Jusqu’au 14 juin 2015, le musée des Arts Décoratifs accueille une rétrospective consacrée à Piero Fornasetti. Un illustre inconnu car si chacun a déjà croisé une de ses créations, peu en connaissent l’auteur. Il est temps de remettre un nom sur cet œuvre foisonnant, joyeux et polymorphe qui joue avec notre culture visuelle !
Je connaissais Fornasetti pour ses visages de femmes commercialisés sous forme d’assiettes ou de carreaux de cuisine, mais j’ignorais tout simplement la personnalité singulière et fantasque qui en était le créateur. Dès la première salle, j’ai eu l’assurance que nous allions nous entendre : Fornasetti est un amateur d’estampes. Comment ai-je pu l’ignorer si longtemps alors que son œuvre rejoint tous mes centres d’intérêt ? L’image imprimée et ses détournements, le vocabulaire graphique de la taille douce, que Fornasetti aime imiter dans les autres médiums… Mais surtout, Fornasetti est un accumulateur d’images, un collectionneur de visuels, comme Jules Maciet, l’initiateur des albums d’images de la bibliothèque des Arts Décoratifs.
Né en Italie en 1913, Piero Fornasetti envisage un temps de devenir peintre. Après un bref passage à l’Académie de la Brera (Milan) c’est dans l’atelier de son père, imprimeur, qu’il achève sa formation.
Quelques années plus tard, Piero ouvre sa propre imprimerie d’art où il collabore avec Carlo Carra, Giorgio de Chirico et Lucio Fontana, soit les plus grands artistes italiens de la première moitié du XXe siècle.
Mais c’est autre chose qui fera la notoriété de Fornasetti. Maîtrisant parfaitement les techniques de l’estampe, il commence à expérimenter l’impression lithographique sur tout type de supports : verre, céramique, métal, textile. C’est ainsi qu’il se lance dans la production des objets qui le rendront si célèbre : foulards, cravates, plateaux, assiettes…

Pour habiller les objets qu’il sélectionne, Piero Fornasetti puise dans l’immense documentation qu’il a constituée tout au long de sa vie. Car le créateur est avant tout un trouveur et un arrangeur de talent : il déniche des formes et des objets et des images pour les habiller. Des motifs copiés, déclinés, adaptés, transformés, mixés, recréés, détournés.
Dans l’exposition, la documentation visuelle de l’artiste se mêle aux pièces qu’il a produites, si bien que le visiteur ne sait plus bien ce qui est ancien, invention, création ou recréation : tel petit papier est-il un dessin de Fornasetti ou une découpure provenant d’un ouvrage ? Tel objet est-il une trouvaille de l’artiste, chinée au détour d’une brocante ou une invention de sa main ? Quelle importance, finalement ? Chez Fornasetti, la culture visuelle — ce domaine public « de fait » — est la matrice de la création. De son point de vue, ai-je lu quelque part, la création artistique ne repose pas réellement sur l’originalité brillante mais sur l’interférence et les variations dégagées sur un thème donné.
C’est ainsi que la création la plus célèbre de Fornasetti, cette assiette au visage de femme dans mille situations surréalistes est née d’une image découpée dans une revue française de la fin du XIXe siècle. Du portrait de la cantatrice Lina Cavalieri, Fornasetti imaginera pas moins de 350 variations !

Si l’œuvre de Fornasetti est par nature déroutante et pleine d’humour, l’exposition a su cultiver cette singularité. La scénographie prolonge avec tant de talent « la folie pratique » qui émane des objets que j’ai mis du temps à comprendre que Fornasetti n’était pas l’auteur de cette mise en scène — il est mort en 1988 ! Mais Fornasetti a-t-il vraiment disparu ? Son esprit semble flotter partout, habiter encore sa villa et ses boutiques — magnifiquement représentées, d’ailleurs, par un stop-motion de 8 minutes à la musique entraînante ! C’est que la « maison » Fornasetti existe toujours : le fils de Piero, Barnaba, continue l’œuvre de son père en éditant ces objets dont l’artiste n’avait jamais songé à limiter, signer ou authentifier la production. Mais plus encore, Barnaba créé de nouvelles pièces en puisant dans cette fameuse documentation iconographique, véritable mémoire visuelle externalisée. Si ces créations posthumes perpétuent l’esprit de la « Folie pratique », elles s’adaptent également à notre monde contemporain. Piero n’avait-il pas lui-même modifié le cabinet Architectura, créé avec Gio Ponti, pour en faire un meuble télé, plus conforme aux intérieurs des années 80 ?

Il y a là quelque chose de vertigineux : tout comme l’exposition devient elle-même œuvre, la documentation, cette accumulation d’images hétérogènes est devenue une entité artistique en soi, et, plus encore, une sorte d’intelligence artificielle, capable de générer des œuvres après la mort de son créateur.
De ces perspectives contemporaines, l’exposition ne fait pas l’impasse. Il y a certes un enjeu commercial (une sélection est proposée à la boutique du musée), mais le sujet est exploré en profondeur : le documentaire projeté dans la salle, tout comme le catalogue d’exposition, évoquent sans détour les problématiques que posent ces « créations posthumes ». Barnaba y narre l’histoire de la maison après Piero, ses doutes et les erreurs commises dans cette quête pour maintenir l’héritage vivant, le désir de maintenir un savoir-faire manuel et la tentation de la production en série, les interférences de ces deux modes de diffusion…
Allez goûter cette folie pratique, plongez-vous sans retenue dans ces 1465 pièces exposées (dont je me demande encore comment ils ont pu les compter ! ) : vous ne serez pas déçu.
Visages sur assiettes, cela rappelle les femmes que l’on découvre dans les petits verres chinois, une fois l’alcool de riz avalé…
Belle expo en effet où le cadre sait cadrer ce qu’il révèle (comme vos photos en mosaïques).
Très agréable et intéressant article, merci. Corrigez juste cette petite faute involontaire : » Giorgio de Chirco » (Giorgio de Chirico) et ce sera parfait!
Oups une faute de frappe ! Merci de me l’avoir signalée : c’est corrigé !
» Piero (…) collabore avec Carlo Carra, Giorgio de Chirico et Lucio Fontana, soit les plus grands artistes italiens de la première moitié du XXe siècle. »
C’est violent, votre phrase…
« les plus grands » ? selon qui ? lol
Et Felice Casorati, Mario Sironi, Giorgio Morandi, Arturo Marini, Medardo Rosso ? Francesco Messina ?
Benito Mussolini ? -nan, j’déconne… encore que.
‘faut pas confondre les artistes et le marché, hein…
Sans ça, Jeff Koons est un immense artiste ! en parlant de fascisme !
Aujourd’hui, c’est la « première période » de Giorgio de Chirico qui est toujours promue, mais qu’en pensait-il, lui-même ?
Des collectionneurs venaient le voir, « je veux un de vos tableaux « métaphysiques » ! »
– repassez dans une semaine !
Hop ! il en torchait un 6-4-2, l’anti-datait, « tiens, mon poulet ! »
Un jour de grandes poubelles, je trouve dans la rue un dico Larousse des années 50, ça témoignait de goûts différents… dans les noms propres, y’avait même pas Sade !
Et là, regardez, une grande expo au Musée d’Orsay ! « Attaquer Le Soleil » !
Ne vous laissez pas porter par le courant, peccadille, musclez votre libre arbitre !