En 1829, l’Egypte offre à la France un cadeau d’envergure : les deux obélisques du temple de Louxor. Un présent légèrement encombrant : deux colosses d’une vingtaine de mètres pesant 230 tonnes pièce! Le voyage de l’un des obélisque jusqu’à Paris est une aventure pleine de rebondissement.
Ce billet est le second volet d’un triptyque de trois articles accompagnant l’exposition « Le voyage de l’obélisque« présentée jusqu’au 6 juillet 2014 au Musée de la Marine. Si vous avez raté le premier épisode, celui de l’histoire de la place Louis XV avant l’arrivée de l’obélisque, vous pouvez le lire ici.
De l’art de négocier ses cadeaux diplomatiques
Au début du XIXe siècle, l’Europe occidentale a des désirs de monuments égyptiens. La campagne d’Egypte de Napoléon Bonaparte (1798-1801) a lancé la mode de l’Egyptomanie et Paris et Londres jalousent Rome et ses 12 obélisques.

Une envie que Méhémet Ali, général ottoman à la tête de l’Egypte a bien comprise : en 1829 il décide d’offrir à la France deux obélisques pour son aide dans la modernisation du pays. Offrir des monuments antiques comme cadeau diplomatique, à l’époque, ça ne choque (presque) personne, et c’est plutôt monnaie courante !
Alors que Méhémet Ali propose d’offrir les deux obélisques d’Alexandrie, Champollion, qui connait bien l’art égyptien négocie d’obtenir à la place les obélisques du temple de Louxor, plus beaux et mieux conservés. Malin, il suggère même au gouverneur de donner un de ceux d’Alexandrie aux anglais, très jaloux du cadeau fait à la France. Un choix plutôt flatteur, puisque qu’il s’agit de l’obélisque le plus haut (44 mètres) mais aussi empoisonné, car Champollion sait bien que le monument est intransportable ! Ceux de Louxor, quand à eux, ne mesurent « que » 23 mètres pour environ 230 tonnes.
De l’art de faire tomber un obélisque…
Quelques mois plus tard, après que le don ait été confirmé, le parlement français vote le transfert de l’un des deux obélisques du temple de Louxor. Les chantiers de la Marine à Toulon lancent la construction d’un bateau spécialement dédié à l’opération, le Luxor. En avril 1831, le navire quitte Toulon avec 121 hommes à son bord et des tonnes de matériel. L’équipage arrive à Alexandrie en juin. Ce n’est que le 14 août 1831 qu’ils atteignent enfin leur but, après une difficile remontée du Nil par halage. Il faut dire que Louxor est à 850 km en amont du Delta !

Au pied du monument, trois mauvaises surprises attendent l’expédition : le pied de l’obélisque est ensablé et entouré d’un village de trente maisons, et une grosse fissure de 8 mètres de long, jamais signalée auparavant fragilise sa base. Trois découvertes qui compliquent les opérations : il va falloir désensabler, exproprier… sans être sur que l’obélisque de 230 tonnes supporte sa mise à terre sans se briser ! Et pour couronner le tableau, une terrible épidémie de Choléra sévit dans la région.
Malgré tout, il faut se lancer dans les travaux : on déblaye en partie les 3,80 mètres de sable à la base de l’obélisque et on construit une rampe de halage pour traîner le monument jusqu’au fleuve, à 400 mètres de là ! Le monument est emballé dans un coffrage de bois pour être protégé. Pour ces différentes opérations, de très nombreux ouvriers sont recrutés dans la région.
Le 31 octobre 1831, tout est fin prêt pour faire tomber l’obélisque. Un important appareil, actionné par 200 hommes a été construit pour faire basculer le monument en toute sécurité… ou plutôt le croit-on ! Car une partie des supports cèdent et le tout menace de rompre. Si le pire est évité, l’obélisque se retrouve au sol orienté dans une mauvaise direction : il faut plusieurs jours de travail pour le remettre sur l’axe du chemin de halage, puis près d’un mois et demi pour le traîner jusqu’au bateau !

De l’art de la patience
Le 25 décembre, l’obélisque est dans la cale et le bateau est prêt à repartir… mais il n’y a pas d’eau dans le fleuve ! Les français doivent attendre le retour de la crue… prévue pour juin !


Sur place depuis déjà 4 mois, l’équipage s’est confortablement installé : certains jardinent dans leur potager, d’autres organisent des chasses et des promenades. Des fouilles archéologiques sont menées autour du site, et une expédition va jusqu’à Abou Simbel en Nubie. Chacun collecte pour son propre agrément ou pour l’Etat des objets antiques (parfois monumentaux) et des spécimens zoologiques. Ils rejoindront au retour des collections publiques et privées, « offerts » ou vendus aux plus offrants.
Cette année là, la crue se fait attendre et ce n’est que le 25 août 1832 que le bateau peut quitter Louxor, soit 1 an et dix jours après son arrivée ! Et l’équipage n’est (toujours) pas au bout de ses peines : la descente du fleuve est difficile et le navire ne cesse de se prendre dans des bancs de sable. L’équipe est affaiblie, et la dysenterie fait des ravages. Ce n’est donc que le 2 janvier 1833 que le convoi atteint enfin Alexandrie, où le temps est trop mauvais pour prendre la mer. Voilà encore 3 mois d’attente !

La mauvaise tenue en mer du Luxor à l’aller l’empêche d’entreprendre la traversée de la Méditerranée seul : la Marine française a donc dépêché sur place le Sphinx, puissant bateau à vapeur, le premier de la Marine française, chargé de le remorquer. Parti le 1er avril d’Alexandrie, le convoi arrive à Toulon le 10 mai : la consommation gargantuesque du remorqueur (960kg de charbon à l’heure) oblige à d’incessants ravitaillements. A Toulon, le navire est mis en quarantaine, puis autorisé à rallier Cherbourg par Gibraltar et la façade atlantique. Après un arrêt de 10 jours à Cherbourg, le Luxor atteint enfin Le Havre le 12 septembre 1833. Le sphinx repart en mer tandis qu’un petit remorqueur se charge de la remontée de la Seine… avant d’être coincé à Rouen. Encore une fois, une histoire de crue ! Trois mois de patience encore ! Le 23 décembre, enfin, l’obélisque arrive à Paris. Soit 32 mois après le départ de l’expédition depuis Toulon !
De l’art de faire le buzz
Pour la plupart des membres de l’expédition, ce voyage de l’obélisque aura été l’aventure de leur vie ! Les membres de Etat-Major publient leurs souvenirs sous forme de relations de voyage. Nombre d’entre eux sont consultables sur Gallica.
Le plus précieux est sans doute celui du lieutenant Léon de Joannis, second du Luxor. Habile dessinateur, il avait occupé son séjour à Louxor à représenter les paysages égyptiens et les événements marquants de l’aventure. Ses dessins et aquarelles, gravés à son retour, illustreront avec bonheur son récit de l’expédition, et forment l’une des documentations les plus précieuses que nous en ayons.
Le témoignage d’Apollinaire Lebas donne un autre éclairage sur l’aventure : ingénieur, Lebas a créé les machines pour déposer puis transporter l’obélisque et supervisé toutes les opérations techniques.

En publiant son récit dès 1833, le chirurgien de l’expédition, Justin Pascal Angelin a été le plus rapide. Ayant fait face à deux épidémies de choléra durant le voyage, il consacrera sa thèse à ce sujet.
Il faut également signaler la relation faite par le frère ainé de Champollion, publié en 1833 et celle du lieutenant de l’expédition, M. de Verninac Saint-Maur, publié en 1835.
Plus surprenant est ce petit pamphlet de 15 pages publié par un certain Pétrus Borel. Il dénonce le pillage des sites archéologiques et le transport de l’obélisque jusqu’à Paris. Un avis bien peu partagé, à en observer la passion des parisiens pour le monument qui leur tarde de voir ce dresser dans le ciel de Paris. Il leur faudra trois ans de patience avant qu’il ne trône au centre de la place de la Concorde.
Et encore quelques jours de patience pour vous, chers lecteurs, avant de lire la suite de ce triptyque consacré à la place de la Concorde! En attendant, vous pouvez liker la page Facebook d’Orion en aéroplane ou courir voir l’exposition « Le voyage de l’obélisque » au Musée de la Marine, jusqu’au 6 juillet 2014
Relation excellente par tous les détails méconnus qu’elle donne. Mais je pense que vous employez l’ironie en écrivant « un certain Petrus Borel », lui dont Baudelaire a écrit « Sans Pétrus Borel, il y aurait une lacune dans le Romantisme. »
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