A la découverte de l’URDLA, Centre international de l’estampe et du livre

Installée à Villeurbanne, l’URDLA – Centre international de l’estampe et du livre est un lieu d’art contemporain dédié à l’estampe. Structure unique en Europe, elle perpétue un savoir-faire traditionnel, initie des artistes aux techniques de l’estampe et accompagne les recherches de ceux qui en ont fait leur moyen d’expression de prédilection. Lors de mon dernier séjour lyonnais, j’ai été reçue par le directeur de l’URDLA, Cyrille Noirjean, qui m’a accordé un entretien passionnant, la matière du présent billet (et de plusieurs autres, qui ne sauraient tarder à venir).

Matrice linogravée d'une oeuvre de Damien Deroubaix, El Sueno, URDLA.
Matrice linogravée d’une oeuvre de Damien Deroubaix, El Sueno, URDLA.

L’URDLA, un centre d’art contemporain voué à l’estampe

À Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon, l’URDLA occupe les locaux d’une ancienne usine, joliment rénovés. Dans un immense open space, une surface d’exposition et sa librairie côtoient des ateliers techniques où s’affairent un imprimeur lithographe et un imprimeur en taille-douce. Au fond du bâtiment, des centaines de pierres lithographiques anciennes occupent tout un pan de mur.

Pierres lithographiques anciennes, fonds patrimonial de l'URDLA
Pierres lithographiques anciennes, fonds patrimonial de l’URDLA

Au moment de ma visite (nous sommes mi-décembre), la quatrième exposition de l’année vient d’être montée : elle présente les œuvres produites par la dizaine d’artistes reçus en résidence en 2014 : Lucie Chaumont, Benjamin Hochart, Rémy Jacquier… L’accrochage, qui court jusqu’au 28 mars 2015, offre un bon aperçu de la diversité des propositions faites ce cadre.

Vue de l'espace d'exposition de l'URDLA. Jusqu'au 28 mars : Extraction.
Vue de l’espace d’exposition de l’URDLA. Jusqu’au 28 mars : Extraction.

De la sauvegarde d’une imprimerie commerciale à la création contemporaine, le parcours singulier de l’URDLA

L’URDLA est né à la fin des années 1970 de la volonté d’une poignée d’artistes. En 1974, l’une des dernières imprimeries à produire des lithographies commerciales (faire-part, menus, étiquettes, lettres à en-tête) ferme ses portes, criblée de dettes. Pour sauver de la destruction les presses et le fonds de pierres anciennes, quelques passionnés, menés par Max Schoendorff (1934-2012), montent une association. Ils ont dans l’idée d’ouvrir un atelier collectif d’artistes où ils pourront pratiquer l’estampe. Lyon est alors dépourvu d’imprimerie d’art et il faut « monter » à Paris pour pratiquer la lithographie. Après deux ans d’errance, l’atelier collectif ne rencontre pas son public. L’association se transforme alors en éditeur d’art et invite des artistes possédant une notoriété bien établie (Viallat, Bob Wilson) à travailler sur place. Ces derniers entraînent dans leur suite de nombreux artistes : l’URDLA (« Utopie raisonnée pour les droits de la liberté en art ») a trouvé sa formule : celle d’un éditeur d’estampes accompagnant des artistes dans l’exploration des techniques du multiple imprimé.

Pierre lithographique, sujet commercial, fond patrimonial de l'URDLA
Pierre lithographique, sujet commercial, fond patrimonial de l’URDLA

Les années 1980 sont celles de la décentralisation culturelle et l’URDLA, qui fait figure de précurseur dans ce domaine, bénéficie largement de la dynamique. Le déménagement dans les locaux actuels, en 1986, permet d’étendre le champ de ses activités : à l’impression lithographique s’ajoutent une presse en taille douce et un atelier de typographie. Rapidement, les locaux accueillent des expositions qui présentent les créations réalisées dans leurs murs.

Dans les années 1990, le projet se redéfinit autour de quatre axes majeurs :

  • œuvrer pour la sauvegarde du savoir-faire dans de toutes les techniques de l’estampe
  • encourager la création originale
  • sauvegarder le matériel collecté (presse, matrices) même s’il n’est pas exploité
  • poursuivre les expérimentations et l’innovation dans le domaine de l’estampe artistique.

Un lieu d’art contemporain avant d’être un conservatoire de l’estampe

Dépassant donc le simple cadre d’un lieu de sauvegarde des savoirs-faire traditionnels, l’URDLA se pense aujourd’hui comme un centre d’art contemporain voué à l’estampe. La structure offre à des artistes d’horizons divers un soutien technique et économique pour la réalisation de leurs projets dont elle assure la diffusion commerciale.

Lucie Chaumont, Extraction, lithographie et pierre lithographique, URDLA
Lucie Chaumont, Extraction, lithographie et pierre lithographique, URDLA

Ainsi, chaque année, l’URDLA accueille douze à quinze artistes en résidence. Le directeur artistique, Cyrille Noirjean, veille à respecter un équilibre entre ceux qui pratiquent déjà l’estampe et ceux qui ne s’y sont jamais essayés. En effet, l’URDLA souhaite à la fois accompagner sur le long terme des artistes qui ont adopté la gravure ou la lithographie comme un moyen majeur de la création et initier d’autres qui, pour diverses raisons, n’ont jamais eu l’occasion de manier la pointe ou le crayon lithographique. En cela, l’URDLA me semble s’inscrire dans la continuité des sociétés de promotion de l’estampe du XIXe siècle. Comment ne pas penser – même si les modalités sont différentes – à l’action d’Alfred Cadart et de la Société des Aquafortistes (1862-1867) ? Le siège de la Société des Aquafortistes, à savoir la boutique de Cadart, accueillait de nombreux peintres, venus s’initier à l’eau-forte sur le conseil d’un des membres ou d’un soutien de la Société (Beaudelaire, Bracquemond, Cadart, Théophile Gautier…). Les sous-sols du 79 rue de Richelieu abritaient un atelier où étaient dispensés des cours d’initiation. Eugène Delâtre, célèbre imprimeur, y officiait régulièrement. À l’étage, la galerie présentait et commercialisait les œuvres éditées par la Société. L’un des enjeux était bien sûr d’y attirer les grands noms de l’art contemporain et les force vives de la jeunesse. En tout cela, la Société des Aquafortistes a efficacement contribué au renouveau de l’eau-forte dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’URDLA, à la fois passeuse de savoir-faire, prospectrice de jeune talents, initiatrice de collaboration, éditrice d’art et lieu d’exposition, participe à son tour à la vitalité de l’estampe en ce début de XXIe siècle.

Matrice contemporaine, URDLA
Matrice contemporaine, URDLA

En trente ans d’existence, l’URDLA a accueilli plusieurs centaines d’artistes, dont le travail forme un fond de 2000 estampes, qui est commercialisé et exposé sur place. La commercialisation des tirages (une quinzaine par création) permet d’assurer la survie de l’URDLA dans un contexte de réduction des subventions mais affirme également sa position forte de véritable éditeur d’art. Par cette activité, elle  a développé des liens solides avec des collectionneurs, ce qui renforce son action de promotion de l’estampe contemporaine et participe à la vitalité du marché de l’art.

En accord avec la politique des lieux d’art, Cyrille Noirjean veille à la constitution d’une collection cohérente, qui reflète véritablement la singularité de l’URDLA. Il mène notamment une réflexion sur le statut de l’estampe : à l’aube du XXIe siècle, l’estampe doit-elle se concevoir comme une oeuvre comme une autre ou comme un substitut bon marché à l’unicat ? C’est clairement pour la première hypothèse qu’il s’est engagé : ici, l’estampe s’affirme comme un véritable médium de création, à l’égal de la peinture, de la sculpture et de l’installation, et s’intègre dans des pratiques artistiques multisupports. D’ailleurs, le réseau de collectionneurs qui s’est constitué autour de la structure est un réseau de collectionneurs d’art contemporain et non de collectionneurs d’estampes (espèce en voie de disparition, il est vrai).

Benjamin Hochart, I, lithographie, URDLA
Benjamin Hochart, I, lithographie, URDLA

De fait, la collection constituée reflète les évolutions de l’estampe ces dernières années et révèle un retour en grâce des arts graphiques, conséquence, notamment, de l’engagement de la génération sortie des écoles d’art dans les années 90. La peinture et les arts graphiques étaient alors tombés en désuétude, et les ateliers de pratique se concentraient sur l’installation et la vidéo, médiums jugés plus modernes. À la faveur d’une appétence personnelle ou d’un séjour en Allemagne, où les arts graphiques connaissaient déjà un renouveau, ces jeunes artistes se sont lancés dans l’exploration des techniques de l’estampe. De retour en France, ils ont inspiré la génération actuelle, elle-même en quête d’un rapport plus prégnant à la matière.

Espace atelier lithographie, URDLA
Espace atelier lithographie, URDLA

A retenir :

  • 12 à 15 artistes en résidence par an, sur sélection
  • un atelier de taille-douce, lithographie, xylographie, linogravure et typographie destiné à ces artistes en résidence
  • 4 expositions par an en accès libre
  • des visites guidées et des évènements « BAT » (Bon à tirer) où les artistes en résidence vont à la rencontre du public
  • un espace de vente des multiples édités par l’URDLA, une librairie dédiée à l’estampe et à l’art contemporain
  • une revue « Çà presse » éditée 4 fois par an
  • La possibilité de devenir adhérent pour soutenir l’URDLA

7 réflexions sur “ A la découverte de l’URDLA, Centre international de l’estampe et du livre ”

  • 19 mars 2015 à 14 h 36 min
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    Et bien, vois-tu, tu m’en bouche un coin :). J’ai vécu à Lyon toute mon adolescence et je n’ai jamais visité cet endroit. La honte, heureusement que tu es là pour rattraper le coup !

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    • 19 mars 2015 à 21 h 55 min
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      Je suis venue au moins 4 fois à Lyon avant de visiter l’URDLA (et je suis spécialiste d’estampe, la honte!). En vérité j’ai mis du temps à comprendre la nature de la structure, que l’on pouvait la visiter… Et surtout, je pensais que c’était loin du centre. En fait, pas du tout ! C’est très accessible en métro !

      J’espère que tu auras l’occasion d’y aller, c’est vraiment chouette : idéalement, je pense qu’il faut venir à l’occasion d’une rencontre avec les artistes (les fameux événements « BAT »)

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    • 19 mars 2015 à 21 h 55 min
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      Super équipe, oui ! J’ai reçu un très bon accueil ! J’espère avoir l’occasion d’y retourner !

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  • 19 mars 2015 à 23 h 29 min
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    L’enssib nous a fait visiter ce lieu magique au début de notre scolarité. L’un de mes meilleurs souvenirs de cette année lyonnaise

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  • 20 mars 2015 à 9 h 47 min
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    Je suis très très impressionnée par ces machines. Existe-t-il de tel lieu à Paris ?

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