J’ai reçu à Noël un original cadeau : un lot d’une quinzaine de matrices d’estampes (plaques de cuivres) achetées par mon grand-père lors d’une brocante. Mon sujet de mémoire à l’Ecole du Louvre étant la conservation des matrices d’estampe dans les collections françaises, un tel cadeau ne pouvait pas mieux tomber !
![[ill. 1]](http://peccadille.net/wp-content/uploads/2013/01/img_5379-copie.jpg)
Plus que de posséder ces matrices, c’est l’enquête qui leur est associée qui m’amuse, car de ces cuivres je ne sais rien : ni leur auteur, ni leur histoire matérielle, ni leur provenance… Il va falloir trouver des indices, remonter des pistes pour connaître leur histoire :
- De quand datent-ils ?
- Qui les a gravés ? Pourquoi ?
- Est-il possible d’en trouver des tirages anciens ?
- Quelle a été leur histoire, entre quelles mains sont-ils passés ? Comment sont-ils parvenus jusqu’à moi ?
- Que peut-nous apprendre leur état de conservation sur les pratiques des imprimeurs d’estampe ?
Cette petite aventure sera l’occasion de plusieurs billets où je vous relaterai l’avancée de mon investigation…
Premier épisode : présentation du corpus.
La première étape a constitué a regarder un à un tous les cuivres. Il y en a 15. Tout ce que je sais c’est que mon grand-père les a trouvés sur une brocante. Il me semble évident qu’ils sont issus du fonds d’un imprimeur, mais aucune information sur leur provenance n’a été transmise par le brocanteur.

Tous me sont parvenus dans le conditionnement qu’ils avaient chez l’imprimeur, sauf un. Il s’agit de pochettes en carton fort, sauf pour les deux plus grands, qui sont rangés dans une boîte en bois. Les pochettes de carton fort portent quelques indications. Tout d’abord, je relève sur la plupart un numéro d’inventaire : GM 115/9 ; GM 115/10 ; GM 107/6 ; GM 135/1… Que disent ces numéros ? Que l’imprimerie possédait plus d’une centaine de matrices ou de série de matrices. En effet, les différentes plaques d’une même série portent un même numéro d’inventaire suivi d’un sous-numéro : je possède ainsi les deux cuivres de la série 119 qui en comportait originellement au moins cinq et trois des au moins dix cuivres de la série 115.
A l’origine, toutes les pochettes portaient un tirage de la planche qu’ils renfermaient afin de plus facilement les identifier. C’est une pratique courante dans les imprimeries et le même conditionnement était en pratique à la chalcographie du Louvre jusqu’à une date récente. Malheureusement pour moi, seul quatre de mes cuivres sont encore accompagnés de leur tirage, d’ailleurs assez sales. Pour les autres, il faut faire preuve d’imagination pour visualiser ce à quoi peuvent ressembler les épreuves de ces cuivres !

Mon corpus est assez hétérogène. Il comporte 14 cuivres de dimensions, d’époques et aux sujets assez différents. Je peux cependant dégager quelques groupes :
- 6 petites plaques que l’on peut rattacher par leur style, leur technique (eau-forte) et leur sujet aux petites vignettes d’illustration de livres XVIIIe siècle. Trois d’entre elles semblent appartenir à une même suite : la danse [ill. 3 et 3 bis], le ménage [ill. 4], et le jeu [ill. 5]. Elles présentent les mêmes dimensions, la même mise en page et surtout une lettre comportant la signature du graveur, cependant difficile à déchiffrer à l’œil nu. Une autre plaque présente des dimensions à peu près semblables, mais sans lettre : elle est gravée d’une scène galante [ill. 6]. Les deux derniers cuivres, encore plus petits figurent une scène d’intérieur (deux femmes pénétrant dans une pièce où sont rassemblés des hommes) [ill. 1] et une scène nocturne (deux hommes, dont l’un a les yeux bandés rejoignant une femme dans sa chambre à coucher) [ill.7].

- Les deux plus grandes planches forment un groupe à part. Elles présentent toutes deux des sujets pastoraux : il s’agit de portraits de jeunes filles dans une veine fin XVIIIe siècle. Pour ces deux plaques, le mystère est vite levé puisqu’une lettre est bien lisible : c’est donc sans difficulté que j’ai lu le nom d’Angelica Kauffmann. Il s’agit de gravures d’interprétation des tableaux Una [ill. 8] et Abra [ill. 9] de cette célèbre femme peintre morte en 1807.
- Je forme un troisième groupe avec quelques plaques à l’aquatinte que je qualifierai d’anglaise. Je les identifie de premier abord comme anglaise en raison de leur technique (l’aquatinte), des costumes (je les trouve proche de ceux que l’on voit dans les tableaux de Gainsborough mais cela reste à confirmer) et de la lettre en anglais de l’une d’elles. Nous avons un portrait de femme, en buste [ill. 10] ; deux scène de visite familiale [ill. 11 et non reproduite] et une scène pseudo historique assez fantaisiste [ill. 2 et 12].
- enfin, 3 cuivres ne se rattachent pas à ces groupes :
- Une planche de moyen format, figurant un paysage gravé à l’eau-forte. [ill. 14]
- Un cuivre étroit gravé d’un Pierrot, à peine lisible. A première vue, il s’agirait d’une pièce du XXe siècle. [non reproduite]
- Un cuivre à l’aspect différent des autres, plus épais, figurant un portrait d’homme [ill. 13]. J’ai beaucoup de mal à en identifier la technique de gravure employée. A la présence de trou de repérages, on peut en déduire qu’il s’agit d’une planche d’impression d’une gravure en couleurs. La mention « rouge », gravée sur la bordure, confirme l’hypothèse. Avec cette seule planche, impossible d’imprimer l’image : il me manque les planches des autres couleurs !
Dans l’ensemble, les planches sont en bon état. La quasi-totalité a été aciérée. L’aciérage est une technique apparue au XIXème siècle qui consiste en le dépôt d’une fine pellicule de fer sur la plaque de cuivre au moyen du procédé galvanique. L’aciérage renforce la résistance du métal et permet d’obtenir de plus nombreux tirages en réduisant l’usure des matrices. Cependant, les plaques aciérées sont facilement sujettes à la rouille, c’est pourquoi il convient de les vernir. Un de mes matrices, justement, a été attaquée par la rouille [ill. 5]. Dans mon lot, la plupart des plaques sont vernies, quoique celui-ci n’ait pas toujours été posé avec soin. Certaines planches ont été mal nettoyées et le vernis comporte parfois des auréoles [ill. 9]. Certaines planches ont été vernies après avoir été encrées : les tailles apparaissent noires, ce qui rend leur motif plus lisible [ill. 3].
Voici donc un premier aperçu de mon lot de matrices. La prochaine étape va constituer à les observer plus attentivement, à les photographier dans les détails afin de les identifier (trouver leur auteur, la date des tirages…), de reconstituer leur histoire (comment me sont-ils parvenu, quel est leur parcours ?) et d’analyser leur technique et leur état de conservation.
La suite dans le prochain épisode. N’hésitez pas à laisser des commentaires/poser des questions, cela alimentera le billet n°2!
![[ill. 16] Le ménage, détail](http://peccadille.net/wp-content/uploads/2013/01/img_5237-copie.jpg)
On attend la suite avec impatience! Bonne enquête!
la suite, la suite, la suite!
Super intéressant!!!
Manière de crayon est à la gravure ce que la sanguine est au dessin (mais on ne dit pas sanguine pour une gravure !) 😉
Merci pour cette précision 🙂 Erreur corrigée!
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