En février dernier, invitée par Caroline Müller à présenter Orion en aéroplane et mon expérience de la médiation numérique à ses étudiants de L3 Histoire, j’ai profité de ma brève excursion à Troyes pour effectuer un peu de tourisme. Parmi mes découvertes, l’impressionnante apothicairerie hospitalière, conservée dans ses locaux originels.

Comme toutes les cités importantes, Troyes se dote au cours du Moyen Âge d’un Hôtel Dieu, où la communauté religieuse reçoit et soigne malades, indigents et enfants abandonnés. Tenu par les sœurs, l’hôpital se laïcise progressivement, en s’adjoignant les services de barbiers-chirurgiens, de médecins et d’apothicaires laïcs.
L’apothicairerie hospitalière est le lieu où l’on stocke les matières premières nécessaires à l’élaboration des remèdes, où l’on les prépare et où enfin l’on les distribue. Cette pharmacie est réservée à l’usage exclusif de l’Hôtel Dieu et aucun des produits n’est destiné aux malades de la ville. Il semble cependant que certains apothicaires de l’établissement aient été, sur ce point, peu scrupuleux, comme en témoignent les procès intentés par leurs confrères de la cité, fâchés d’une concurrence déloyale.
L’apothicairerie que l’on visite aujourd’hui a été aménagée à partir de 1725 dans le bâtiment en pierre construit au début du XVIIIe siècle pour l’Hôtel-Dieu. Elle se compose de plusieurs salles : la première que le visiteur pénètre est la plus vaste et la plus impressionnante : les murs sont couverts, du sol jusqu’au plafond, d’étagères supportant des centaines de récipients en faïence et de boîtes en bois peint.

Ces récipients en faïence blanche, ornés d’un décor bleu et d’une inscription renseignant sur leur contenu, sont bien connus du public : c’est eux que l’on montre toujours pour évoquer la pharmacopée d’autrefois, et bien des officines actuelles en exposent encore quelques-uns pour évoquer l’ancienneté de leur enseigne.
On s’amuse souvent des inscriptions exotiques qu’ils portent, horrifiantes (comme le mercure), voire incroyables (sang de dragon) ou carrément répugnantes, dans certains cas (momie).

Moins connues sont, en revanche, les boîtes en bois peint, appelées silènes qui s’alignent sur les étagères hautes. Si les pots étaient destinés à conserver les liquides et les pommades, les boîtes, elles, contenaient les produits séchés, essentiellement des plantes. Une inscription, et surtout une image indiquent le contenu. Ces motifs sont copiés, ont identifié les historiens de l’art, des illustrations de L’histoire générale des drogues, de P. Fornel, paru en 1695. Bel exemple de circulation d’un motif !

Cet ensemble, qui comporte 350 boîtes, est unique dans les collections publiques, si bien qu’il a été classé Monument historique. Une campagne de restauration, menée dans les années 1990, a démontré que certaines de ces boîtes remontaient en réalité au XVIe siècle, et portait, sous le décor XVIIIe, d’autres motifs, plus anciens.
Aussi belle et impressionnante qu’elle soit, cette salle n’était ni destinée à l’apparat, ni à recevoir des malades. Il s’agit d’un espace de stockage de matières premières, ces dernières n’étant pas administrées telles quelles mais préparées, mélangées pour former des remèdes. Une opération que l’on effectuait dans la salle adjacente. Celle-ci est peut-être moins impressionnante pour les visiteurs, mais sa découverte est néanmoins passionnante : les différents vitrines et cartels permettent de mieux comprendre la médecine et la pharmacopée de l’époque.

Les apothicaires réalisent, sur ordre du médecin, une recette de remède, basée sur des ingrédients issus des trois règnes : végétal, animal et minéral, que l’on liera avec le l’huile, du vin ou du miel pour former une potion, une pilule, un baume, une pommade ou un onguent. Certaines drogues (ainsi qu’on appelle alors les produits pharmaceutiques) peuvent nécessiter des dizaines d’ingrédients, comme la célèbre thériaque, un remède « universel », hérité de l’Antiquité, mélangeant 70 éléments, et utilisé pour guérir tous les maux, et même comme boisson vitaminante… ainsi que comme somnifère !
Les panneaux de médiation dévoilent quelques-unes des recettes des livres de pharmacopées. mes sensibles, s’abstenir, ce n’est guère ragoûtant !
Ainsi, la pommade pour la sciatique de M. Charas intègre dans sa recette « des petits chiens nouveau-nés, des taupes en vie, des vers de terre » et quelques plantes, liés avec de l’huile et du vin… Pour les maux de ventre, les diarrhées et les vomissements, on prendra du sirop de roses, saupoudré d’un peu de soufre ou d’esprit de vitriol !
Ce n’est pas la seule chose qui risquera de heurter la sensibilité des visiteurs : la vitrine consacrée aux sangsues, aux saignées et aux clystères n’est guère plus agréable. Pour réguler les « humeurs » du corps, on recourait fréquemment, aux XVIIe et XVIIIe siècles, à la saignée : une veine du patient est incisée pour faire couler un peu de sang. La sangsue offrait les mêmes services, sans avoir recours au scalpel ! L’autre grand remède était le lavement : on administrait dans le rectum un mélange d’ingrédients grâce à une immense seringue plantée dans l’anus du patient. L’instrument, en étain, est presque menaçant. On le voit parfois représenté en action dans les gravures anciennes, non sans quelques sous-entendus graveleux.
Heureusement, de telles pratiques ont progressivement disparu avec l’avènement de la médecine moderne. L’apothicairerie de l’Hôtel-Dieu de Troyes est quant à elle restée en activité jusqu’en 1962, alors que l’hôpital avait déménagé depuis cinq ans déjà dans des locaux plus adaptés. Quant au bâtiment, il accueillera des personnes âgées jusqu’en 1988. C’est aujourd’hui un complexe muséal (en cours de réaménagement).
Vous avez visité l’apothicairerie et vous possédez de belles photographies ? Pourquoi ne pas contribuer à Wikimédia, la page consacrée à ce musée est encore trop pauvre !
Je garde un souvenir émerveillé de cette salle aux boites peintes 🙂 mais aucun de la salle du laboratoire, peut-être pas dans cette état ou ouverte à mon passage.
Bel endroit et comme toujours sur Orion un texte passionnant. Pour ceux qui ne connaissent pas, il y a aussi une belle apothicairerie à l’ancien Hôtel-Dieu d’Issoudun (Berry).
…et aussi au château de Heidelerg en Allemagne.
Merci pour ce texte très bien documenté sur les pratiques de la pharmacie d’autrefois. Quand on étudie les ingrédients entrant dans la composition des « remèdes », on s’étonne que tant de patients aient survécu…car, à l’exception que quelques uns (exemple l’extrait de digitale ou de pavots), ces ingrédients étaient ou inefficaces (le plus souvent) ou même toxiques.
Jean-Marie
Cette visite devait être géniale, merci de l’avoir partagée avec nous via cet article !
Ma grand-mère aussi parlait des drogues pour désigner les médicaments. Cette visite devait être passionnante !
Oh, absolument magnifique, je ne connaissais pas du tout cette apothicairerie, elle est sublime ! Et je n’avais jamais vu ces boîtes en bois peint, elles sont vraiment très belles. Si je passe par Troyes, je ne manquerai pas de m’y rendre ! Merci pour cette belle découverte !
Belle journée