Le 2 janvier 2017, je commençais l’année par les visites du musée des Moulages de Montpellier et du Pont du Gard, en compagnie de Jean-Luc Cougy. En 2018, les premières heures de janvier ont aussi été très culturelles avec la découverte du musée Magnin, – le seul ouvert à Dijon un mardi – et son exposition « Exquises esquisses », qui depuis Paris me donnait bien envie.

Il faut dire qu’il y a, autour de cette exposition, un battage médiatique assez important : on trouve des publicités jusque dans le métro parisien !
Lever le voile sur l’intimité de la création
Le sujet m’attirant tout particulièrement – les travaux préparatoires, le secret de l’atelier -, j’espérais que le hasard des correspondances ferroviaires au retour des vacances nous laisserait profiter de l’événement. Ce fut effectivement le cas, mais je dois l’avouer, je suis un peu déçue, je m’attendais à plus ample, et, surtout, plus pédagogique. J’ai le sentiment d’avoir vu un accrochage (certes très intéressant et riche) plus qu’une véritable exposition.
Mon intérêt pour cette exposition vient du fait que j’ai un certain goût pour le « travail en cours », la trace de l’élaboration d’une œuvre, l’archive de la création. J’aime le caractère intime et les confessions des tirages d’état, des photographies d’ateliers, des brouillons d’écrivains…
Aussi m’imaginais-je voir à Dijon une vaste exposition sur l’élaboration de l’œuvre peinte, de la première idée jetée sur une feuille de papier à la composition finale, en passant par toutes les études de figures, voire même par les lettres manuscrites et autres pièces d’archives… Bref, découvrir autant l’intimité de la création que le patient et méticuleux travail de l’historien de l’art qui rattache, attribue, classe ce matériau si précieux.
C’est de ce point de vue que j’ai été un peu déçue : l’exposition du musée Magnin est moins ambitieuse. Elle se concentre uniquement sur l’esquisse peinte, qui donne une idée d’ensemble au tableau, excluant volontairement de l’accrochage les productions graphiques et les études de parties ou de motifs. Par ailleurs – et ce n’est pas un tort – son point de départ est toujours les collections du musée – d’ailleurs l’exposition se déploie uniquement dans les salles permanentes de l’établissement (qui ne possède pas d’espaces dédiés aux expositions temporaires, me semble-t-il).
Un nouveau regard sur les esquisses rassemblées par le couple Magnin
Tout cela s’explique par l’histoire des lieux – et de la collection qu’ils contiennent. Le musée Magnin doit son nom à un couple de collectionneurs, Jeanne et Maurice Magnin, qui rassemblèrent, avec patience et goût, entre la fin du XIXe siècle et les années 1930, plusieurs milliers d’œuvres d’art. Les trésors accumulés furent disposés dans l’hôtel Lantin, la demeure familiale. Au décès du couple, le bâtiment et son contenu furent légués à l’État pour en faire un musée, aujourd’hui géré par la RMN.
Les Magnin n’étant pas immensément riches – et leurs murs de taille raisonnable-, ils acquirent de nombreuses esquisses peintes, premières idées d’œuvres de format plus ambitieux. Une autre manière de les posséder.
Mais il ne faudrait pas voir dans ces achats une œuvre de substitution faute de murs disponibles et de fortune suffisante.
Le choix de l’esquisse répond aussi au goût de l’amateur éclairé, qui sait apprécier les qualités propres de ces compositions en cours d’élaboration.
Depuis le milieu du XVIIIe siècle, collectionneurs et amateurs recherchent en effet dessins et esquisses peintes dont on considère qu’ils forment le parfait témoignage du génie de l’artiste, l’expression pure de son imagination. L’esquisse – par nature inachevée – garderait, selon les mots de Diderot, le « feu » de la création, atténué, dans l’œuvre définitive, par les trop grandes finitions… On peut imaginer alors que, comme en estampe où les graveurs multiplièrent consciemment les états intermédiaires, pour contenter le marché, certains artistes ne manquèrent pas de soigner le rendu de leurs esquisses pensant aux revenus complémentaires qu’elles pouvaient engendrer. Voilà qui devait alimenter les débats.
Pour le couple Magnin, qui fréquentait assidûment les maisons de vente, ce devait être un très satisfaisant exercice que d’avoir le « flair » pour dénicher d’intéressantes esquisses au gré du calendrier de la salle Drouot.

Plaisir de l’enquête que doivent toujours partager les historiens de l’art qui se sont penchés sur la collection. Car, comme nous l’apprend l’exposition, bien des esquisses conservées au musée demeurent aujourd’hui encore anonymes ou bien, si une main leur est rattachée, ne sont liées à aucune œuvre finale identifiée.
Ces esquisses-là sont accrochées dans deux petites pièces, couvrant les murs de la plinthe au plafond, comme ils l’étaient au temps des collectionneurs Magnin.
Rapprocher l’esquisse de l’œuvre finale, ou le jeu des sept différences
L’intérêt de l’exposition réside cependant plus dans les trente esquisses mises en regard de leur double achevé. Quatorze de ces œuvres finales ont été prêtées par les établissements qui les conservent, les dix-sept autres sont simplement évoquées par des reproductions photographiques.
Alors, sans même prendre la peine de lire les textes, le visiteur peut se plier au jeu des sept différences, traquant les variations de la composition, les changements d’accessoires, les apparitions et disparitions de personnages. En cela, l’exposition est accessible à tous : elle se prête particulièrement aux visites en famille, même si l’on peut regretter qu’un support de visite ludique et accessible ne soit pas fourni pour guider le public non averti.
Qu’est-ce qui explique ces transformations ? Est-ce le goût du commanditaire a qui on a présenté le modello, et qui a voulu voir remplacer cette figure par une autre ? Est-ce au contraire l’artiste qui a changé d’avis au dernier instant ? La toile finale elle-même parfois trahit ces recherches : ainsi, dans l’allégorie de la sculpture de Blanchet, un double de la femme apparaît au visiteur, pour peu qu’il se place au bon endroit et soit un peu attentif : c’est un repentir, qui surgit malgré la couche de peinture dont l’artiste l’avait recouvert. C’est du moins ce que j’ai cru voir en contemplant le tableau, mais le catalogue de l’exposition suggère qu’il s’agit d’un reflet voulu par le peintre.
De l’esquisse à l’œuvre finale, outre les variations de composition, l’écart peut-être grand en ce qui concerne les dimensions et la facture : certaines esquisses sont minuscules quand la toile finale est immense. D’autres modello rivalisent exactement avec le tableau destiné à l’accrochage.


De même, certains peintres s’appliquent à soigner le moindre détail dans l’œuvre préparatoire quand d’autres esquissent à grands traits le volume des figures, leur placement et la palette colorée. À l’œil moderne, ces esquisses-là sont certainement les plus plaisantes.
S’il est bien dommage que l’accrochage exclue les dessins et études de figures, on apprend quelques choses sur le travail d’élaboration. Ainsi, la pratique de l’esquisse peinte apparaît en Vénétie, à la Renaissance.
Les historiens de l’art distinguent différents types d’esquisses : on désigne sous le nom de bozzetti la première pensée d’une œuvre. Le modello qualifie plutôt une esquisse présentée au commanditaire pour arrêter la composition finale. Pour élaborer les parties, le peintre peut multiplier les études de motifs.
Certaines petites toiles partagent toutes les caractéristiques de l’esquisse et n’en sont en réalité pas : il s’agit des ricordo, copies réduites de la composition exécutée par le peintre pour en garder le souvenir… ou en vendre une copie !
Le ricordo, comme l’esquisse pouvait servir à d’autres buts qu’à exécution d’une peinture. Ainsi, l’exposition présente des modèles destinés à la réalisation de tapisseries ou de gravures. Ainsi, on peut admirer une belle grisaille de Ridolfi ou encore un modello destiné à l’exécution d’une tapisserie d’après une composition de Rubens.

Si j’ai du mal à ne pas m’avouer un peu déçue par l’ampleur de l’exposition, je ne regrette cependant pas d’avoir profité de ma correspondance dijonnaise pour la visiter et découvrir ce charmant petit musée Magnin dans lequel je ne manquerai pas de revenir.
Et pour prolonger l’appétit engendré par l’exposition, je me suis plongée dans le catalogue qui l’accompagne. Outre les commentaires des œuvres exposés (uniquement pour les esquisses dont les études finales ont été prêtées), on trouve trois essais permettant d’approfondir le sujet : l’un assez général, pose les contours du monde de l’esquisse – et de ses usages pour les historiens de l’art-, le second, qui m’a beaucoup intéressé, explore les esquisses scolaires et leur usage au XIXe siècle à l’École des Beaux-Arts. Le dernier enfin, étudie le regard porté sur l’esquisse par les critiques d’art au XIXe siècle.

Et vous, quelle a été votre première exposition de 2018 ?
Vous avez aimé ce billet ? Soutenez la production des prochains en participant au financement d’Orion en aéroplane via la plateforme Tipeee ! En ce moment, j’ai tout particulièrement besoin de votre aide car mon appareil photo, indispensable à mon activité de blogging vient de rendre l’âme. Aidez-moi à le remplacer pour des illustrations toujours plus belles 🙂
La dernière salle de l’actuelle exposition « Le Musée avant le Musée » au Musée Fabre, consacrée la à « Prédication de saint Jean Baptiste » pour la chapelle des Pénitents bleus de FX Fabre devrait t’intéresser…
Il y a quelques photos dans mon billet ici : https://www.enrevenantdelexpo.com/2017/12/05/le-musee-avant-le-musee-musee-fabre-montpellier/
Superbe en effet ! Elle a l’air drôlement chouette cette expo, merci de me l’avoir signalée !
En effet, avec les esquisses il aurait été aisé d’exploiter le thème des différences pour le ludique. Je ne connaissais pas ce musée en tout cas.
Première exposition 2018 pour ma part : « Mucha » (http://www.muchamadrid.com/en/visit/). Très intéressante, bien présentée et dans cadre qui valait le détour 🙂
J’avais oublié que tu étais à Madrid en début d’année ! Quelle chance as-tu eu de voir cette exposition, je t’envie 🙂
L’un des intérêts de cette exposition tient aussi à la spécificité du legs Magnin qui stipule que les oeuvres de la collection ne peuvent sortir du musée. Le rapprochement des esquisses avec les oeuvres finales trouve ici son « hic et nunc », une occasion qui n’est pas arrivée depuis des siècles et qui ne se reproduira pas de sitôt.
Ping : B comme Brouillon – A-B-C-Daire.