Le département des estampes et de la photographie de la BnF conserve une singulière collection d’échantillons de papiers peints de la fin du XVIIIe siècle. Constituée entre 1799 et 1803 à la faveur des lois du dépôt légal mises en place pendant la période révolutionnaire, cette collection rassemble 2250 échantillons aux couleurs extraordinairement bien conservées. Jusqu’à leur numérisation en octobre 2007, ces pièces étaient très difficiles d’accès, leur fragilité rendant quasi impossible leur consultation. Or, ce corpus est une source riche et parfaitement documentée pour qui s’intéresse à l’histoire du papier peint à la fin du XVIIIe siècle : tous les échantillons sont inscrits du nom de leur fabriquant, du numéro de catalogue et de leur date de dépôt…

Fin XVIIIe siècle, le premier âge d’or du papier peint
Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les Anglais sont les seuls en Europe à produire du papier peint qu’ils exportent en grande quantité vers le Nord du continent, la péninsule ibérique et l’Amérique. Les français ne sont pas tout à fait indifférents à ces beaux « papiers anglois », notamment ceux imitant les luxueux papiers peints à la main en Chine. A cette époque, la France n’a aucune production équivalente.

Il ne faut en effet pas confondre le papier peint et le papier dominoté, que les artisans français impriment en revanche en grande quantité depuis le début du siècle. Vendu en feuilles, il n’est jamais employé pour orner les murs : on l’utilise plutôt pour habiller l’intérieur d’un placard ou d’un coffre, protéger un livre ou couvrir un cartonnage. Son décor est caractérisé par de petits motifs répétitifs, imprimés à l’encre grasse puis coloriés au pochoir.

Au contraire, le papier peint se présente en rouleau de 10 mètres composés de feuilles raboutées. Les motifs qui l’ornent sont tous imprimés à la détrempe, excluant le coloriage au pochoir. L’appellation de « papier peint » est donc très trompeuse puisque rien n’est peint ! D’ailleurs, jusqu’au milieu du XIXe siècle, le terme pour désigner cette production n’était pas fixé, les contemporains parlant indifféremment de « papier de tenture » et de « papier peint ».

Ce n’est donc qu’à partir de 1760 qu’une production de « papier peint » est attestée en France. La guerre de Sept ans n’est pas étrangère à la rapide croissance de ce secteur économique. En effet, l’interruption des relations commerciales entre la France et l’Angleterre, qui empêche l’importation des « folckpapers » et autres papiers londoniens, concoure grandement à l’essor des manufactures françaises, qui se multiplient de façon fulgurante. En 1788, l’Almanach de Paris recense 48 « papetiers en meubles » dans la capitale ! Si elles sont nombreuses, ces fabriques sont aussi de tailles très diverses, allant du modeste atelier comptant deux employés à l’immense manufacture où œuvrent 400 ouvriers. En quelques années, l’offre comme la demande ont explosé et le papier peint touche désormais un pan assez large de la société.

Un nouveau mode de décor
L’essor du papier peint en France dans le dernier tiers du XVIIIe siècle accompagne et participe de l’évolution de l’habitat. La société, notamment dans les classes moyennes et supérieures, aspire à plus de confort et d’intimité. On observe le développement d’appartements privés qui, au contraire des grands appartements d’apparat hérités du siècle précédent, s’articulent autour de pièces plus petites, plus confortables et destinées à des usages spécifiques (cabinets, boudoirs…). Aux lourdes tapisseries, aux boiseries et aux peintures, on préfère maintenant le charme douillet des nouveaux matériaux que sont les indiennes et le papier peint. Le logement est désormais mieux isolé, mieux aéré et mieux chauffé. La généralisation des poêles et l’amélioration des cheminées contribuent à réduire l’humidité des bâtiments : c’est là une condition essentielle pour pouvoir employer le papier peint, matériau si sensible aux conditions hygrométriques.

Par ailleurs, les modes de consommation se transforment, et la société se montre plus sensible aux effets de mode. Economique, relativement facile d’emploi, offrant une grande diversité de motifs, le papier peint s’impose comme un moyen de décor renouvelable, à même de s’adapter aux variations très fréquentes du goût et au désir de paraître d’une classe bourgeoise montante.
Des papiers peints pour tous les goûts et tous les portefeuilles
Si le succès du papier peint est fulgurant et que son usage se diffuse dans les différentes couches de la société, tous les milieux ne consomment pas les mêmes produits. L’une des forces du papier peint est de s’adapter à tous les budgets, espaces et aspirations. En un mot, le papier peint est flexible.
L’inventivité et la finesse des motifs, la beauté des coloris, le grain du papier, le soin apporté à l’impression sont autant de critères qui définissent le prix d’un papier. Si les papiers à motifs répétitifs imprimés en une ou deux couleurs sont assez bon marché, ce n’est pas le cas des luxueuses compositions colorées imitant les papiers importés de Chine. La qualité du papier, le nombre des pigments et l’harmonie des motifs font de certains papiers des articles extrêmement coûteux. Paradoxalement, les papiers parfaitement unis sont hors de prix, tant ils sont difficiles à obtenir.

Selon le volume et l’importance de la pièce au sein de l’habitat, on choisira d’assortir au papier de fond un ou plusieurs éléments : bordures, frises, plinthes, dessus de portes ou panneaux aux ornements plus ou moins riches.
La mise en place du papier est également plus ou moins complexe en fonction du budget que l’on souhaite lui consacrer. Le papier ordinaire, destiné aux espaces secondaires (couloirs, chambre de domestiques) ou aux logements plus modestes de la classe moyenne, sera posé directement sur le mur. Un papier de facture moyenne sera posé sur une sous couche de papier brun, destiné à harmoniser la surface et à protéger le papier imprimé d’éventuelles remontées d’humidité. Quand aux papiers les plus onéreux, ils ne sont pas directement collés au mur mais posé sur un châssis de toile. Ils peuvent ainsi être retirés sans dommage en cas d’évolution de la mode afin d’être réutilisé ou revendu. Si la pose d’un papier ordinaire peut être confiée à un domestique « habile de ses mains » ou à un peintre décorateur qui complète ainsi ses activités, les plus luxueux papiers sont posés par des ouvriers colleurs spécialisés et dépêchés par le marchand ou le fabricant. Le coût de la pose a dans ce cas été négocié au moment de l’achat des lés.
Les mille et un motifs du papier peint
L’immense répertoire des motifs y est pour beaucoup dans le succès du papier peint. Les manufacturiers les plus importants proposent 40 à 80 nouveaux motifs par an, déclinés dans plusieurs couleurs. L’innovation et le renouvellement sont les clés de la réussite : les manufacturiers choisissent avec grand soin les dessinateurs de leur modèle et veillent farouchement à contrecarrer la contrefaçon, évidemment légion dans un domaine aussi lucratif.
Dans les premières années de son développement en France, le papier peint demeure très tributaire des règles traditionnelles d’ordonnancement du décor intérieur, qu’il imite en trompe l’œil. Ainsi, le bois, le marbre, les stucs, le plâtre des moulures, et jusqu’aux caissons du plafond deviennent des illusions de papier. On assemble sur mesure différents éléments imprimés : sur un fond uni, se placent la découpe d’un faux lambris, d’une plinthe, d’une corniche, d’un dessus de porte. Le mur est rythmé de fausses colonnes tandis qu’un papier bleuté remplace le couteux miroir de cheminée. Un vrai jeu de découpage et d’assemblage !
Par la suite, le répertoire du papier peint se singularise, imposant ses propres codes décoratifs et ses solutions innovantes. Mais toujours, les manufactures s’inscrivent dans les courants de mode qui traversent leur époque.
La fleur est l’un des motifs les plus prisés du papier peint : stylisée à l’extrême ou représentée au naturel, elle s’épanouit en treillages, guirlandes ou bouquets. Les échanges entre le monde du textile et du papier peint, sont, dans le domaine des compositions florales, intenses. On doit à Malaine, qui fut « peintre en fleurs » au service du Roi juste avant la Révolution, les plus délicats dessins.
Le goût exotique est prisé pour les petits salons et boudoirs et autres espaces féminins. On y tapisse des papiers imitant les véritables papiers peints à la main à Canton. Seules les plus grandes fortunes peuvent s’offrir ces produits de grand luxe, importés à prix d’or par la Compagnie des Indes depuis 1680. A moins d’être Madame de Pompadour, il faut souvent se contenter des imitations parisiennes ou anglaises qui juxtaposent oiseaux, fleurs, magots et pagodes de fantaisie puisés dans les estampes de Jean-Baptiste Pillement.
Le goût « Chinois » est balayé vers 1780 par le style néoclassique qui impose tout d’abord un répertoire d’arabesques et de grotesques. Les dessinateurs des manufactures déclinent alors à l’envie les motifs des Loges de Raphaël. La découverte des élégantes fresques romaines de Pompéi et d’Herculanum, offre de nouvelles pistes pour les manufacturiers. Au tournant du siècle, l’intérêt largement partagé pour l’archéologie génère une profusion de palmettes, architraves, volutes, rosettes, putti, feuilles d’acanthes, fleurons, qui se mélangent dans les styles « classique », « grec » et « étrusque » aux coloris parfois très soutenus.
La principale source des dessinateurs est formée par les très onéreux recueils gravés que leur fournissent les manufacturiers : ainsi Arthur et Grenard n’hésitent pas à investir plus de 1500 francs dans l’acquisition des Loggie di Raffaelo nel Vaticano publiées par Volpano et Camporesi en 1772-1773, de Le Antichita di Ercolano, publié à Naples en 1757 et de la Description des bains de Ponce, édité en 1786.
Au lendemain de l’expédition de Bonaparte en Egypte, le papier peint n’échappe pas à l’égyptomania qui s’empare de Paris. Les murs se parent de sphinges, de sphinx et d’élégants profils…

Et vous, parmi les 1500 échantillons que vous propose Gallica, comment auriez-vous composé votre décor ?
J’adore ! Il y a de vraies merveilles ! Mentions spéciales pour les Paons et les sphinxs !
Oui, j’ai d’ailleurs eu un mal fou à opérer une sélection! L’abondance des illustrations en témoigne, je crois …
J’ai toujours trouvé que le papier peint avait quelque chose de reposant et de très noble, cela dit, difficile de l’intégrer dans un appartement moderne, au risque de paraitre « vieillot ». Il n’en reste pas moins un vrai plaisir pour les yeux !
Splendide article !
Ping : Généalogie d’un papier peint | daieuxetdailleurs's Blog
C’est très beau, et inspirant… Justement en ce moment j’essaie de compiler une petite liste de ressources entrées (*) dans le domaine public, et cette liste de papiers peints y a toute sa place, merci !
Les petites fleurs sur fond mauve, là, j’avoue, ça irait très très bien dans mon bureau… hihi !
(*) Tu vois je fais des efforts… 🙂
Bravo ! J’espère que nous te verrons au prochain festival du domaine public, tu pourras faire ton marché parmi des millions de ressources 🙂
Anecdote drôle à propos de ce papier peint : apparemment, ce billet sort bien dans google image. Mais les gens ne reste jamais longtemps : ils fuient dès qu’ils comprennent que ce papier là n’est pas à vendre !
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