Il y a deux semaines, l’École des Beaux-Arts ouvrait ses portes pour fêter la fin de l’année et les nouveaux diplômés. Un moment particulier de l’École où, dans une ambiance joyeuse et foutraque, les ateliers — exceptionnellement rangés — s’ouvrent à tous les vents et les joyaux patrimoniaux, jalousement gardés, se dévoilent aux yeux des curieux.
Une année de plus, je quitte Paris précisément ce week-end-là. Mais cette année, exceptionnellement, les portes ouvertes s’étalent sur quatre jours : juste ce qu’il faut pour que j’y passe en coup de vent.

Revenir à l’École des Beaux-Arts, c’est toujours un moment d’émotion pour moi. J’ai passé des heures à la bibliothèque, à éplucher les inventaires et les registres, pour reconstituer l’histoire d’une collection d’images. La création de la bibliothèque au XIXe siècle et le rôle des images dans celle-ci, tel était mon sujet de mémoire. Plus tard, pendant quelques mois, j’y ai travaillé. Avec la conservatrice de l’époque, je classais des centaines d’estampes, entassées là au début du XXe siècle et que personne n’avait jamais vraiment rangées. C’est ainsi que nous avions découvert, entre deux chromolithographies, une quarantaine d’affiches de mai 68. Partout l’École transpire l’histoire.
Plongée dans le passé
Avant l’École, il y a eu un musée, et avant le musée, un couvent, celui des Augustins. La congrégation est chassée des bâtiments conventuels à la Révolution. Le cloître et la chapelle abritent d’abord des objets, œuvres et sculptures saisies aux émigrés. Albert Lenoir reçoit la charge de ce dépôt qu’il organise en musée. Autour du cloître, tombeaux réchappés du pillage de Saint Denis et objets d’art précieux sont rangés par période. Un musée précurseur, qui marquera profondément la génération des futurs romantiques. De l’œuvre de Lenoir, il ne reste que des dessins. En 1816, les collections qu’il a rassemblées sont dispersées. Les chefs-d’œuvre traversent la Seine pour rejoindre le jeune Musée du Louvre. Les tombeaux des rois de France, quant à eux, rejoignent l’abbaye de Saint-Denis.

L’ancien couvent accueillera désormais l’École des Beaux-Arts, créee en 1797 sur les vestiges des Académies, dont elle hérite du patrimoine et de quelques pratiques. Au milieu du siècle, les locaux du couvent sont vétustes et les élèves, à l’étroit. On charge Félix Duban de bâtir un Palais des Études à la hauteur d’une École des Beaux-Arts. Le bâtiment est achevé en 1839. Vingt-cinq ans plus tard, l’architecte couvre la cour d’une grande verrière à charpente métallique, très moderne. Ainsi protégée, cette cour accueille la collection de moulages antiques, modèles indispensables à l’étude, auprès desquels les étudiants parfont leur pratique du dessin. En 1863, une bibliothèque est créée : elle appuie les enseignements théoriques, renforcés par la récente réforme des études.

L’enseignement est placé sous des dogmes, des modèles idéaux que les collections et le décor exaltent. Le nom des grands artistes est gravé sur la façade de l’École. Dans l’hémicycle d’honneur, destiné à recevoir les cérémonies officielles, Paul Delaroche peint un panthéon des artistes les plus appréciés de l’histoire de l’art européen : Rubens, Correge, Titien, Van Dyck, Le Lorrain, Puget, Pallad, Durer, Léonard, Raphaël… voici de qui les jeunes gens doivent s’inspirer.

Dans l’ancienne chapelle du couvent, les conservateurs font installer des moulages et copies peintes qui s’éloignent pourtant des dogmes gréco-romains érigés par l’Académie.

L’école sans cesse s’agrandit. En 1858, Duban bâti une galerie des expositions sur le quai Malaquais ; trois décennies plus tard, l’hôtel de Chimay, adjacent, est intégré au complexe. Mais déjà, elle est passée de mode. Ceux qui défrayent les chroniques artistiques n’ont pas concouru au prix de Rome : c’est à l’académie Julian ou chez Gleyre qu’ils se sont formés. Au XXe siècle, les modèles académiques s’essoufflent.
Création contemporaine, collection patrimoniale, une coexistence impossible ?
En 1968, les étudiants portent un coup fatal à l’enseignement de l’École. Un siècle après la grande réforme des Beaux-Arts, la formation n’est plus adaptée au monde moderne. Au lendemain de mai 68, les plâtres sont évacués, l’enseignement renouvelé.

L’école a aujourd’hui retrouvé son prestige et son éclat. La création y est vivante. Entre les vieux murs, de jeunes générations dessinent leur avenir, parfois brillamment. Les Portes Ouvertes nous donnent à voir cette école vivante, dynamique. Dommage, cependant, que son riche patrimoine ne soit pas plus valorisé.
Création contemporaine, collection patrimoniale, une coexistence impossible ? Certainement pas, bien au contraire. L’une et l’autre peuvent se nourrir, sans s’étouffer mutuellement. Les étudiants l’on bien prouvé, en faisant renaître cette tradition oubliée de l’École, le bal des Quat’z’art, défilé foutraque et costumé qui effrayait les bonnes mœurs d’un XIXe conservateur.
Bref, l’an prochain ne ratez pas les Ateliers ouverts de l’École des Beaux-Arts, elle a encore beaucoup à vous surprendre !
J’ai, un dimanche matin, traversé de part en part cette ecole, vide. Grandes cours, longs couloirs, rendus plus impressionnants encore par le silence, un très bon souvenir. Merci de votre madeleine.