Splendeurs des néo-Assyriens : les bas-reliefs du British Museum

Dans les galeries du British Museum, se déploient, sur des dizaines de mètres linéaires, d’immenses pierres finement sculptées en très bas reliefs. Ces précieux panneaux, excellemment conservés, sont les derniers vestiges des prestigieux palais de l’Empire néo-Assyrien, bâtis au nord de l’actuel Irak entre le IXe et le VIIIe siècle avant notre ère. Leurs décors et leurs inscriptions nous délivrent mille et un détails sur cette civilisation.

Roi néo-assyrien chassant : détail des ornements
Détail d’un bas-relief provenant de Ninive : roi chassant le lion, British Museum

Edit de mars 2015 : Ce billet traînait dans mes brouillons depuis plus de six mois, attendant que je rédige une suite sur les collections néo-assyriennes du musée du Louvre. L’actualité dramatique de ces derniers jours, et notamment la destruction des vestiges de Nimrud me poussent à le publier immédiatement, en hommage à l’une des civilisations qui m’ont le plus impressionnée durant mes études.

Un empire aux palais « sans égal »

Au tournant du IXe siècle avant notre ère, les néo-Assyriens, un peuple de commerçants, développent une politique conquérante. Pendant un siècle (de 744 au milieu du VIIe siècle), les néo-Assyriens sont à la tête d’un immense empire s’étendant de la Méditerranée à l’Iran et de l’Anatolie à la Chaldée. L’empire connaitra trois grandes capitales : Nimrud, Khorsabad et Ninive.

Pour chaque roi, la grande entreprise du règne est de se faire construire son palais « sans égal », c’est-à-dire plus somptueux que celui de ses prédécesseurs. Depuis le XIXe siècle, les archéologues en ont identifié une vingtaine ! Immenses, ces palais respectent tous une structure commune, présentant un plan bipartite articulé autour d’une division entre espace public et espace privé.
Chaque palais est une mise en scène du pouvoir : il doit exalter la force royale et intimer le respect aux sujets et aux peuples soumis. Le décor, abondant, est dicté par des impératifs magiques et symboliques, associant des figures protectrices (animaux gardiens, génies ailés) et des représentations du roi en exercice.

Génie ailé : figure protectrice, relief provenant de Nimrud, British Museum
Génie ailé : figure protectrice, relief provenant de Nimrud, British Museum

Des décors somptueux de ces palais, seuls nous sont parvenus les immenses bas-reliefs en pierre (appelés orthostates) qui ornaient les salles tout en protégeant les murs de briques crues. S’y développent sur plusieurs mètres des récits narratifs, éclairés par des légendes gravées dans la pierre. Sculptés avec précision et autrefois peints, ces décors portent une iconographie riche et témoignent du raffinement de la cour néo-assyrienne : on y découvre la splendeur des vêtements et des parures, la beauté des tapis et du mobilier, autant d’artefacts qui ont disparu depuis des siècles !

Orthostate : bas relief de Ninive, British Museum
Bas relief provenant de Ninive, British Museum

De l’Irak à Londres, de Londres à l’Irak…

Le British Museum conserve une des plus belles collections de bas-reliefs assyriens au monde, malheureusement desservie par un mauvais éclairage qui n’empêche cependant pas d’en apprécier la finesse.

Comme c’était le cas dans les antiques palais, on pénètre dans les salles consacrées à l’art néo-assyrien en franchissant une porte encadrée de deux immenses taureaux ailés, majestueux et impassibles. Il s’agit d’animaux gardiens aux fonctions magiques : ils protègent les seuils. Le British Museum en possède plusieurs : un daté de la première moitié du IXe siècle, provenant du palais d’Assurnasirpal II et deux autres du milieu du VIIe siècle.

Entrée des salles néo-assyriennes du British Museum : deux taureaux ailés.
Entrée des salles néo-assyriennes du British Museum : deux taureaux ailés.

La plupart des vestiges exposés au British Museum proviennent de trois palais : le Palais du nord-ouest d’Assurnasirpal II, à Nimrud, construit entre 883 et 859 et les palais de Sennakerib et Assurbanipal, bâtis à Ninive entre 704 et 631. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, les Anglais ont développé une grande activité archéologique dans l’actuel Irak, ce qui explique l’abondance des vestiges qu’ils conservent.

Salle consacrée à Ninive, British Museum
Salle consacrée à Ninive, British Museum

Nimrud (première moitié du IXe siècle avant notre ère)

Témoignant des débuts de l’art monumental de l’art néo-assyrien, les reliefs du palais du nord-ouest à Nimurd sont datés du règne d’Assurnasirpal II (883-859 avant notre ère). Ils proviennent pour la plupart de la salle du trône et des appartements royaux et figurent le roi durant des campagnes militaires, recevant des tributs de peuples conquis ou encore chassant des animaux sauvages.
À mi-hauteur, certains reliefs sont parcourus de longues inscriptions en akkadien : elles retracent le récit des campagnes militaires menées par Assurnasirpal II, confirmant le rôle biographique et narratif de ces décors. Ces textes forment un témoignage historique précieux qui, croisé avec les archives royales, permet de retracer dans le détail les grands événements du règne.
Cependant, au moment des fouilles de Nimrud, certains reliefs ont été découpés de façon à ne conserver que les images et à abandonner les inscriptions : c’était un moyen de réduire le poids des fragments et d’en faciliter le transport jusqu’à Londres.

Détail d'une inscription en akkadien sur un relief provenant de Nimrud, British Museum
Détail d’une inscription en akkadien sur un relief provenant de Nimrud, British Museum

Certaines scènes, si elles s’inscrivent dans un récit guerrier historique, décrivent de façon stéréotypée des épisodes récurrents : siège de ville, inspection de prisonniers et de butin après victoire, batailles. Au contraire, d’autres représentations dépeignent avec précision des événements historiques peu communs. Ainsi, un des fragments les plus marquants figure la fuite des dignitaires de la ville de Suru, assiégée par Assurnasirpal en 878. Les habitants et soldats avaient profité de la proximité du fleuve pour s’échapper à la nage, à l’aide d’outres gonflées d’air, utilisées comme bouées !

Ninive (VIIe siècle avant notre ère)

Les pièces néo-assyriennes les plus célèbres du British Museum proviennent de Ninive, bâtie au VIIe siècle sur la rive est du Tigre (en face de l’actuelle Mossoul) suite à l’abandon de Khorsabad, capitale maudite après la mort de Sargon II sur le champ de bataille (705 avant notre ère). Au milieu du siècle, Assurbanipal (668-631 avant notre ère), dernier grand roi de l’Empire néo-assyrien, fait construire le « palais du Nord » dont on admire aujourd’hui les extraordinaires décors de chasse au lion, qui ornaient ses appartements privés.

Orthostate figurant une chasse au lion royale, British Museum
Orthostate figurant une chasse au lion royale, British Museum

Les scènes de chasse sont un classique de l’art assyrien : à côté des scènes militaires, elles exaltent le pouvoir et la bravoure du souverain, figuré dans des corps à corps avec les animaux sauvages. Symboliquement, elles mettent en scène la victoire du roi sur les forces de la nature. En réalité, il est probable que les lions, alors très nombreux dans la région, étaient capturés voire élevés en captivité pour fournir de quoi pratiquer ce « sport », privilège royal.

Transcrivant avec brio la force musculaire des animaux et la tension du combat, ces scènes sont jugées comme les plus abouties de tout l’art assyrien, montrant un sens de l’observation de la nature très poussé.

Mort de la lionne, chasse royale sur un bas relief de Ninive
« Mort de la lionne », bas-relief provenant de Ninive, British Museum

Aux côtés de la célèbre scène de la mort de la lionne, une autre orthostate figure le « banquet à la treille ». Le roi y donne un festin dans un jardin magnifiquement orné : cette représentation, unique, témoigne du raffinement atteint dans le domaine de l’art des jardins à l’époque. Sur ce relief, les visages du roi et de la reine sont martelés, probablement le fait des saccages opérés par les Babyloniens au moment de la prise de la ville en 612 avant notre ère.

Banquet à la treille, Ninive
Le banquet à la treille, relief provenant de Ninive, British Museum (cliché : British Museum)

Ce billet ne présente qu’une sélection des plus célèbres orthostates que conserve le British Museum. Leur état de conservation est exceptionnel, bien que la pierre de gypse soit très fragile (elle s’effrite au moindre contact avec l’eau !). À l’époque des néo-Assyriens, ces reliefs étaient peints de couleurs vives, ce qui en rehaussait la préciosité. Par ailleurs, ils étaient complétés, dans les parties hautes des murs, par des décors de briques glaçurés ou peints à même la terre crue.

Détail d'un relief de Ninive, British museum
Détail d’un relief de Ninive, British museum

Si vous souhaitez découvrir l’art Néo-assyrien, plusieurs salles du Musée du Louvre sont consacrées au palais de Khorsabad, fouillé par les Français au milieu du XIXe siècle, sur lesquelles je reviendrai dans un prochain billet.

Pour en savoir plus

Merci à Manouart qui a retouché les photos de cet article, et à Jean-Michel, qui l’a relu. 

6 réflexions sur “ Splendeurs des néo-Assyriens : les bas-reliefs du British Museum ”

  • 8 mars 2015 à 22 h 36 min
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    Décidément, tes derniers -et superbes- articles me donnent envie de retourner à Londres…

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  • 8 mars 2015 à 22 h 40 min
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    Tu aurais bien raison : il y a tant de merveilles à y admirer (et à y dessiner !)

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  • 9 mars 2015 à 11 h 56 min
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    ils n’ont pas des statues prises sur Nd de Paris aussi ? elles seraient mieux mises en valeur que par les crottes de pigeon.

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    • 10 mars 2015 à 11 h 14 min
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      Les statues de Notre Dame ont été abattues pendant la Révolution. Une partie des vestiges est aujourd’hui conservée au Musée de Cluny, d’autres sont probablement dans les collections anglo-saxonnes (je l’ai su mais j’ai oublié). En tout cas, ce que nous voyons sur la façade aujourd’hui, c’est surtout l’oeuvre de Viollet-Le-Duc

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