Pour la Nuit des Musées, le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) ouvrait de façon exceptionnelle ses portes. Quatre mille cinq cent mètres carrés de laboratoire sous les parterres du Louvre où sont analysés, étudiés et restaurés les objets des collections françaises. Un endroit fascinant où se concentrent un personnel scientifique hautement qualifié et un outillage technologique de pointe, au service des œuvres. Si vous avez raté le rendez-vous, je vous emmène en séance de rattrapage, photographies à l’appui.
Un laboratoire scientifique au service des collections
Combien de visiteurs du Louvre se doutent que sous les parterres de verdure des jardins du Carrousel, se trouve un des plus fascinants laboratoires de recherche scientifique sur les œuvres, doté notamment d’un accélérateur de particules ?
Il y a pourtant, sous la pelouse face à l’aile de Flore, un laboratoire de 4500 mètres carré où travaillent près de 160 personnes, tant des conservateurs du patrimoine que des ingénieurs, des restaurateurs et des documentalistes.
Certains pourraient se demander à quoi peuvent bien servir des analyses biologiques ou un accélérateur de particules dans lieu consacré à l’histoire des arts. Pour correctement conserver et comprendre ces témoins du passé, il ne suffit pas de connaître la biographie des artistes qui les ont créés, leur signification ou leur itinéraire au cours des siècles du commanditaire au collectionneur. L’histoire de l’art ne se comprend pas qu’au travers des analyses stylistiques et à l’exploitation des archives, mais exige des domaines de compétences beaucoup plus larges. Les champs de la recherche scientifique sur les matériaux (physique, biologie…) sont aujourd’hui des composantes essentielles de l’écriture de l’histoire de l’art et de la bonne conservation du patrimoine matériel. Tout l’équipement scientifique utilisé au C2RMF sert à caractériser les matériaux, afin d’effectuer des datations, authentifier des œuvres, comprendre comment elles ont été créées, constater de leur état de conservation, et ainsi préparer leur éventuelle restauration ou tout simplement définir les conditions idéales pour leur préservation.
Devant l’étendue de ces enjeux, on comprend bien vite que le point fort du C2RMF est l’interdisciplinarité de ses équipes : ici, l’historien de l’art dialogue avec l’ingénieur physicien, les conclusions du biologiste guident de l’intervention du restaurateur et le documentaliste classe les archives produites par tous les acteurs du centre…
Il aurait été impossible, en une seule visite, de présenter la multiplicité des activités du centre. Le parcours était donc organisé en quatre étapes, comme quatre aperçus des missions menées par le C2RMF.
La photographie et la radiographie au service de l’étude des œuvres
Toute intervention sur une œuvre doit être précédée d’un soigneux examen, car on ne saurait toucher à une œuvre sans avoir bien appréhendé sa composition et ses fragilités. Pour cela, l’imagerie scientifique est d’un grand secours. Au C2RMF, on pratique notamment la photographie sous ultraviolets, la photographie sous infrarouges et la radiographie.

Lors de la Nuit des Musées, une œuvre du Louvre, la Diane chasseresse (Ecole de Fontainebleau, vers 1550) se trouvait dans le studio de prise de vue. Devant les visiteurs, elle était exposée aux ultraviolets. Un spectacle fascinant : dans le noir, la surface peinte devient fluorescente. A bien y regarder, quelques taches sombres se distinguent. Ces endroits qui ne fluorescent pas correspondent à des zones d’altérations ou de repeints, ce qui permet aux chercheurs d’identifier les restaurations antérieures, parfois invisibles à l’œil nu.
A l’étage inférieur, on analysait les résultats de radiographies de différentes œuvres d’art. L’exposition aux rayonnements X d’un objet produit à peu près les mêmes résultats qu’une radiographie effectuée sur un corps humain : là où le matériau est dense, le rayonnement est absorbé et le film apparaît blanc, tandis que là où le matériau laisse passer les ondes, le film vire au noir. Comme la radiographie d’un corps, la radiographie d’une œuvre d’art permet de collecter de nombreuses informations sur toute l’épaisseur de l’œuvre.
Dans le cas de l’Apoxyomène, un antique découvert à la fin des années 1990 dans un lac croate et prêté exceptionnellement par ce pays au Louvre au début de l’année 2013, la radiographie permet d’observer d’une part la structure moderne de soutien (ce qui apparaît le plus nettement sur ma photographie), mais également une infinité de détails (microfissure, soudures…) qui, analysés par des spécialistes, font avancer les connaissances sur les techniques de fabrication et d’assemblage des bronzes antiques.

Les rayons X permettent également de découvrir les dessous des peintures. Ainsi, la radiographie de l’Homme blessé, un des célèbres autoportraits de Gustave Courbet, conservé au Musée d’Orsay révèle des états antérieurs de la composition. Courbet a probablement réutilisé une toile sur laquelle il avait une première fois peint un portrait de femme. Dans le premier état de sa nouvelle composition, il représente un couple endormi, une jeune femme posant la tête sur l’épaule du personnage masculin. Dans un second temps, Courbet fait disparaître sous la verdure le portrait féminin. La où la tête de l’être aimé reposait, figure désormais une plaie. Une retouche que le peintre aurait effectuée suite à sa rupture avec son amante.

Le traitement des objets issus de fouille
Un peu plus loin, les visiteurs pouvaient observer le traitement d’objets métalliques issus de fouilles. Corrodés, leur traitement nécessite une étude préalable très soigneuse dont les résultats détermineront la méthode d’intervention sur l’œuvre. Sous les dépôts qui enserrent cette lourde torque de métal, subsistent des ciselures d’une finesse remarquable. Un restaurateur opérait devant le public à une abrasion délicate sous microscope électronique d’une pièce afin de retrouver le poli originel de l’objet.
Le clou du spectacle : AGLAE, l’accélérateur de particules du Louvre
Aglaé, c’est le petit nom de l’Accélérateur grand Louvre d’analyse élémentaire. Une légende vivante. Il faut dire, occupant à elle seule une immense pièce, la bête est impressionnante ! Trente mètres, il faut bien ça pour bombarder une œuvre de protons à 50 000 kilomètres/seconde !
On l’utilise pour analyser les matériaux constitutifs d’une œuvre. La précision des résultats permet de repérer des éléments traces si spécifiques que l’on peut parfois aller jusqu’à localiser de façon très précise leur provenance. Ainsi, il y a quelques années, la provenance des rubis ornant les yeux d’une statuette babylonienne a pu être établie grâce aux analyses menées avec Aglae. Alors que la statuette a été découverte au Proche-Orient, les rubis y sont incrustés proviennent de Birmanie, à 3000 kilomètres de là. C’est en comparant les éléments traces de plusieurs centaines de rubis dont la provenance était certaine que les scientifiques en sont arrivés à de telles conclusions. Ce genre d’informations, précieuses pour les chercheurs en archéologie, permet de mettre en évidence certaines routes commerciales dont nous n’avons par ailleurs aucune trace écrite.

Pour la nuit des musées, l’équipe scientifique avait choisi de présenter un cas simple : un vase qui, à l’œil du néophyte, aurait pu paraître d’un authentique antique, est en réalité une copie XIXe, fruit des expérimentations du Duc de Luynes pour retrouver les secrets des potiers antiques. Si cela était déjà établi par les historiens de l’art, l’analyse élémentaire de ce vase a permis de mieux appréhender la démarche de cet amateur, et de retracer le cheminement de ses tâtonnements.
Le fonctionnement d’un tel équipement est très coûteux et mobilise, à temps plein, trois ingénieurs. C’est pourquoi Aglae est, à l’échelle mondiale, la seule installation de ce type à être implantée dans un musée ! Afin de rentabiliser de tels coûts, le C2RMF effectue des analyses pour des institutions étrangères dans le cadre de partenariats internationaux.

Un pôle de documentation pour conserver la mémoire des activités du C2RMF
Toutes les activités du C2RMF sont soigneusement documentées et archivées : recherche, restauration, analyse… Toutes les connaissances et documents résultants des activités de chacun des services sont versés au département de la documentation qui classe, organise et procède à la diffusion de ces données. Ce sont ainsi 60 000 dossiers de restauration, des milliers de rapports d’analyse qui sont réunis pour servir aux travaux des générations futures. Grace à cette documentation accumulée, nous gardons la trace des interventions qu’ont connues les œuvres, l’état des connaissances sur leurs matériaux constitutifs. Prises dans leur ensemble, ces données font par exemple avancer la recherche sur les techniques de fabrication des œuvres ou permettent de fixer des normes de bonne conservation. Ainsi, les centaines d’analyses pratiquées sur les bronzes antiques alimentent une base de données grâce à laquelle les chercheurs sont en mesure d’expliquer, de façon de plus en plus précise, les évolutions des techniques de métallurgie des siècles passés.
Le parcours proposé aux visiteurs de la nuit des musées n’offrait qu’un aperçu des activités du C2RMF. Sur le site du carrousel, on ne restaure pas ou peu : les laboratoires sont essentiellement consacrés à l’analyse et à la recherche. La restauration, activité bien évidemment majeure du centre, est pratiquée sur deux autres sites : le pavillon de Flore et dans les anciennes écuries de Versailles. Si j’ai moi-même visité, dans le cadre de ma scolarité ces structures, j’espère pouvoir y retourner pour poursuivre ma série « dans les coulisses des musées ».
Sujet passionnant !
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Article très intéressant, merci pour la découverte. Tu as bien fait de le remettre en avant à l’occasion de la montée des eaux… assez fou de pensé qu’un matériel aussi couteux et récent ait été installé dans un niveau inondable. Je suppose que cela ne se déplace pas comme une fibule !