Un « meuble-bijou », la Table Teschen

Pendant vingt-cinq jours, le Musée du Louvre expose dans les salles Objets d’Art du XVIIIe siècle de la mosaïque de pierres dures : la Table Teschen. Offerte en 1780 par le duc de Saxe au baron de Breteuil, cette pièce unique pourrait définitivement entrer dans les collections si la générosité du public est au rendez-vous : il manque un million d’euros au musée pour l’acquérir. 

Table Teschen Neuber Louvre 1780 Breteuil
Jean Christian Neuber, Table dite Teschen, 1780, pierres dures et bronze.

Un cadeau diplomatique

En 1778, l’Europe échappe à une guerre. Suite à la mort sans héritier de l’électeur de Bavière, son territoire est disputé par le duc de Saxe et l’électeur Palatin. Alors que s’amorce une guerre, chacun mobilise ses alliés, s’appuyant sur un complexe système d’alliances. La France et la Russie se trouvent engagées et l’équilibre européen est menacé. Le 13 mai 1779, grâce à la médiation de l’impératrice Catherine II de Russie et du baron de Breteuil, envoyé par le roi de France Louis XVI, un accord est trouvé à Teschen où est signé un traité de paix.

Jean-Laurent Mosnier, Louis-Charles-Auguste Le Tonnelier, baron de Breteuil (1730 - 1807), huile sur toile, 1787, Musée du Louvre
Jean-Laurent Mosnier, Louis-Charles-Auguste Le Tonnelier, baron de Breteuil (1730 – 1807), huile sur toile, 1787, Musée du Louvre

Pour remercier le baron de Breteuil de son habileté dans ces négociations, le duc de Saxe lui envoie un présent. Les cadeaux diplomatiques revêtent alors souvent la forme d’un objet d’art, qu’il s’agisse d’une pièce ancienne (une sculpture antique, une peinture fameuse) ou d’une production contemporaine de prestige témoignant du savoir-faire des meilleurs artisans. La table-bijou de Teschen appartient à cette seconde catégorie : entièrement composée de gemmes saxonnes serties dans du bronze, il s’agit de la démonstration du savoir-faire d’un artisan réputé à la cour de Saxe, Jean Christian Neuber.

Table Teschen Neuber Louvre 1780 Breteuil
Jean Christian Neuber, Table dite Teschen, 1780, pierres dures et bronze.

Un chef-d’œuvre de la mosaïque en pierre dure

Jean Christian Neuber (1736-1808) est un orfèvre et entrepreneur réputé de Saxe. Minéralogiste et négociant, il a acheté des mines d’où il triait la matière première de ses créations. Ses tabatières en pierres fines serties étaient prisées dans toute l’Europe.

Jean Christian Neuber, Tabatières, vers 1770-1780, Musée du Louvre
Jean Christian Neuber, Tabatières, vers 1770-1780, Musée du Louvre

Par ses dimensions, la table est une de ses créations les plus extraordinaires: elle reprend le principe des tabatières à beaucoup plus grande échelle, formant un véritable « cabinet » de minéralogie. En effet, elle est composée de 128 échantillons de pierres, de gemmes et de fausses perles enchâssées dans une structure de bronze doré. Chaque échantillon est identifié par un numéro, renvoyant à une courte notice consignée dans un cahier qui se logeait dans un tiroir secret sous le plateau.

Table Teschen Neuber Louvre 1780 Breteuil
Jean Christian Neuber, Table dite Teschen, 1780, pierres dures et bronze.

Livret_Table_Teschen_Neuber

Au-delà de la prouesse artistique, la table forme donc une véritable somme de savoirs : il s’agit d’un objet de délectation scientifique dans l’esprit encyclopédique propre au Siècle des Lumières.

Par ailleurs, cette table présente un caractère exceptionnel en ce qu’elle est une des premières productions de goût néoclassique dans une Allemagne où la mode rocaille bat encore son plein.

Au Louvre quinze jours, au Louvre toujours ?

À son arrivée à Versailles, la table fait sensation et le Mercure de France s’en fait l’écho.

Par miracle, la table a survécu à la Révolution. Restée propriété de la famille de Breteuil, son histoire est néanmoins oubliée : jusqu’à une date récente, on pensait qu’il s’agissait d’un cadeau de l’impératrice Marie Thérèse d’Autriche. Ce n’est que récemment qu’elle a pu être à nouveau documentée.

Jean Christian Neuber, Table dite Teschen, 1780, pierres dures et bronze.
Jean Christian Neuber, Table dite Teschen, 1780, pierres dures et bronze.

Aujourd’hui, la famille de Breteuil souhaite s’en défaire au profit d’une collection publique française. Le gouvernement français l’a classée en 2010 « Trésor national », ce qui en interdit l’export à l’étranger pendant 30 mois. Au terme de ce délai, si l’État ne s’est pas porté acquéreur, l’objet peut quitter le territoire national. La date est déjà dépassée, mais la famille souhaite toujours voir son chef-d’œuvre rejoindre le Louvre.

La valeur de cette table est estimée à 12,5 millions d’euros, ce qui n’est guère surprenant au regard de son caractère unique. Il manque aujourd’hui un million d’euros au musée pour s’en porter acquéreur. C’est pourquoi le musée a lancé une campagne de crowdfounding à laquelle 2000 particuliers ont déjà répondu.

Jean Christian Neuber, Table dite Teschen, 1780, pierres dures et bronze.
Jean Christian Neuber, Table dite Teschen, 1780, pierres dures et bronze.

Afin d’offrir au regard du public ce pour quoi sa générosité est sollicitée, la table a été prêtée par la famille au musée : elle est exposée jusqu’au 10 décembre dans la salle Piranèse du département des Objets d’Art non loin des douze tabatières de Neuber que le musée possède déjà (salle 56). 

Souscription lancée jusqu’au 31 janvier 2015. 

Pour en savoir plus, le mini-site dédié

 [Edit au 15 février : la table a été acquise et intègre les collections]

3 réflexions sur “ Un « meuble-bijou », la Table Teschen ”

  • 26 novembre 2014 à 10 h 29 min
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    L’article est intéressant, comme d’habitude, et les photos sont belles. Mais, si la famille veut que la table reste au Louvre, elle n’a qu’à lui en faire don !

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  • 26 novembre 2014 à 10 h 48 min
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    j’aime beaucoup les propos de vos articles. Je pense que la famille fait ce qu’elle veut et que le Louvre pourrait aussi bien ne pas l’acheter, en fait sa place serait dans un musée de l’endroit où elle a été construite. mais bon…

    Sur les photos : il faut absolument corriger les niveaux – la plupart des logiciels de photo le font en 1 clic, mais on peut raffiner si on veut ; la manipulation vise en fait à corriger un déf

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