Décennie 1890, Paris se couvre d’affiches. La loi de juillet 1881 a instauré la liberté d’affichage. Aucune palissade, aucun pan de mur, pas même celui d’un lieu sacré n’est épargné par la frénésie du collage. S’accumulent sur le bois, la brique ou la pierre des couches de papiers aux couleurs vives. Belles images, les affiches sont conçues comme éphémères. A peine lacérée, à peine la couleur un peu passée, voici qu’on la couvre d’une autre. Pourtant, nos bibliothèques et nos musées conservent de cet âge d’or de l’affiche illustrée des témoins représentatifs et nombreux. Aussi éphémère soit-elle, l’affiche a survécu, a été conservée. Les collections publiques sont nées du dépôt légal, versé par les principaux imprimeurs, mais aussi des dons de généreux amateurs, qui, pris de passion pour ces images colorées, les ont accumulées dans leur cabinet, avant de s’en défaire au profit du patrimoine national.
Il est remarquable de constater que la figure du collectionneur d’affiches est née en même temps que l’affiche illustrée elle-même. Dès les premiers développements de la réclame chromolithographiée, des connaisseurs accumulent ces images nouvelles et industrielles.

Aussi précoce soit-elle, cette mode de collectionnisme fut éphémère. Son acmé coïncide avec l’âge d’or de l’art de l’affiche, que l’on peut situer entre 1886 et 1896. Quelques années pendant lesquelles l’Affichomanie, terme forgé en 1891 par Uzanne, triomphe.
A travers les collections numérisées de Gallica, je vous propose un itinéraire à la découverte de cette mode, de sa naissance dans un milieu d’hurluberlus décolleurs d’affiches à sa consécration qui mènera à son déclin.
Une passion précoce pour l’affiche illustrée.
Le collectionneur d’affiche est donc apparu un même temps que l’affiche illustrée. Alors que Chéret inaugure les belles compositions en chromolithographie, quelques amateurs éclairés commencent à collecter ces produits nouveaux, fruits de l’industrialisation et de la naissance de la société de consommation. Ces amateurs sont, dans les années 1880, encore fort peu nombreux. Il n’y a alors ni marchands spécialisés, ni marché et c’est par leurs contacts avec les imprimeurs, les artistes ou les colleurs eux-mêmes que les collectionneurs rassemblent ces images, quand ils ne vont pas jusqu’à les décoller directement dans la rue. Quelques libraires vendent bien des affiches, mais ces pratiques restent encore très marginales.
Cependant, l’intérêt pour l’affiche se manifeste chaque jour davantage. Les spécialistes de l’estampe en observent les développements, tandis que de plus en plus d’artistes s’y essaient. L’affiche devient le reflet des avants gardes.

L’année 1886 marque un tournant. Alors que l’art de l’affiche n’a que quelques années, paraissent les premières études qui lui sont consacrées. Ernest Maindron, qui a signé deux ans plus tôt dans la Gazette des Beaux-Arts le premier article consacré à l’affiche française (à lire ici et ici ) publie un ouvrage intitulé les affiches illustrées tandis que Béraldi, historien de l’estampe contemporaine, consacre dans le quatrième tome des Graveurs du XIXe siècle un long chapitre à Jules Chéret (avec un supplément). La mode est lancée ; les expositions se succèdent : on présente au champ de Mars, dans le cadre de l’Exposition universelle de 1889, une rétrospective de l’affiche française. Les collectionneurs se multiplient et il revient à Uzanne de baptiser la mode « affichomanie ».
Une mode fugace : l’affichomanie
Le terme est né en 1891 dans un article d’Uzanne. L’affiche est à la mode et les amateurs sont chaque jour un peu plus nombreux. Alors que les premiers amateurs se servaient à la source, jouant de leur débrouillardise ou de leur réseau, un premier marché se structure. Sagot s’impose comme le principal marchand spécialisé dans l’affiche.

Pour obtenir de belles épreuves, amateurs comme marchands soudoient les colleurs qui y trouvent un moyen efficace d’arrondir leur salaire, bien que les affiches portent la mention « cette affiche ne peut être vendue ». Cette pratique frauduleuse irrite les sociétés d’affichage et leurs clients, entraînant de bien rocambolesques aventures. Les colleurs sont « fliqués » par des inspecteurs tandis que certaines sociétés obtiennent des perquisitions chez des marchands et des collectionneurs !

On spécule sur l’affiche : les éditeurs et les imprimeurs réservent les meilleurs tirages au marché de l’art. Voici que l’on commercialise désormais des tirages d’essais, des tirages avant la lettre et même… des exemplaires signés et numéroté. Une situation que Maindron déplore dans la seconde édition de son ouvrage.
Attirant les amateurs de gravures, l’affiche illustrée, reflet des avant-gardes, en vient à adopter les codes de l’estampe artistique, cultivant le même goût de la rareté. Des marchands, dont Sagot, se mettent à eux-mêmes éditer, à très petits tirages, des affiches d’art, tandis que naît une presse spécialisée, qui rassemble sur les mêmes pages estampes artistiques et affiches. Ainsi, la revue la Plume consacre en 1893 un numéro spécial à l’affiche tandis qu’en 1897, est lancée l’Estampe et l’affiche. Cette dernière revue répertorie les publications de nouvelles affiches et enregistre les prix atteints dans les ventes publiques.
La mode bat son plein : en 1896, Chaix et Roger Marx se lancent dans une publication en livraison, Les maîtres de l’Affiche, un musée de papier des plus belles pièces crées. L’édition connait un important succès de librairie tandis que Roger Marx, le premier, appelle de ses vœux à la création d’un véritable musée de l’Affiche.
Mais alors que le monde des collectionneurs d’affiche se structure, déjà il s’essouffle. L’âge d’or des affichistes tire à sa fin. Devenu trop commune, l’affichomanie lasse. La mode passe mais déjà l’affiche entre dans le patrimoine avec la donation, en 1901, par Pochet, de sa collection à l’UCAD, noyau du futur Musée de la Publicité, qui sera ouvert en 1978.

Pour aller plus loin
L’Affichomanie : collectionneurs d’affiches, affiches de collection, 1880-1900, catalogue de l’exposition du musée de l’Affiche, 22 janvier-5 mai 1980, Paris, Musée de l’Affiche, 1980.
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