Depuis une quarantaine d’années, les petites écuries du château de Versailles servent d’entrepôt à 5000 statues : des marbres magnifiques et une cohorte de plâtres plus ou moins ravagés par le temps, issus des collections du Musée du Louvre, de l’Ecole des Beaux-Arts et de la Sorbonne. Le 2 mars prochain, le château de Versailles ouvre exceptionnellement les portes des Petites écuries. Une occasion unique d’admirer les pièces de la Galerie des Sculptures et des Moulages.
Edit du 3 avril 2014 : jusqu’à septembre 2014, la galerie sera ouverte le premier dimanche de chaque mois [Plus d’info]
Le refuge des marbres des jardins de Versailles
Pour orner les jardins dessinés par Le Nôtre, Louis XIV commande plusieurs centaines de sculptures : vases, statues copiées de l’antique, mais aussi des créations originales dues aux ciseaux des meilleurs artistes de son temps : Girardon, Coysevox…
Près de trois siècles d’exposition aux intempéries et à la pollution ont gravement endommagé certains groupes sculptés. Pour les protéger, le château de Versailles a lancé en 2008 une grande campagne de restauration. Certaines statues ont été remplacées par des copies en poudre de marbre. Moulées directement d’après les originaux, ces copies font parfaitement l’illusion dans les jardins, tandis que les chefs-d’œuvre anciens, restaurés, cou

lent des jours paisibles dans les petites écuries.
Il est très émouvant, pour le visiteur, d’approcher de si près ces pièces monumentales, dont on peut admirer la finesse des détails, la délicatesse du ciseau. La proximité avec le marbre permet même de observer les outrages du temps : la pluie a creusé des aspérités sur l’épiderme d’un bras dodu, émoussé les fins pétales d’une fleur… Dommage que ces chefs-d’œuvre de l’histoire de la sculpture française ne soient pas plus souvent dévoilés à nos yeux !
Et des moulages à perte de vue…
L’immense majorité de la foule immobile des petites écuries de Versailles est de plâtre, et non de marbre… Il s’agit de moulages, réalisés à partir d’empreinte prises sur des originaux, antiques ou non, conservés dans les collections du monde entier. On croise la Vénus de Milo, l’aurige de Delphes, les métopes du Parthénon… Des copies, une collection d’une importance moindre, pensez-vous ? Détrompez-vous, leur histoire est bien plus riche et surprenante qu’il n’y paraît…
En France, la première collection de moulages voit le jour au XVIe siècle. François Ier, soucieux d’offrir aux artistes qui œuvrent à Fontainebleau un ensemble de modèles antiques, envoie des émissaires chercher en Italie des copies de sculptures grecques et romaines.
Pour assurer une copie « authentique », on recourt à la technique du moulage, c’est-à-dire que l’opérateur prend directement sur l’original une empreinte qui sert de moule à de multiples copies en plâtre.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, plusieurs collections de moulages sont constituées, notamment au sein de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, où la copie d’après l’antique forme le cœur de l’apprentissage des artistes.
Mais c’est surtout au XIXe siècle que la production de moulages va prendre un essor exceptionnel. Alors que la technique s’améliore et que se structure l’enseignement de l’histoire de l’art, la collection de moulages ne se cantonne plus seulement aux ateliers d’artistes. La valeur didactique de la copie en plâtre justifie sa place dans les universités et les musées. Au musée, elle vient combler les lacunes de la collection et favorise les comparaisons. A l’université, elle permet de produire un discours sensible et facilement perceptible de l’histoire de l’art.
Les plâtres conservés dans les petites écuries de Versailles sont issus des collections du musée du Louvre (département des antiquités grecques, étrusques et romaines), de l’Ecole des Beaux-Arts et de la Sorbonne. L’évolution du goût au XXe siècle, et notamment la déconsidération de la copie ont contribué à reléguer ces collections en réserve, voir à tout simplement les détruire. Après mai 1968, les plâtres qui ornaient la cour vitrée de l’Ecole des Beaux-Arts quittent Paris pour Versailles, alors que se profile une grande réforme des études. Il faut dire que ces fragiles témoins de l’enseignement passé avaient subi un important vandalisme durant les «événements », comme en témoigne ce plâtre qui porte encore un graffiti à caractère politique.

Le moulage, un objet patrimonial
Depuis une dizaine d’années cependant, ce patrimoine un temps méprisé bénéficie d’un intérêt renouvelé : les études scientifiques se multiplient, les collections sont restaurées et font même parfois l’objet d’expositions. Le musée des Monuments français a rouvert au sein d’une toute nouvelle Cité de l’Architecture et la récente exposition Angkor s’appuyait en grande partie sur des moulages du XIXe siècle. Au-delà de sa beauté « romantique », le moulage a encore beaucoup à nous apprendre : d’une part, parce qu’il est un témoin incontournable de l’histoire de l’histoire de l’art et d’autre part parce qu’il devient parfois un « nouvel original ».

Le moulage est un témoin historiographique de premier plan : en étudiant les collections de copies et leur constitution, le chercheur apprend beaucoup de la manière d’écrire et d’enseigner l’histoire de l’art aux siècles précédents : quelles œuvres étaient mises en exergue, quelles autres rejetées ? Quelles œuvres étaient rapprochées, quelles autres opposées ? Comment reconstituait-on tel archétype antique, dont le dernier témoignage retrouvé était incomplet ? On trouve en effet dans les collections des copies faites à partir de sculptures « remontées » après leur découverte. Parfois, les érudits se trompaient et assemblaient deux morceaux provenant d’œuvres différentes. Si l’erreur est aujourd’hui corrigée, il est toujours intéressant pour le chercheur d’en conserver la mémoire : le double de plâtre est en ce sens une parfaite « image » de la compréhension passée d’une oeuvre. Dans d’autres cas, le moulage a précisément été effectué pour proposer des hypothèses de reconstitution (voir mon billet sur la collection de l’Université de la Sapienza).

Par ailleurs, le moulage tend à devenir, dans certain cas « un nouvel original ». Le moulage est, par essence, un multiple, une copie, mais il arrive que l’original sur lequel l’empreinte a été prise disparaisse, ou se détériore de façon irrémédiable. C’est le cas de certains portails romans, dont la Cité de l’architecture conserve des copies réalisées avant restauration, ou des plâtres d’Angkor, qui, bien que devant être analysés avec précaution, restituent un état bien mieux préservé que ce que nous pouvons aujourd’hui admirer au Cambodge. Il est donc nécessaire et primordial de prendre soin de ces collections. A Versailles, les restaurations ont déjà commencé. Allez les admirer !

Merci à Philippe-Alexandre Pierre qui a patiemment retouché les photos qui illustrent cet article.
Toutes les informations pratiques sur les ouvertures de la galerie
Superbe article! Je me note le 3 mars dans mon agenda 😉
Merci! Attention, c’est le 2 mars, et non le 3!
Bel article, outre les photographies (bien évidemment) mais surtout par l’effort effectué sur le respect de la typographie. 🙂
Merci pour cet article, c’est toujours un plaisir de lire vos compte-rendus en forme d’invitation. La photographie du moulage en plâtre de la Venus du Capitole, le haut du buste en cellophane et munie des ses « bracelets de parchemin » est une véritable œuvre d’art sur la trace du temps et l’impérieuse nécessité de la conservation. Merci à vous
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