J’ai débarqué au plein coeur de Lisbonne en fin d’après-midi, avec quelques heures à peine pour prendre un premier aperçu d’une ville dont je ne savais presque rien. J’ai effleuré les franges du Bairro Alto, descendu un baco qui m’offrait un premier et éblouissant aperçu de Lisbonne; puis traversé le coeur de la basse-ville – que j’avais jugé un peu hâtivement inintéressante à son plan orthogonal – et remonté en serpentant par les petites rues de la Mouraria, vers les contreforts du château Saint Georges. Entre chien et loup, j’ai décidé de retrouver mon hôtel : il me fallait retraverser la ville basse et le Chiado.
Et au cœur de la ville basse, ce fut l’apparition: face à moi la construction la plus invraisemblable, la plus improbable se dressait. Une tour en dentelle de fer, se détachant dans la nuit, comme tirée d’un ouvrage de Robida : les Lisboètes étaient-ils si fantasques pour avoir construits l’un des embarcadères à aéronef du fameux ouvrage La vie électrique?

Lisbonne est construite sur des collines, un trait topographique charmant qui n’échappe pas aux touristes : il faut sans cesse grimper, marcher pour apprécier toute la beauté de la ville. A la fin du XIXe siècle, alors que le tissu urbain se fait de plus en plus étendu, il faut trouver une solution pour faciliter les déplacements d’un quartier à l’autre. A partir de 1880 un ingénieur franco-portugais, Raoul Mesiner du Ponsard (1849-1914) va couvrir la ville de funiculaires. Bien que formé au génie mécanique en France, il n’est pas, comme on le prétend souvent, un élève de Gustave Eiffel.

En 1884, il construit le funiculaire du Lavra. Celui de Gloria, qui relie Baxia à Bairro Alto est inauguré l’année suivante. Mais la plus célèbre de ses réalisation demeure l’élévador de Santa Justa, inauguré en 1902. Contrairement à ses autres réalisations, il s’agit d’un véritable ascenseur et non d’un funiculaire.

Monument du monde moderne, construit de fer et mu par la vapeur (l’ascenseur fonctionne pendant quelques années grâce à une machinerie à vapeur, remplacée en 1907 par l’électricité), l’élévador présente pourtant une esthétique qui renvoie au passé. L’architecte Jacinto Augusto Mariares a habillé la structure de métal d’ornements néo-gothiques tout à fait pittoresques, mais bien inscrits dans le goût de l’époque. Une époque qui s’enivre de modernité lors des Expositions Universelles, rêve de fantastique dans les romans de Jules Verne, devant les illustrations de Robida ou dans le noir des projections de Méliès.

Valery Larbaud, arpentant Lisbonne en 1926, décrira cette tour fantastique, comme ayant « quelque chose d’impressionnant, de julevernesque, un aspect de machine à visiter la lune ».
Des références qui n’ont cessé d’alimenter mon imagination à chaque fois que j’apercevais l’élégante silhouette de la tour émergeant des toits du Baxia…

Informations pratiques : l’entrée de l’ascenseur coûte cher (5 euros). Apparemment le prix est moins important si l’on dispose de la carte des transports en commun. J’ai accédé à la plateforme gratuitement, directement depuis la passerelle de la place Camo (sans prendre l’ascenseur donc). S’y rendre tôt le matin est un bon plan : j’avais ce « vaisseau » pour moi seule!
Lisbonne, qui n’en tomberait amoureux ? Dès que je la quitte, ma seule envie est d’y revenir passer encore quelques jours, avec en tête les mots de Pessoa, d’Antonio Lobo Antunès surtout, et l’esprit du marquis de Pombal, qui remit la ville en ordre après le grand tremblement de terre de 1755, aller frôler une stèle dédiée à Saramago, prix Nobel de littérature, et tant de choses qui vous traversent comme un verre de ginjinha, alcool à base de cerise avalé à de petits comptoirs ouverts sur la rue. Mais Lisbonne, pauvre aussi, comme un rêve devient cauchemar. Mais là-dessus, je ne veux pas briser « votre » rêve, ni les miens…
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