Au dernier étage des Invalides, sous les toits, il y a un musée aussi fabuleux que méconnu, bien qu’il ait fait en 2012 l’objet d’une très belle exposition au Grand Palais. J’ai nommé le musée des plans-reliefs, ou comment faire le tour des cités fortifiées françaises sans quitter la capitale !

Les plans-reliefs, une collection née de la volonté de Louis XIV
L’histoire commence au XVIIe siècle. Pour le jeune et ambitieux roi Louis XIV, l’une des principales préoccupations est la défense du Royaume et son expansion. Grâce à l’ingénieur Vauban, il crée un réseau de places fortes qui verrouillent la frontière française, nouvellement repoussée au Nord par la conquête des villes de Lille, Douai, Tournai, Charleroi… Le siècle est au perfectionnement de l’architecture fortifiée : les sièges deviennent plus complexes, tout comme les techniques d’attaque.
Aussi faut-il doublement se préparer en temps de guerre. C’est pourquoi Louis XIV et son ministre de la guerre Louvois commandent-ils, en 1668, pour compléter l’appareil de cartes topographiques, une série de maquettes des principales villes fortes du royaume. À l’échelle 1/600, elles permettent de visualiser d’un coup d’œil le territoire, d’appréhender les défauts des fortifications, d’envisager des aménagements et des améliorations, d’imaginer des stratégies de défense ou d’attaque.

Les premières villes à faire l’objet d’un plan-relief sont Dunkerque, Ath et Lille. Suivent ensuite les places fortes du Nord (Arras, Calais, Douai, Ypres) de la Franche-Comté (Besançon), des Alpes (Mont-Dauphin, Montmélian) et des Pyrénées (Perpignan). Il y a aussi ceux de château d’Oléron, du château d’If, de Saint-Martin-en-Ré, de Belle-Ile et du Mont-Saint-Michel. En 1697, Vauban inventorie déjà 144 maquettes figurant 101 sites lorsqu’il dresse pour le roi L’estat des plans en relief qui sont dans les Thuileries. Seuls trente de ces plans nous sont parvenus…

Gloires et Errances d’une collection de maquettes
Superbes et utiles ouvrages, ces maquettes sont présentées dans diverses demeures royales, dont Versailles, Fontainebleau, Saint-Germain-en-Laye et les Tuileries, avant d’être installées en 1706 dans la Galerie du Bord-de-l’eau au Louvre (l’ancêtre de la grande galerie). De cette disposition reste deux témoignages, une miniature peinte par Nicolas Van Blarenbenghe sur une tabatière qui appartint au Duc de Choiseul et un dessin d’un certain Vigneux.

Présentation grandiose, qui fait l’admiration des délégations diplomatiques qui y sont reçues, mais qui ne dura qu’un temps : en 1774, alors qu’on décide d’installer les collections royales de peinture au Louvre, Louis XVI ordonne le transfert des maquettes aux Invalides. Un déménagement fort compliqué, en regard de la taille des maquettes : les archives nous livrent qu’il fallut plus de mille voyages d’un site à l’autre, et que, malgré les précautions exigées par le Roi, il y eut tant de dégradations et d’accident qu’il fallut vingt ans au personnel rattaché aux Plans-Reliefs pour achever les réparations des maquettes endommagées !
Tout au long du XVIIIe et du XIXe siècle, ces plans-reliefs ont continué à être utilisés. On les mettait régulièrement à jour, afin de coller au plus près à la réalité du terrain. Si les modifications étaient trop importantes, ou quand une ville entrait dans le système fortifié français, on commandait de nouveaux reliefs.
C’est ainsi qu’en 1811, Napoléon fit exécuter des plans-reliefs de Brest et de Cherbourg. Il s’agit des plus vastes maquettes de la collection, chacune d’elles mesurant respectivement 130 m2 et 160 m2 !

En 1870, la guerre prouve définitivement l’obsolescense du système Vauban, impuissant à stopper les nouvelles artilleries. Le système défensif français est totalement refondu, comme je l’avais rapidement évoqué dans deux précédents billets, l’un consacré à la zone de Paris et l’autre au fort de Saint-Cyr. Reléguées dans un coin, les maquettes sont oubliées : certaines sont détruites, d’autres vendues. En 1927, on prend heureusement conscience de leur valeur et elles sont classées Monuments historiques. Mais il faudra encore attendre 1940 pour qu’elles soient démilitarisées et versées aux Monuments historiques. Cela n’empêche pas certains restaurateurs en charge de la collection de continuer à les actualiser, et ceux jusque dans les années 1960/1970.
À la fois monumentaux et minutieux : les secrets de fabrication des plans-reliefs
Par leur taille et leur précision, ces maquettes sont impressionnantes : les plus vastes, comme celle du port de Brest, mesurent plus de 100 mètres carrés ! Mais comment arrivait-on à de tels chefs-d’œuvre de précision ?
La première étape se réalise sur le terrain : il faut opérer des relevés, nécessairement très précis, de la topographie. Plan, élévations, nature des cultures, tout doit être noté le plus rigoureusement. Une petite équipe est mobilisée pour ce chantier. Malheureusement, toutes les archives correspondantes à ces levées ont, pour la période antérieure à la Révolution, été perdues. Les plus récentes, numérisées, sont consultables sur le site du musée.

Sur la foi de ces relevés, on réalisait une épure, c’est-à-dire un plan du site, à l’échelle de la future maquette. L’épure était découpée en plusieurs morceaux de taille raisonnable : il fallait qu’un maquettiste puisse atteindre le centre avec son bras.
Une table support est construite pour chacun de ces morceaux.

La surface plane est travaillée à l’aide de lames de bois collés les unes aux autres pour reconstituer le relief du terrain. La surface est ensuite traitée, selon la nature du sol, par pulvérisation de sable fin ou de poussière de soie teintée de vert (pour les champs et prairies). Les rivières et plans d’eau, quant à eux, sont peints en bleu. Chaque arbre est individualisé à l’aide d’une chenille de soie : les plus méticuleux précisent même les espèces !
Pour le bâti, des maquettistes taillent de petits blocs de tilleul aux formes de chaque édifice : toitures, murs de pierres ou de briques sont figurés par collages de papiers peints ou imprimés, sur lesquels sont apposés les emplacements des ouvertures, fenêtres et portes. La dernière étape consiste en l’assemblage minutieux de chaque élément.

Plusieurs dynasties de maquettistes se sont succédé au service de la collection des plans-reliefs, parfaisant les techniques, trouvant les matériaux les plus adaptés à cet art. Car le plan-relief est une chose fragile : le soleil décolore peintures et papiers collés, les insectes s’attaquent aux tissus et aux bois, la poussière encrasse les reliefs, l’humidité et la sécheresse déforment le bois.

À la découverte des Plans-reliefs, d’expositions en réserves.
Musée insolite, musée méconnu, les Plans-reliefs occupent les combles des Invalides. Malheureusement, les espaces d’exposition sont trop étroits pour présenter l’intégralité de la collection : aux visiteurs curieux, une scénographie spectaculaire dévoile une trentaine de places fortes des Pyrénées et des façades maritimes atlantique et méditerranéenne. Les plans-reliefs du Nord sont présentés au Musée des Beaux-Arts de Lille et dans d’autres musées de la région, tandis que bien des pièces de la collection dorment encore en réserve.

Ces réserves, j’ai eu la chance de les visiter lors des journées du patrimoine 2013. Imaginez que, pour y accéder, il faut traverser les combles des Invalides, immenses nefs de bois, une des plus impressionnantes charpentes qu’il m’ait été donné de voir. Ensuite, là, sur des étagères, se trouve la mémoire d’un bâti passé, comme un puzzle de géant.
Le toit est amovible (oui ! oui !) pour les sortir en cas de besoin. Ce fut le cas en 2012, lors de la grande (mais trop courte) exposition « Plans-reliefs » sous la nef du Grand Palais, au cours de laquelle les visiteurs ont pu admirer les pièces les plus remarquables, par leur ancienneté, leur ampleur ou leur valeur de témoignage.


Je garde de cette exposition un souvenir émerveillé, comme la plupart des gens qui ont eu la chance de la voir, je crois. Les vieilles personnes commentaient ce Brest à jamais disparu (la ville a été quasiment totalement détruite pendant la Seconde Guerre mondiale), les familles montraient du doigt ce monument ou cette rue d’une ville qu’ils connaissaient. Au sol, était reproduite une grande carte ancienne de la France, et c’était un drôle de spectacle que de voir les gens accroupis « se » chercher, entendez, chercher leur lieu d’habitation.
Quelle était enthousiasmante cette exposition : il y avait, alors, en 2012, l’espoir de voir plus souvent ces maquettes, dont certaines avaient été sorties des réserves et restaurées pour l’occasion. Malheureusement, un agrandissement du musée des Plans-Reliefs ne semble pas (plus?) à l’ordre du jour.
Quelle chance pourtant, nous avons, de pouvoir admirer cette collection, qui a maintes fois failli disparaître, à chaque fois qu’on la jugeait obsolète, inutile, ou trop gourmande en espace et en moyens. D’ailleurs, elle a bel et bien en partie disparu, car des 263 plans-reliefs fabriqués en deux siècles, seule une centaine nous est parvenue.

Que nous racontent-ils aujourd’hui, au-delà de l’histoire militaire de la France, de la constitution de ses frontières ? Une histoire urbaine, architecturale. Qu’il est amusant de comparer un plan-relief d’il y a 150 ou 250 ans à nos paysages contemporains. En certains endroits, si les bastions et autres fortifications ont disparu, leur empreinte peut encore se lire dans le tissu urbain.
Ici, l’on voit combien, au milieu du XIXe siècle, cette gare aujourd’hui enserrée dans la ville en était à la lisière. La, le talent du maquettiste nous nous offre le témoignage d’un monument depuis longtemps détruit. Il existe ainsi une maquette du château Trompette, à Bordeaux, dans son état du tout début du XVIIIe siècle. Quelques années avant la Révolution, Louis XVI envisage de faire détruire cette forteresse trop dispendieuse en entretien, mais finit par la vendre. Elle disparaît néanmoins en 1818 pour permettre l’aménagement de la place des Quinconces. De tous les documents qui témoignent de l’aspect du château Trompette, le plan-relief est certainement le plus parlant, d’autant qu’il est entièrement démontable, permettant de découvrir une partie de ses intérieurs.

De la même façon, la maquette du Mont-Saint-Michel dévoile l’intérieur de l’église, telle qu’elle se présentait en 1701 : depuis, les stalles comme le maître-autel ont disparu.
Mais ces plans-reliefs sont-ils vraiment fiables ? Nous révèlent-ils tout à fait l’image du passé ? Non, nous met en garde le guide du musée : ces maquettes présentent certaines limites. Selon les époques, les maquettistes se sont montrés plus ou moins rigoureux à rendre les spécificités du bâti vulgaire, et les reprises d’actualisation des maquettes n’ont été que partielles, générant des représentations temporellement incohérentes.
Il n’en demeure pas moins que, comme le soulignait un des auteurs du catalogue de l’exposition de 2012, ces plans-reliefs « permettent de mener une réflexion très contemporaine sur les rapports à l’espace, l’urbanisation, le territoire, les frontières, l’idée de nation et ses multiples évolutions… ». La scénographie du musée des Plans-Reliefs offre quelques pistes pour initier cette réflexion, en superposant les maquettes à des vues satellites du tissu urbain actuel.
Pour en savoir plus
- L’entrée du Musée des Plans-Reliefs est compris dans le billet d’entrée des Invalides. Prévoir une journée complète pour découvrir tout le complexe (église et tombeau de Napoléon, musée de l’armée, musée des Plans-Reliefs, jardin, expositions…)
- Eric Deroo (dir.), La France en relief : chefs-d’oeuvre de la collection des plans-reliefs de Louis XIV à Napoléon III, catalogue de l’exposition (Paris, Grand Palais, 18/01/2012-17/02/2012), Paris, Réunion des Musées nationaux, 2012.
- Isabelle Warmoes, Le Musée des plans-reliefs : maquettes historiques de villes fortifiées, Paris, Editions du Patrimoine, 2012
La préparation de ce billet a été pour moi l’occasion de contribuer à Wikipédia, en améliorant la page consacrée au Musée et en versant mes photographies sur WikiCommons. Vous avez également des clichés ? Participez !
Il faut vraiment que j’aille voir ça un jour de mes propres yeux… Et avec des jumelles 🙂
J’ai été voir. Important pour l’histoire. Le plan du Mont Saint Michel est le clou de cette expo. Mais il fait tellement sombre qu’il faut bien une demi-heure pour s’adapter à la quasi obscurité et ça c’est décevant
Jean-Marie
Ce musée est assez fascinant, il n’y a personne, simplement les grands plans, en silence, dans l’obscurité…
J’ai vu au Mucem le plan relief de la ville d’Alger, sauf qu’il est daté de 1941. Je suppose qu’il a été réalisé après la conquête et réactualisé en fonction des besoins, mais comme on dit, cette date m’a interpelée. J’ai regretté de ne pas en savoir plus sur son contexte de fabrication.