D’or et de lapis-lazuli, le diptyque Wilton

Le diptyque Wilton est une de mes œuvres favorites de la National Gallery, au point qu’à chaque séjour londonien, je viens lui rendre visite, même pour cinq minutes ! J’ai passé devant ce tableau des heures à me régaler de sa préciosité et à scruter le moindre de ses détails. 

Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery. Detail.
Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery. Détail.

Il s’agit d’un diptyque, c’est-à-dire un tableau composé de deux panneaux. Déployée, l’œuvre présente sur sa face principale, d’une part la Vierge et l’Enfant entourés d’anges, et d’autre part un groupe d’hommes dont trois sont couronnés : il s’agit du roi Richard II d’Angleterre, agenouillé, accompagné de saint Jean-Baptiste, son saint patron, de saint Edmond le Martyr et de saint Édouard le Confesseur. Au dos, les volets présentent deux symboles héraldiques : un cerf blanc couronné et les armes de Richard II d’Angleterre.

Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery.
Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery.
Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery. Detail.
Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery.

Un chef d’œuvre de l’art gothique international

Le diptyque Wilton est d’un raffinement extraordinaire : les couleurs, fraiches et intenses, se détachent sur un fond doré à la feuille. Le lapis-lazuli, le pigment le plus onéreux à l’époque, a abondamment été employé : il orne les robes de tous les anges et de la Vierge.

Au-delà de la préciosité de ses matériaux, le diptyque témoigne du degré de virtuosité atteint par les meilleurs artistes et artisans à la fin du XIVe siècle : la finesse des détails, les modulations des coloris, mais surtout l’extraordinaire travail de la feuille d’or, traitée comme de l’orfèvrerie. Pour animer le fond, l’or a été travaillé au poinçon et au brunissoir, pour dessiner un treillis de verdure…

Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery. Detail.
Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery. Détail.

Si l’artiste est demeuré anonyme, son style trahit une influence forte de l’école siennoise bien que le support (du bois de chêne) et la préparation de ce dernier se rattachent plutôt aux pratiques des écoles du Nord. Proche dans son expression et dans ses dimensions de l’art de l’enluminure qui fleurit à la même époque, notamment à la cour de Bourgogne, le diptyque s’inscrit donc dans un courant européen de la fin du XIVe siècle, désigné sous le nom de « gothique international » et caractérisé entre autres par la préciosité et le raffinement de ses créations.

La valeur extrême de l’œuvre et la présence des armes du roi Richard II ne laissent aucun doute sur sa destination : il s’agit d’un retable portatif destiné à la dévotion privée du roi d’Angleterre lui-même. D’ailleurs, à y regarder de plus près, l’œuvre révèle une véritable mise en scène du pouvoir.

Un message politique très marqué

Agenouillée aux pieds de la Vierge et des anges, la figure de Richard II est entourée de trois saints : saint Jean-Baptiste, son saint patron, saint Edmond et saint Édouard le Confesseur, deux rois anglais béatifiés.

Autour du cou, Richard II porte un pendentif figurant un cerf couronné, motif que l’on retrouve aussi brodé sur son manteau doré. Il s’agit d’un badge, c’est-à-dire un emblème ou un insigne qui désigne une personne. En effet, à la fin du Moyen-Age, la société aristocratique, très raffinée, goûte beaucoup les emblèmes : à l’héraldique s’ajoutent devises (courtes phrases) et badges, adoptés par une famille ou un individu. Souvent, ces emblèmes s’appuient sur des jeux de mots. Ici, le choix d’un cerf blanc fait écho au nom du roi, « Rich » (précieux) et « Hart » (cerf).

Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery. Detail.
Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery. Détail.

Mais le roi n’est pas le seul à arborer un cerf blanc couronné : tous les anges de l’assemblée mariale portent le même badge sur leur robe ! Cela suppose un rapport privilégié avec le roi : en effet, au Moyen-Age, le souverain remettait son badge à ses fidèles lors de certaines grandes occasions. Suivant leur rang, les personnes formant l’entourage recevaient un badge plus ou moins précieux, simplement fondu de plomb ou véritable bijou en métaux précieux, serti de pierres et émaillé.

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Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery. Détail.

Mains ouvertes, Richard II ne prie pas : il vient de remettre à la Vierge et à l’Enfant un présent. Il s’agit de l’étendard que l’ange tient : le fanion présente la croix de Saint-Georges se détachant sur fond rouge, l’emblème de l’Angleterre. Au sommet de la hampe, une boule argentée termine l’étendard. Une restauration, en 1992, a fait apparaître dans cette boule un minuscule détail d’à peine huit millimètres : le reflet d’un bateau et d’une île fortifiée. Dès lors, le symbole est très clair : par ce présent, Richard II remet son royaume l’Angleterre sous la protection de la Vierge et de l’Enfant, qui, en retour le bénit.

Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery. Detail.
Anonyme (Angleterre ou France), Diptyque Wilton, vers 1395-1399, Londres, National Gallery. Détail.

Cette analyse est corroborée par le souvenir d’un autre diptyque, aujourd’hui disparu, qui figurait également Richard II, accompagné de son épouse cette fois-ci, remettant un globe figurant l’Angleterre à la Vierge, le tout accompagné d’une inscription explicite.

Voici comment un objet de dévotion personnelle, précieux, pouvait également délivrer un message politique fort, soulignant le lien entre pouvoir spirituel et terrestre.

Le Diptyque Wilton est conservé à la National Gallery

4 réflexions sur “ D’or et de lapis-lazuli, le diptyque Wilton ”

  • 27 octobre 2014 à 16 h 19 min
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    Je présume que vous êtes allé voir le film récemment diffusé en salles : « National Gallery », documentaire à la fois rigoureux et distancié sur cette institution…

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    • 27 octobre 2014 à 16 h 21 min
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      Pas encore, mais j’en ai entendu beaucoup de bien et la bande annonce m’a donné très envie. Reste encore à trouver 3 h pour voyager virtuellement!

      L’avez-vous vu? Qu’en avez vous pensé?

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      • 30 octobre 2014 à 18 h 37 min
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        @ peccadille : oui, je l’ai vu et il est… « à la fois rigoureux et distancié » !

        Même si sa longueur peut rebuter d’emblée, elle est à la dimension du musée lui-même et passe en revue les pièces principales (lieux et tableaux) mais aussi laisse intervenir les principaux « gestionnaires » de l’institution, qui sont filmés en réunions ou interviewés.

        Les plans sont parfois composés comme les œuvres picturales qu’ils montrent. L’image est soignée…

        Il y a aussi un regard un peu critique sur tout cet apparat (escalade de la façade de nuit par un groupe contestataire avec accrochage d’une banderole…), et au final on a bien envie d’y retourner (pour moi, cela fait un bout de temps que je n’y ai pas remis les pieds !).

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  • 27 octobre 2014 à 17 h 35 min
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    Bel article, qui a le mérite entre autres de rappeler que l’art gothique ne se limite pas aux cathédrales. D’autre part on ne va pas discuter du sexe des anges, mais ceux-ci sont franchement équivoques !

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