Dans l’atelier de Judith Rothchild

Ce texte a été écrit dans l’atelier de Judith Rothchild en août 2017. Je me promets de vous parler depuis très longtemps du travail de cette artiste dont je suis proche. Ceux qui me suivent sur Twitter ont pu vivre par procuration l’établissement de son catalogue raisonné, que j’ai effectué en mai 2018 et que je relatais sur les réseaux sociaux.
Si je publie aujourd’hui ce texte, c’est pour vous inciter à aller voir son exposition à la galerie de l’Echiquier à Paris, dont j’ai signé le texte d’accompagnement (16 rue de l’Echiquier, 10e arr., jusqu’au 23 novembre) et l’exposition que le musée Médard (Lunel, jusqu’au 16 mars 2019) consacre à la maison d’édition Verdigris, que Judith a fondée avec son compagnon Mark Lintott.

Judith Rothchild, Nid trouvé, manière noire. Publié avec l’autorisation de l’artiste, reproduction interdite.

J’aime l’atelier de Judith le matin. Le soleil encore doux traverse la fenêtre et inonde son petit théâtre. Coquillages, antiques bibelots, bocaux de verre, fleurs séchées, deux nids d’oiseaux et une ruche vidée de vie… Je pourrais passer des heures à faire l’inventaire des objets posés sur les étagères, abandonnés sur un coin de bureau. Certains attendent leur heure, d’autres se reflètent dans les manières noires accrochées sur le chevalet. Une pierre ronde comme un galet garde son sage équilibre au bout d’une planche tandis que son écho roule doucement sur le papier imprimé.

L’atelier de Judith Rothchild, dans le sud de la France – photographie personnelle – reproduction interdite.

L’atelier est vide, dans sa belle lumière du matin. Le petit théâtre est figé, dans l’attente. Où est Judith ? Au potager, dans la cuisine, au village ? La plaque de cuivre miroite, reflets rouges orangers. Des heures de berçage ont marqué sa surface de millions de petits creux, un dense réseau velouté duquel il faut maintenant faire jaillir la lumière. Si d’aventure on imprimait la plaque ainsi bercée, la feuille serait couverte d’un noir intense. Sombre comme le tissu tendu sur le mur du bureau.

Scène miniature sur laquelle se jouent des spectacles silencieux : un oiseau de papier suspendu au dessus d’un nid vide, une collection de coquillages… Au fil des saisons, la chorégraphie varie. Judith a l’art de disposer ses mille trésors sur la scène de son atelier. Une vieille lampe de bureau joue les éclairagistes de théâtre, dessinant de longues ombres, découpant les noirs.

Le cuivre bercé attend. Il est juché sur deux vieux bottins usés et tachés d’encre et de fusain. Il suffit que Judith se saisisse du brunissoir, drôle d’instrument courbe qui a de grands pouvoirs, celui de faire surgir la lumière de l’ombre, à mesure qu’il polit le cuivre.

L’atelier de Judith Rothchild, dans le sud de la France – photographie personnelle – reproduction interdite

Perchée sur son haut tabouret, Judith surplombe son petit théâtre. Le brunissoir polit le métal, trace les contours, les dégradés, les reflets et les taches que dessine la lumière. Une coquille d’huître et sa nacre iridescente, un galet et ses minuscules cratères mats, une bouteille de verre et ses multiples réverbérations.

Judith Rothchild, Huites, manière noire. Publié avec l’autorisation de l’artiste. Reproduction interdite.

 

L’image naît doucement, à petit pas. Au sous-sol, la presse écrase le cuivre encré. Le papier humide épouse chaque aspérité de la surface métallique. L’épreuve est noire, l’épreuve est sombre. Les acteurs de la pièce à peine apparaissent dans la nuit, pâles fantômes.

Judith Rothchild au travail. Photographie personnelle publiée en CC-BY-SA (Joh Peccadille) sur WikiCommons

Une fois, deux fois, trois fois, l’opération se répète. Le brunissoir, entre chaque tirage d’état, poursuit sa patiente danse orchestrée par la main qui voit. La main ne voit que les lumières. La manière noire n’est que la lumière.

Au dessous du petit théâtre, sur un vieux coffre que personne n’a ouvert depuis longtemps, s’entassent les tirages d’état. Archéologie des travaux de Judith. Chaque strate raconte à rebours la naissance d’une estampe. De la lumière à l’ombre…

Judith Rothchild, Feathers, manière noire. Publiée avec l’autorisation de l’artiste, reproduction interdite.

Vous pouvez découvrir les créations de Judith Rothchild à la galerie L’Échiquier à Paris (jusqu’au 23 novembre), au musée Hofer-Bury de Laverune (34, à partir du 16 novembre) et les livres des éditions Verdigris au musée Médard à Lunel (jusqu’au 26 mars 2019). Judith Rothchild et Mark Lintott seront présents les 23/25 novembre à Paris pour le salon Pages, consacré au Livre d’artiste. 

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