Depuis quelques jours, le Palais-Royal a retrouvé sa belle perspective : le théâtre éphémère, qui occupait la galerie sud du jardin est désormais démonté, signe de l’achèvement des travaux de la Comédie Française. Pour fêter l’événement, et parce que le théâtre éphémère me faisait sans cesse penser au « camp des tartares » qui occupait le même espace il y a deux siècles, je vous propose une série de deux billets sur l’histoire du Palais-Royal.

En 1692, le roi donne à Monsieur, son frère, le Palais-Royal, l’ancien Palais Cardinal (bâti entre 1626 et 1642 par Richelieu) et l’immense jardin qui en dépend (il était alors deux fois plus étendu que celui que nous connaissons). Quatre-vingt-dix ans plus tard, en 1780, Philippe d’Orléans, duc de Chartres, reçoit à son tour cette propriété des mains de son père. Très dépensier et toujours à court d’argent, le duc y voit une manne financière intéressante et s’engage immédiatement dans une grande opération immobilière, celle de lotir le pourtour du jardin. C’est alors très à la mode de « lancer » de nouveaux quartiers et ainsi se créer des rentes avec les loyers. Encore faut-il bien s’y prendre.
Un beau jardin aux façades bien ordonnées
Si Philippe d’Orléans veut s’enrichir en lotissant sa propriété, il souhaite cependant conserver l’agréable perspective sur le jardin que lui offre son palais : pour cela, rien de plus simple, il suffit de construire en bordure du terrain une série d’immeubles, qui formeront un bel et calme enclos.

Pour mener à bien son projet, le duc fait appel à l’architecte Victor Louis. Celui-ci propose un modèle d’immeubles mitoyens aux façades identiques, reliés au rez-de-chaussée par une galerie couverte. Chaque maison, d’une largeur de 3 ou 4 arcades, s’élève sur 7 niveaux. La cave, le rez-de-chaussée et l’entresol abritent des activités commerciales. Les étages supérieurs sont divisés en appartements : le premier étage, noble, est destiné aux familles bourgeoises, tandis que le deuxième étage pourra être loué à des jeunes hommes célibataires ou à des femmes entretenues. Le troisième étage, mansardé et doté d’une jolie vue, semble idéal pour les jeunes filles seules, les étudiants et les artistes. Le quatrième et dernier étage est divisé en chambres pour les domestiques. Côté jardin, les façades seront monumentales et ornées de pilastres et de guirlandes. Côté rue, elles présenteront une silhouette plus sobre.

Un projet qui ne fait pas l’unanimité
Mais le jardin est déjà bordé de maisons, le long des rues de Richelieu, des Bons-enfants et Croix-des-Petits-Champs. Les riverains s’opposent avec véhémence à cette opération immobilière qui va les priver de l’agréable vue sur le jardin, lieu de promenade très apprécié des Parisiens. En effet, depuis le XVIIe siècle, le jardin est ouvert au public qui vient y profiter d’un air « pur », particulièrement recommandé aux personnes souffrantes. Les cheminées des nouveaux logements ne viendront-elles pas vicier l’air?

Malgré les protestations vives des riverains et promeneurs, les travaux sont engagés en septembre 1781, presque en catimini. Du jour au lendemain, le duc fait condamner les accès et arracher tous les arbres du jardin : place nette aux travaux! L’entrepreneur Berthault élève les immeubles en respectant scrupuleusement les plans de Victor Louis. En moins de cinq ans, le chantier est presque achevé. Le jardin, dont la surface a diminué de moitié, est maintenant loti sur trois côtés : au nord, à l’est et à l’ouest. Seule la dernière galerie, du côté du Palais, destinée à abriter un musée, n’est encore qu’au stade de fondation.
Le « coup » capote
Il faut dire que Philippe d’Orléans a bien du mal à faire poursuivre les travaux : il est à court de liquidités. Une situation qui aurait pourtant dû être évitée, car lors de la transaction du Palais-Royal, le duc, qui connaissait les penchants dépensiers de son fils, avait pris des dispositions pour que ce dernier ne puisse pas engager de travaux sans avoir réuni au préalable les fonds nécessaires!
Les emprunts et la vente de la collection d’œuvres d’art de sa famille ne lui suffisent pas à renflouer ses caisses. Philippe d’Orléans exige alors que ses locataires paient leur loyer avec six mois d’avance ! Mais rien n’y fait, l’argent manque encore et toujours. En dernier recours, il obtient du roi l’autorisation de vendre certains immeubles (ces derniers lui étaient en principe inaliénables), mais il lui faudra attendre 1787 pour parvenir à se défaire de quelques maisons.
Les caricatures de l’époque, reflet de l’hostilité qu’il rencontre chez les Parisiens, le dépeignent en chiffonnier ramassant les loques à terre, soulignant ainsi qu’il est indigne, pour un membre de l’aristocratie, de se fourvoyer dans de telles spéculations.

L’échec immobilier, mais le succès commercial
Au sud du jardin, sous les fenêtres du Palais, le quatrième côté du quadrilatère, l’aile qui devait abriter le musée de la famille d’Orléans, demeure inachevée. Seules les fondations sortent de terre, un spectacle bien désolant. Pour les soustraire à ses yeux et tenter (encore et toujours) de renflouer les caisses, le duc accepte qu’un entrepreneur établisse une galerie en bois abritant des boutiques. Pensée comme temporaire, cette installation, baptisée « le camp des Tartares » perdurera… quarante ans !

Car si le duc se ruine en travaux, les commerçants qui occupent le pourtour du jardin s’enrichissent. Le Palais-Royal est l’endroit le plus à la mode de tout Paris! Les débuts n’ont cependant pas été faciles pour les locataires des boutiques des arcades. Tout bon commerçant avait flairé la manne que représenterait le Palais-Royal une fois achevé : avant les travaux, il s’agissait déjà d’un lieu prisé, où les marchands faisaient de bonnes affaires. Il y aurait là, très prochainement, des promeneurs qu’il faudrait divertir, rafraîchir, nourrir. Les négociants s’arrachèrent donc les cent quatre-vingts arcades disponibles en location. Pour ne pas voir l’affaire leur filer sous le nez, certains s’y installèrent avant même que les travaux ne soit terminés, s’exposant aux toxiques vapeurs que dégagent les enduits de chaux en séchant.
La suite à découvrir dans le prochain épisode : « là où le cœur du Paris des plaisirs bat »
Article excellent par la qualité du texte comme par celle des illustrations !
Super déçue de pas trouver la suite, surtout que ça allait devenir croustillant 🙁
Oui, malheureusement, le second épisode est toujours coincé dans la catégorie « brouillon ». Mais peut-être ce commentaire va-t-il me donner l’énergie de le sortir de là ??? Aller, je l’ajoute à la to-do-list du mois de février 🙂