, le Déjeuner de Monet m’a, dans ce contexte, touchée comme jamais : qu’il est facile de se projeter dans ce tableau, de s’imaginer à la place du peintre, dans la chaleur de l’été, protégé par l’ombre d’un arbre. Le thé est abandonné, les femmes sont parties admirer les fleurs, reste simplement l’enfant, tellement absorbé dans son jeu qu’il n’en a même pas remarqué que les adultes l’avaient abandonné. D’ailleurs, à quoi joue-t-il cet enfant ? On dirait bien que les Kapla ne datent pas d’hier !

Si le tableau de Monet m’a procuré cette joie simple d’une scène presque familière, ce sont les tableaux d’Hubert Robert et de ses suiveurs qui ont le plus fait fonctionner mon imaginaire. J’ai découvert une belle peinture de Jean-Pierre Louis Laurent Houël (un Rouennais !) représentant le Jardin des Plantes tel qu’il était en 1800, dominé par la silhouette d’un cèdre du Liban, alors une espèce encore rare (voir mon billet à ce propos).

Jean-Pierre Louis Laurent Houël, Le Cèdre du Liban au Jardin des plantes, 1800, Paris, Musée Carnavalet.

Aux côtés d’Hubert Robert, je me suis laissée rêvér à une promenade, forcément imaginaire, dans un des jardins mythiques de Paris, depuis longtemps disparu : celui du musée des Monuments français, à l’emplacement de l’actuelle École des Beaux-Arts, où Alexandre Lenoir avait rassemblé tombeaux et sculptures emblématiques de l’art français. (Encore un sujet en attente dans la longue liste de ceux que je voudrais traiter ici !)

Grâce à un tableau de Carmontrelle, le visiteur pouvait admirer le parc Monceau au moment de sa création, dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Au milieu des fabriques et folies, les jardiniers sont au travail, bêchant, poussant des brouettes, installant des arbustes. Est-ce le duc de Chartres, commanditaire de ce jardin que l’on voit discuter avec un homme, probablement le peintre lui-même, chargé de l’aménagement des promenades ?

Une alcôve était consacrée au labyrinthe de Versailles, que j’évoquais un peu plus haut. Ce labyrinthe végétal, sur le thème des fables, était orné de fontaines en plomb illustrant les plus célèbres de ces textes. Aux plans (où l’on voyait distinctement le tracé des canalisations faisait écho une gouache montrant l’entrée (superbe !) du labyrinthe. Versailles avait également prêté une pièce de plomb en forme de singe, qui prenait place dans l’une des scènes du labyrinthe.

Autre lieux fabuleux aujourd’hui disparu, la grotte en céramique créée par Bernard Palissy pour Marie de Médicis aux Tuileries, dans l’esprit des grotesques si prisées en Italie et en Allemagne. De cette grotte artificielle en coquillage et peuplée d’animaux de céramique, il ne reste aujourd’hui plus rien, sinon quelques fragments rejetés par le sol lors de fouilles archéologiques.

Bernard Palissy, fragment de céramique ornant la grotte rustique du jardin des Tuileries, XVIIe siècle, Palais du Louvre

Tout au bout de la galerie, un clapotis : Othoniel avait installé là une de ses créations, une fontaine merveilleuse en briques de verre.

Jean-Michel Othoniel, Grotta Azzurra, verre soufflé, 2017, collection de l’artiste

Belvédère sur châteaux et jardins disparus

De l’ombre des bosquets, l’on passait aux belvédères : encore une salle spectaculaire ! De Versailles et d’autres châteaux européens, avaient été ramenées de grandes toiles figurants, en vues cavalières, les plus magnifiques jardins et châteaux… J’ai adoré cet ensemble, qu’il était interdit de photographier (pourquoi ? la politique photo au sein de cette exposition était incompréhensible : on pouvait à loisir mitrailler des oeuvres contemporaines, mais les antiquités provenant de Versailles et de Rouen, pourtant collections publiques, faisaient l’objet d’interdiction et de remontrances sévères pour les contrevenants).

Salle « Belvédère »

Peu d’explications encore sur ces grandes toiles, dont on devine qu’elles résultent d’une commande royale, dans la suite des vues cavalières qui ornent la galerie des Cerfs à Fontainebleau et qui représentent les maisons royales et leurs forêts tels qu’ils étaient dans les premières décennies du XVIIe siècle.

Promenade avec les peintres

Après le belvédère, retour à la promenade parmi les fleurs : de la salle suivante qui rassemblait des oeuvres des peintres de la seconde moitié du XIXe siècle, je me souviens avoir admiré les panneaux de Caillebotte ornés de marguerites, qui décoraient une salle à manger, le champ de pommiers signé Klimt (musée d’Orsay).

Un peu plus loin, quelques clichés dus à ce cher Eugène Atget nous entraînaient dans une nostalgique promenade au parc de Sceaux, qui, dans les années 1920 souffrait d’un semi-abandon : belles et mélancoliques images d’un jardin endormi.

De la dernière salle, je ne me souviens de rien, sinon du fascinant tableau de Redon (mais quelle peinture de Redon n’est pas fascinante ?)…

Un Redon… dont j’ai oublié de noter le titre !

Comme les jardins qu’elle racontait, l’exposition du Grand Palais était foisonnante, colorée, riche. Ce billet, malgré sa longueur, est loin d’en avoir fait le tour. Mais vous l’avez compris, j’ai pu y voir et y revoir beaucoup d’œuvres que j’apprécie et à propos desquelles je me promets depuis que le blog existe de publier des billets. Soyons patients !

10 réflexions sur “ Jardins ! La nature domestiquée et exposée ”

  • 19 septembre 2017 à 17 h 02 min
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    Bonjour
    Sauriez-vous me dire comment je peux voir la signature de la sœur de Berthe Morizot ?
    Je sais qu’elle peignait aussi , avant de se marier.
    Merci de votre aide et pour ce superbe blog.

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    • 30 septembre 2017 à 12 h 25 min
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      Chère Elisabeth ! J’ignorais tout de Edma Morisot : je suis heureuse de la découvrir. Merci à David pour le lien de la fiche wikipédia. Malheureusement je ne sais pas comment trouver la signature de Berthe Morisot à moins de regarder sur un tableau d’elle. Peut-être trouverez vous cette information dans un bon catalogue d’exposition ou dans le catalogue raisonné des oeuvres de sa célèbre soeur.

      A l’INHA, il y a un fonds « d’autographes », c’est-à-dire de documents (essentiellement des lettres) de la main d’artistes / marchands / collectionneurs. Il faut voir si un dossier existe pour elle. Cherchez « autographes Institut national d’Histoire de l’Art » dans votre moteur de recherche, vous tomberez forcément sur la base.

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  • 19 septembre 2017 à 22 h 49 min
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    « le catalogue (que j’aimerais bien me procurer !) »
    Marco, bouquiniste à Pont-Marie, pile dans la perspective de la rue Geoffroy-l’Asnier, a peut-être encore un exemplaire, ou son voisin Horacio, près de l’arrêt de bus.
    Probablement 30 au lieu de 49.

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  • 19 septembre 2017 à 22 h 56 min
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    Titre du Redon: La Branche fleurie jaune, 1900-1901, du musée d’Orsay.

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    • 30 septembre 2017 à 12 h 31 min
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      Merci beaucoup ! Pour l’adresse du bouquiniste et pour le titre du Redon, que je vais corriger de ce pas !

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  • 22 septembre 2017 à 11 h 47 min
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    Merci pour ce billet récapitulatif très complet, mais qui a en effet le mérite de mettre un peu d’ordre et de perspective dans la foison de choses et d’oeuvres présentées.

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    • 30 septembre 2017 à 12 h 33 min
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      Merci 🙂 Je suis contente qu’il vous plaise, car j’ai vraiment eu plaisir à l’écrire, j’ai eu l’impression de revisiter l’expo une troisième fois !
      J’avais cependant un peu peur d’être lassante et maladroite, à raconter de manière linéaire la succession des salles : je me réjouis que quelques lecteurs m’aient suivie jusqu’au bout 🙂

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  • 23 septembre 2017 à 16 h 29 min
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    Ah oui cette expo avait des objets magnifiques et tellement intéressants. Il y aurait eu tellement à dire (les herbiers sont souvent une occupation de femmes apparemment et les moulages étaient fabuleux). Le seul texte pertinent de l’expo était la citation de Des Esseintes et de Huysmans au dessus des fleurs-bijoux. Pour le reste, le néant.

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    • 30 septembre 2017 à 12 h 42 min
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      Oh, j’ai raté la citation ! Souvent, c’est en haut des cimaises et je les zappe… y’aurait un mémoire de muséologie à faire sur les citations dans les expo !

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