Un jour de fête : Sainte-Sévère et le souvenir de Jacques Tati

A l’été 1947, le réalisateur Jacques Tati débarque dans le petit village de Sainte-Sévère, dans l’Indre. Là, pendant quelques semaines, il tourne son premier long métrage, Jour de Fête, qui va le révéler au public. L’histoire toute simple d’un village qui s’anime à l’occasion de ses festivités estivales – et les aventures cocasses d’un facteur qui rêve d’Amérique.

Sur les traces de Jacques Tati : la place de Sainte-Sévère

Lors de notre séjour dans le Berry, l’été dernier, nous avons tâché de visiter tous les sites à portée de bicyclette de notre chambre d’hôtes. Sainte-Sévère caracolait en tête des lieux d’intérêt que nous avions inscrit à notre programme. Et pour cause, je voulais voir le vrai visage de ce village « star de cinéma »… 

L’année 2017 marquait le soixante-dixième anniversaire du tournage de Jour de Fête. Combien Sainte-Sévère compte-t-elle encore d’âmes qui ont assisté à cet événement historique ? Toute la ville vit dans le souvenir de Jour de Fête, dont on croise les affiches à chaque coin de rue. Sur la place du village, on reconnaît sans peine la structure si pittoresque de la halle de bois, qui date du règne de Louis XIV. La porte médiévale est aussi facilement repérable. Au centre de la place, trône toujours le mât blanc et son fanion français. Pour fêter l’anniversaire du tournage, la municipalité a même installé une réplique du manège et une roulotte.

Mais où est donc le café Bondu ? Nul troquet à l’horizon, même fermé… Eh bien c’est qu’il n’a jamais existé ! Jacques Tati avait plaqué un décor sur la façade d’une des maisons qui jouxtent la porte médiévale. C’est l’un des nombreux secrets de tournage que nous découvrirons dans la « Maison de Jour de fête ». Un lieu que j’allai visiter avec un peu d’appréhension, de peur d’y trouver un musée de souvenirs de fans (type photos dédicacées et autres reliques) sans grand intérêt pour le public du XXIe siècle.

Sur les traces de Jacques Tati, le célèbre café (qui n’existe pas) de jour de Fête.

J’ai tout au contraire été surprise et ravie par le dispositif et le parcours de visite – qui tient plus du spectacle que du musée. Un narrateur nous raconte l’événement qu’a constitué en 1947 l’arrivée de Jacques Tati avec sa toute petite équipe de tournage et l’été si particulier qui s’en est suivi, le village entier vivant au rythme des besoins du film, la plupart des figurants étant des habitants.

Tati avait même organisé une vraie fête de village, le 22 juin, pour tourner des plans d’ensemble avec une foule. Exercice peu évident, car il fallait que tout ce petit monde joue le jeu… pour de vrai, et sans regarder ostensiblement la caméra ! Nombreux étaient ceux qui voulaient apparaître sur la pellicule, car on annonçait partout Jour de Fête comme un jalon de l’histoire du cinéma : il aurait dû être le premier film en couleurs français. Cependant, comme le procédé était encore très expérimental, Tati n’était pas sûr de réussir à le développer en couleurs. Prudent, il tournait tout avec deux caméras, l’une en couleurs, l’autre en noir et blanc.

Précaution qui se révéla fort judicieuse, car Tati n’est jamais parvenu à exploiter sa pellicule couleur. Le film sort en 1949 en noir et blanc, Tati le reprend en 1961 en faisant colorier quelques détails au pochoir. Il faudra attendre 1995 pour qu’une de ses descendantes vienne à bout des difficultés techniques et que le long métrage révèle enfin ses couleurs d’origine.

Le tournage nous est raconté du point de vue d’un enfant – entrecoupé d’extraits du film et de rush coupés au montage. Petit à petit, d’anecdote en anecdote, se révèlent les astuces, trucages … et l’absence de trucages pour certaines scènes. C’est pour de vrai que Tati Facteur s’est pris un râteau, et ce, des dizaines de fois, jusqu’à avoir le rush parfait !

Si les scènes en extérieur ont été tournées à Sainte-Sévère ou dans les environs, les scènes intérieures ont été jouées en studio, en région parisienne. C’est dans la reconstitution du décor du café Bondu que nous, visiteurs, sommes invités à pénétrer. Là, l’accessoiriste de Tati, André Pierdel (?) nous explique tout l’art de tourner ainsi en studio.

Reconstitution du studio de tournage de Jour de Fête
Dans la « Maison de Jour de Fête » – reconstitution des studios où furent tournées les scènes en intérieur.

Ces explications pratiques, très pédagogiques, participent du succès de la maison de Jour de Fête, car nul besoin d’avoir vu tout Tati ou d’être un nostalgique de la France rurale de l’après-guerre pour apprécier le discours proposé, qui nous fait pénétrer les secrets du cinéma d’avant le numérique. Cela donnera certainement à certains de bonnes idées d’activités créatives en famille pour occuper les vacances !

Il me reste cependant une interrogation : qu’est-ce que ma génération ressent devant Jour de Fête ? Qu’est-ce que ce film lui raconte ? Et dans vingt ou trente ans, y aura-t-il encore un public pour faire ce pèlerinage ?

Car le film de Tati nous parle d’un monde définitivement disparu – celui de l’enfance de mes grands parents – qui n’a de sens qu’à travers l’évocation de leurs souvenirs. C’est aussi le cinéma comique des gags à répétition, si loin de celui que nous regardons aujourd’hui. Est-ce que les pitreries du Facteur Tati, ses grimaces et ses rêveries pourront encore nous faire rire demain ?

Une des plus célèbres scènes du film Jour de Fête : Jacques Tati en facteur.

Après la visite, nous faisons le tour du village, qui a gardé son charme d’antan, l’animation en moins. Je brûle d’envie de questionner les vieilles personnes croisées sur le perron des maisons : étaient-elles enfants ici au moment du tournage ? Apparaissent-elles dans l’une des scènes ? Ici, Jour de Fête est comme un album de souvenirs familiaux… A leur façon de nous dire bonjour, je reconnais l’accent si caractéristique des personnages du film, mais je n’ose pas leur poser ma question.

Se promener à Sainte-Sévère, c’est se promener dans le passé, mais un passé parfois un peu étouffant, comme si le village avait connu, avec l’été 1947, l’apogée de son histoire, et que, depuis, il vivait dans la nostalgie d’un lendemain de fête.

Sur les traces de Jacques Tati : la place de Sainte-Sévère

Nous avons d’ailleurs regretté que le parcours scénographique de la Maison de Jour de Fête ne s’intéresse pas plus au village en lui-même, ni à ce que représentait alors le cinéma dans la France rurale d’après-guerre, ni encore qu’elle était la réalité de la vie d’alors. C’est peut-être sur ce chemin que le musée de demain arrivera encore à séduire les nouvelles générations.

4 réflexions sur “ Un jour de fête : Sainte-Sévère et le souvenir de Jacques Tati ”

  • 15 avril 2018 à 9 h 33 min
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    Oh, ça doit être charmant comme visite ! Je ne connaissais pas du tout, bien qu’ayant déjà vu le film. Si je passe dans le coin un jour, j’irais faire un tour à Sainte-Sévère !
    Merci pour cette jolie découverte,
    Belle journée

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  • 15 avril 2018 à 15 h 47 min
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    J’ai eu l’occasion de passer une huitaine de jours ; beaucoup de choses à visiter à côté de Sainte Sévère : notamment le jardin exceptionnel, d’Orsan. Et puis madame G. Sand ne demeurait pas très loin. La « Maison de Jour de fête » présente plus, un « spectacle » remarquable, que des « explications » autour du film de J. Tati. (Quelques belles randonnées pédestres en prime, pour les amateurs) – une région charmante à découvrir à petite vitesse. Mais je ne partage pas votre regret sur le parcours scénographique de la Maison de Jour de Fête.
    merci pour votre évocation.

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