Comment, au cours des siècles, a-t-on portraituré les architectes ? C’était le sujet (un peu austère, mais passionnant) de l’exposition estivale de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, que j’ai vue in extremis à la fin du mois d’août, juste avant qu’elle ne se termine.

La représentation de l’architecte : voilà un sujet pour me plaire. J’ai en tête les beaux portraits peints du XVIIe siècle, avec leurs étalages d’outils et de références artistiques témoignant du métier et du goût de leur modèle. Je pense — évidemment — aux gravures qui diffusèrent en nombre ces effigies.

Mais voilà, je ne peux cacher que j’ai été un peu déçue par l’exposition « L’architecte. Portraits et Clichés ». de la Cité de l’Architecture. C’est un reproche que je fais fréquemment aux productions de cette institution : trop. Trop d’artéfacts, trop de sections, trop de textes… et un parcours somme toute un peu monotone : « le portrait de l’architecte », présenté dans un strict ordre chronologique ; « l’architecte au travail » ; « l’architecte à la une » qui traitait autant de sa représentation dans la presse que dans la culture populaire (timbre, jeux de société, cinéma).

Si j’ai été déçue, j’ai tout de même eu un certain intérêt à lire les textes de salle et à admirer certains artéfacts : de beaux portraits peints, l’émouvant « nécessaire de travail » de ce cher Henri Labrouste…
Figures et portraits de l’Architecte, de l’Antiquité à nos jours
L’exposition commençait par une évocation des temps anciens : un clou de fondation provenant de Suse, une statuette égyptienne. En Occident, c’est à la fin du Moyen-Age que l’on commence, timidement, à retenir le nom des architectes et maîtres d’œuvre des édifices religieux : Eudes de Metz, Guillaume de Sens, Hubert Libergier… Ce dernier est d’ailleurs représenté, sur sa dalle funéraire, tenant dans la main une maquette de son œuvre, Saint-Nicaise de Reims. Son métier est évoqué par ses outils, l’équerre et le compas.

La Renaissance marque un tournant décisif dans le métier de l’architecte et, par conséquent, dans sa façon d’être représenté et de se représenter. Le livre occupe une place nouvelle dans l’architecture : le traité de Vitruve, héritage de l’antiquité romaine, est redécouvert et réédité. Sa diffusion et les émules qu’il inspire font entrer l’art de bâtir dans le cercle fermé des arts savants, libéraux.
Fiers de leurs ouvrages de papier, ces architectes savants ne dédaignent pas d’insérer leur portrait gravé en frontispice de leurs ouvrages : c’est ainsi que Vignole accueille son lecteur au seuil du sien en 1562. Plus que la peinture ou la sculpture, c’est bien la gravure qui va diffuser la figure des plus fameux architectes.

L’exposition s’évertuait à détailler, siècle par siècle, toutes les mutations que connaît le « portrait d’architecte » : comment, du XVIIe au XIXe siècle, il se fait représenter en notable, abandonnant progressivement ses outils, qui permettaient pourtant de reconnaître du premier coup d’œil son métier.

J’aime ces portraits de l’époque moderne, avec leur jeu de références à décoder. Ce tas de livres derrière Claude Perrault, c’est une allusion aux volumes du traité de Vitruve qu’il a traduit en français. Jacques Lemercier pose fièrement devant une de ses œuvres, la chapelle de la Sorbonne : dans sa main, il tient un rouleau dont on devine qu’il contient les plans d‘un monument. Plus loin, on voyait Soufflot, l’outil à la main, traçant l’élévation de Sainte-Geneviève, futur Panthéon.
À l’entrée de l’exposition, les scénographes ont eu l’heureuse idée de placer des reproductions de détails de tous ces tableaux : les mains de nos architectes, formant une belle typologie. Je n’ai pas résisté au plaisir de reproduire l’idée ci-dessous.
Portraits peints, mais aussi portraits sculptés : plusieurs étaient exposés, mais le plus spectaculaire d’entre eux est sans aucun doute celui de Jules Hardouin-Mansart, sculpté par Lemoyne. Déjà parce que l’œuvre est belle, mais aussi parce que ce n’est pas l’original que l’on présentait mais un moulage, lequel est accompagné de son moule, qui en permet la reproduction et la diffusion.

La section suivante comprenait une belle sélection de portraits d’architectes célèbres du XIX siècle, de Percier à Laloux (l’architecte de la gare d’Orsay, aujourd’hui Musée) en passant par Baltard, Vaudoyer, Labrouste et Charles Garnier. Charles Garnier, auteur de l’Opéra de Paris, qui fut en son temps une véritable star : sur la cimaise, s’alignait plusieurs fois sa figure, peinte, caricaturée, photographiée. Son habit simple et ses cheveux indisciplinés lui donnent un air sympathique, moins froid que beaucoup de ses sérieux collègues.
De la première moitié du XXe siècle, plus que les peintures, j’ai retenu les portraits sculptés de Chana Orloff. Depuis l’après-guerre, le portrait d’architecte est plus souvent photographié que peint : les dernières cimaises faisaient la part belle aux clichés en noir et blanc, mais évoquaient aussi le look et l’architecte star réduit à un accessoire caractéristique, comme Le Corbusier, dont une vitrine présentait, telles des reliques, la collection de lunettes, rondes, cerclées de noir.
L’architecte au travail, l’architecte sur le chantier ?
Après cette longue, trop longue galerie de portraits, nous passions, enfin, à la section suivante : l’architecte au travail. Tables pour dessiner les plans, outils, comment on est passé de l’architecte à l’agence d’architecture… Ce que j’y ai préféré, c’est (évidemment) la sous-partie consacrée à la formation de l’architecte. Outre les très beaux portraits que les pensionnaires de la villa Médicis s’échangeaient, j’ai retenu une photographie assez amusante d’une fête dans l’atelier de Perret à l’École des Beaux-Arts, qui traduit bien la tradition festive et hors norme de l’établissement.
Bien émue aussi, de voir, sur une estrade, les tables de travail de quelques éminents architectes, comme Viollet-le-Duc. Que de traits dessinés d’une importance historique a-t-elle bien pu supporter ! Une belle série de photographies dues à Édouard Pourchet montrait tous les architectes les plus célèbres de la fin du XIXe siècle dans leur cabinet de travail. Elle m’évoque évidemment la série des artistes dans leur intérieur, dont j’avais parlé il y a longtemps sur ce blog (billet qu’il faudrait que je réécrive d’ailleurs, la recherche a bien progressé sur ce corpus !).
La création de la notion « d’agence d’architecte » était trop rapidement évoquée, c’est un aspect que j’aurais aimé mieux comprendre : comment en est-on arrivé à ces grandes agences, à la séparation des tâches ? En voyant le nom de Durandelle sur une photographie de l’agence Garnier, qui a construit l’Opéra, je me suis dit qu’il manquait aussi toute l’iconographie du chantier (c’était la spécialité de Durandelle, la photo de chantier !).

Les architectes ne sont-ils jamais sur les chantiers ? Je ne me souviens que de deux tableaux à ce propos : Garnier, justement, faisant visiter le chantier de l’Opéra à l’Empereur et à l’Impératrice (un tableau un peu naïf, charmant !) et Percier et Fontaine, présentant le projet du Louvre à Napoléon !
Images et Clichés de l’architecte à l’époque contemporaine.
De la dernière partie de l’exposition, intitulée « L’architecte à la UNE », je n’ai quasiment rien retenu. Il s’agissait évoquer la figure de l’architecte dans la société et la culture populaire, à travers une sélection de films, de Une de presse, de timbres, de jeux de société… Cette section m’a paru un peu superficielle : je ne sais pas si cela vient de moi, qui commençait à ressentir une « fatigue muséale » ou du fonds réel de l’exposition. Elle devait cependant amener le visiteur à se questionner sur sa propre image (et ses propres clichés) de l’architecte, sur le rôle de ce dernier dans la société contemporaine, de l’architecte « de pavillon de banlieue » à l’architecte « star internationale ».

Vous l’aurez compris, j’ai été largement déçue par l’exposition L’architecte. Portraits et Clichés, dont j’attendais un peu plus, tant sur le fonds que sur la mise en exposition. Heureusement, j’ai pu apprécier quelques beaux portraits que je ne connaissais pas : le déplacement n’était pas vain !